Adapté d'un article paru dans Défense et sécurité
internationale n° 143-septembre-octobre 2019
Les compétences sont beaucoup moins visibles que des équipements lourds. On
s’aperçoit et on se méfie quand un adversaire potentiel double d’un coup le
nombre de ses engins blindés ou de ses avions de combat. On remarque beaucoup
moins en revanche lorsqu’il double son capital de compétences. C’est pourtant
probablement beaucoup plus dangereux et souvent à l’origine de mauvaises surprises.
On peut surprendre parce que l’on attaque par des endroits inattendus, parce
qu’on emploie des équipements inédits ou des procédés nouveaux, mais on peut surprendre aussi
parce qu’on est simplement d’un seul coup meilleur qu’avant. On pourra même parler à cet égard de « surprise par
l’instruction ».
Le cas Top Gun
Lorsqu’elles sont engagées
au-dessus du Nord-Vietnam à partir de 1965, l’US Air Force et l’US Navy découvrent
avec étonnement la qualité de la chasse aérienne nord-vietnamienne, une
performance remarquable pour une organisation créée seulement en 1959. En 1967,
le rapport des pertes n’est que de seulement deux Mig abattu pour un avion
américain de l’Air force ou de la Navy. Ce rapport tend même à s’égaliser.
En 1968, la Navy perd 10 appareils contre 9 Mig et aucun des 50 derniers missiles air-air
qu’elle a lancés n’a atteint son but.
Les opérations aériennes américaines sont suspendues au-dessus du
Nord-Vietnam durant l’année 1969. Lorsqu’elles reprennent de 1970 à 1973, on
constate que les résultats des combats sont les mêmes qu’avant la suspension. Ceux
de la Navy en revanche sont très
étonnants, puisque d’un ratio de presque 1 pour 1 on passe de 1970 à 1973 à
12,5 Mig abattus pour 1 avion américain et cela sans équipements
nouveaux. Que s’est-il passé ?
En fait, la Navy a réfléchi. Elle
s’est appuyée sur l’étude Systems
Analysis Problems of Limited War, présentée par Herbert Weiss devant l’Institut
américain d’aéronautique et d’astronautique en 1966. À partir d’une analyse
statistique des combats aériens depuis la Première Guerre mondiale, Weiss y
démontrait un lien beaucoup plus fort qu’on ne l’imaginait entre le nombre de
missions des pilotes de chasse et leur capacité à y survivre. Un chiffre en
particulier interpellait : 40 % de chance d’être abattu lors de son
premier combat décisif (avec un avion détruit ou touché), mais 5 % au bout
de seulement cinq combats.
L’idée fut alors de descendre sous ce seuil de 5 % sans combattre
réellement en faisant appel à la simulation. En mars 1969, la Navy Fighter Weapons School, plus connue
sous le nom de Top Gun, est créé à
Miramar en Californie. Les pilotes y sont placés dans des situations de combat
les plus proches possible de la réalité, et en particulier au canon, contre des « agresseurs » simulant au mieux les équipements et les
méthodes de l’ennemi. Les combats filmés font ensuite l’objet d’un retour
d’expérience précis et honnête où l’erreur n’est pas considérée comme honteuse
mais comme une étape à franchir. Ces combats simulés sont également accompagnés
de cours avec des instructeurs recrutés parmi les meilleurs pilotes de chasse
de la Marine.
L’évidence de l’efficacité du modèle Top
Gun est alors telle au Vietnam que non seulement l’US Navy décide de maintenir cette école conçue initialement pour la
durée de la guerre, mais en décline aussi le concept aux combats air-sol à la « strike university »
au Nevada. L’US
Air Force imite la Navy en 1974
avec les exercices Red Flag, la
composante aérienne des Marines fait
de même en 1978. En 1979, les forces terrestres américaines, Army et Marines adoptent à leur tour le principe de Top Gun en créant de grands centres de combat où leurs bataillons
font face de manière réaliste à des « forces ennemies », avec en
particulier l’emploi de laser pour simuler les tirs.
Quelques années plus tard, la qualité des unités américaines à Panama en
1989 et surtout dans la guerre contre l’Irak en 1990-1991 tranche très nettement
avec celle de l’après-Vietnam. La bataille de 73 Easting opposant les 26
et 27 février 1991 opposant trois brigades américaines à deux divisions
blindées irakiennes reste comme un des combats de rencontre aux résultats les
plus écrasants de l’histoire avec un rapport de pertes en faveur des Américains
de 1 à 100 pour les hommes et de 1 à 300 pour les véhicules blindés. Cette
démonstration de force incitait les armées capables de réaliser un tel
investissement technique et financier d’adopter le principe de Top Gun. La France a inauguré ainsi le
Centre d’entraînement au combat (CENTAC) de Mailly en 1996, puis le Centre d’entraînement
aux actions en zone urbaine (CENZUB) au camp de Sissonne dix ans plus tard.
Surprendre par l’instruction
Cette méthode d’instruction et d’entrainement ne se substituait pas aux
méthodes précédentes, les pilotes de la Navy
ne passant qu’une très brève partie de leur temps de formation et
d’entrainement à Miramar, mais s’y ajoutait. Les méthodes militaires évoluent
par paliers avec une phase de gains rapides suivie d’une phase de rendements
décroissants, mais ne disparaissent pas. On assiste plutôt à un empilement de
méthodes dans lesquels les armées puisent en fonction des ressources
disponibles, temps, infrastructures, encadrement et, pour faire fonctionner
l’ensemble, finances.
Le drill, que l’on pourrait
traduire par « mécanisation », est
une méthode de formation militaire reposant sur la répétition individuelle et
collective des gestes et des manœuvres. Cette méthode ancienne plus ou moins
bien utilisée par les armées antiques a été remise au goût du jour à l’époque
moderne avec l’esprit scientifique du moment et la nécessité d’organiser le
combat d’armées dotées de nombreuses armes différentes. À la fin du XVIe siècle,
les frères Nassau introduisent dans l’armée hollandaise de nouvelles formes
d’exercices s’appuyant sur des mouvements uniformisés des troupes et du
maniement des armes. La méthode se diffuse au siècle suivant, en particulier
dans l’armée suédoise, puis dans celle de Louis XIV sous l’influence
notamment du colonel Martinet (qui laissera son nom à un instrument de
punition).
C’est au XVIIIe siècle que le drill est poussé à la perfection dans l’armée prussienne. Le
bataillon y est conçu comme un bloc rigide où l’espace entre les hommes est imposé réglementairement au centimètre près (64 en 1757), ce qui impose pour manœuvrer
l’adoption d’un pas strictement uniforme et donc rigoureusement cadencé à la
voix ou au son de flûtes et des tambours. Au prix de répétitions incessantes et
d’une discipline de fer, la maîtrise de cet « ordre
serré » (qui désigne encore aujourd’hui les mouvements
de parade militaire) permet à la troupe de marcher et tirer de manière mieux
organisée et plus vite que toutes les autres armées du moment. Les victoires
spectaculaires de la petite armée de Frédéric II pendant la guerre de Sept
Ans (1757-1763) suscitent alors un grand respect et un engouement pour la « méthode prussienne » dans toute l’Europe. Le drill est resté ensuite en honneur dans
toutes les armées jusqu’à aujourd’hui.
Une nouvelle étape est franchie au siècle suivant avec le développement d’exercices
sur le terrain et face à un ennemi avec emploi de munitions d’exercice. Si
l’ensemble est très utile pour apprendre la conduite des grandes unités, la
méthode pose cependant encore de nombreux problèmes d’irréalisme au niveau le
plus bas. La méthode est perfectionnée durant la Première Guerre mondiale avec
la notion de « préparation de la bataille » sur des terrains simulant autant que possible l’ambiance du combat et reproduisant
les terrains à conquérir. Durant l’hiver 1917-1918 en préalable des grandes
offensives du printemps, le haut-commandement allemand retire du front soixante
divisions d’infanterie, les complète en effectifs et équipements sur un nouveau
modèle d’organisation, et les envoie pendant des semaines dans des camps où ils
apprennent dans des conditions réalistes les méthodes développées par les
bataillons d’assaut. La supériorité de cette nouvelle armée d’assaut sur les
divisions alliées est manifeste en particulier dans les grandes percées du 21 mars
en Picardie et du 27 mai en Champagne et notamment lorsqu’il faut
combattre dans le terrain libre hors de la zone des tranchées. Les fantassins
des divisions d’attaque allemandes savent le faire, les Français et les
Britanniques ne savent plus.
Un autre exemple de préparation de bataille particulière soignée est la
préparation de l’opération Minarets. Minarets désigne le plan de l’armée
égyptienne, prêt en septembre 1971, visant à franchir le canal de Suez jusqu’à
15 kilomètres à l’intérieur du Sinaï pour tenir ensuite la position
conquise jusqu’à l’inévitable cessez-le-feu. Ce plan est un des plus détaillés de
l’histoire puisqu’il descend jusqu’à la description précise de chaque groupe de
combat d’infanterie ou du génie, de chaque équipe antichars, de chaque pièce
d’artillerie et de chaque char des cinq divisions d’infanterie qui doivent
franchir le canal, soit avec les forces de réserve 200 000 hommes, 1 600 chars et 1 900 pièces d’artillerie. Il est interdit de s’écarter du plan pendant
les six premières heures. Opération la plus précise, Minarets est aussi sans doute la plus répétée de l’histoire. Les équipes
de missiles filoguidés Sagger s’entrainent
par exemple à cibler des camions une demi-heure chaque jour jusqu’à l’offensive.
L’opération entière elle-même est répétée 35 fois, ce qui paradoxalement
contribue à la surprise de l’attaque du 6 octobre 1973 puisque la
concentration des troupes qui la précède, la 22e de l’année, ne
suscite plus d’attention particulière. Cet effort porte ses fruits, l’opération
Minarets, est une réussite qui
surprend complètement les Israéliens qui ne croyaient pas les Égyptiens
capables d’une telle performance.
Les conditions du succès
Les surprises par l’instruction sont en fait relativement rares. Il faut
pour qu’il y ait un effort considérable en matière d’instruction, ce qui
suppose souvent un constat d’insuffisance des méthodes en cours, ce qui n’est
jamais évident. Il faut ensuite déterminer comment procéder. Cela passe souvent
par une remise à plat de ses pratiques par rapport à celles de l’ennemi. Il
faut enfin investir massivement et vite, dans de nouvelles infrastructures souvent
mais surtout dans un encadrement performant, en recrutant les meilleurs disponibles
chez-soi ou parfois à l’étranger. Cet investissement cependant ne permet
d’obtenir une surprise que si l’ennemi ne bouge pas de son côté.
Bien souvent en effet les efforts sont parallèles entre adversaires qui se
surveillent, mais parfois l’un des deux ne veut pas ou ne peut pas suivre cet
effort. Les armées alliées de 1918 voient bien l’effort qui est effectué par
l’armée allemande, mais alors en nette infériorité numérique elles n’ont pas
les moyens de retirer 60 divisions du front pour les instruire de la même
façon. En 1995, après un effort d’organisation et d’instruction fortement
appuyé par la société privée américaine DynCorp l’armée croate s’empare en
quelques jours de la « République serbe de
Krajina ». Les milices serbes qui la défendaient n’ont
pas été capables de suivre la montée en gamme.
Dans l’exemple égyptien cité plus haut, l’armée israélienne est clairement
soumise à un biais d’arrogance qui l’aveugle sur les progrès de l’ennemi. Il
est reproduit aussi vis-à-vis du Hezbollah qui effectue un saut qualitatif de
2000 à 2006 qui lui permet de réaliser des opérations plus complexes, alors que
de son côté l’armée israélienne a plutôt tendance à perdre ses compétences. On le
retrouve peut-être encore lorsque l’infanterie du Hamas progresse de 2008 à
2014. Dans la guerre de 2008, il était tombé 50 combattants du Hamas pour
un Israélien, dans celle de 2014, le rapport n’était plus que d’un pour huit.
À une échelle beaucoup plus réduite, ce qui surprend le plus dans l’attaque
du 7 janvier 2015 par les frères Kouachi c’est leur maîtrise microtactique
qui leur a permis de faire face à deux à 16 policiers en moins d’un quart
d’heure. Après les grands centres d’entrainement et la centralisation de la
formation selon des procédés réalistes mais lourds à organiser, le nouveau saut
en matière d’instruction militaire est peut-être au contraire la
démocratisation du « réalisme tactique » et des possibilités d’apprentissage par les moyens d’information ou de
simulation.
Au Brésil , les " black-blocs " ont monté en 2013 des " CENZUB " à la campagne pour s'entrainer à la guérilla urbaine ! Avec de très bons succès : La cavalerie de la PMERJ a été presque neutralisée en appliquant la tactique des Prussiens à Reischoffen . Briser la charge de cavalerie en bloquant une rue avec des véhicules et en bombardant les cavaliers avec des projectiles . Il s'agissait aussi d'acclimater de jeunes urbains au contact d'un cheval . Il se sont aussi entrainés à découper des grilles de police avec des disqueuses .
RépondreSupprimerDaniel BESSON
Voilà les deux articles parus à l'époque ! Le plus intéressant est que les " bobos " gauchistes qui bénéficient souvent de l'exemption du Service National en raison de leurs études universitaires sont formés à la " chose militaire " par d'anciens " prolos " ayant a fait leur SN … Je suis sûr que cela doit exister en France avec quelques différences .
SupprimerLe plus intéressant c'est que ces jeunes gens qui sont quelques fois issu-e-s ( restons inclusifs ) des Jeunesses Ouvrières Catholiques sont pétris d'histoire militaire classique . Ils s'inspirent , au delà de la bataille de Reischoffen , des tactiques militaires Grecques et Romaines comme autrefois les militants de l'Armée Rouge Japonaise des formations du Japon médiéval .
https://epoca.globo.com/tempo/noticia/2013/11/bpor-dentro-da-mascarab-dos-black-blocs.html
https://poetagerson-jornalmural.blogspot.com/2013/11/black-blocs-preparados-para-confrontos.html
Le SIGINT a joué un rôle majeur dans la reprise du ciel par les américains durant la guerre du Vietnam grâce au programme TEABALL. Je cite:
RépondreSupprimer"In early 1972, however, development of a weapons control facility, covername TEABALL, changed the course of the air war over North Vietnam. Designed as a SIGINT-driven weapons control center, this U.S. Air Force entity vividly demonstrated to operational commanders at all levels that SIGINT, when properly employed in an operational environment, greatly reduced aircran losses to hostile fighters while significantly increasing the number of enemy aircraft destroyed, especially in areas where the U.S. was denied or had limited radar coverage."
Document déclassifié: https://www.nsa.gov/Portals/70/documents/news-features/declassified-documents/cryptologic-quarterly/teaball.pdf
Article : http://www.airforcemag.com/MagazineArchive/Pages/2008/July%202008/0708teaball.aspx