Réactualisation d'un article paru le 14/02/2012
Dernière modification le 13/02 à 21H00
On peut se fixer comme objectif d'étude qu'une section d’infanterie française projetée à terre ait,
avec ses seuls moyens, à la fois une très forte probabilité de vaincre avec des pertes très réduites un ennemi irrégulier équipé d’armements légers ex-soviétiques
d’un volume équivalent ou de résister face à un ennemi trois à quatre fois
supérieur en nombre, au moins jusqu’à l’arrivée de renforts à terre et/ou de
moyens d’appuis. Le tout doit être obtenu avec un investissement financier
réduit, disons 1% de la Loi de programmation militaire (pour 80 % des pertes rappelons-le).
Obtenir
une telle augmentation de productivité tactique suppose de jouer sur les quatre
facteurs de toute organisation-équipements, méthodes, structures et sa culture
(façons de voir les choses)-en gardant à l’esprit que la modification d’un de
ces facteurs interagit avec les autres et pas toujours positivement.
Les
éléments qui suivent constituent une première ébauche et un appel à contributions
en vue d’une formalisation plus précise et aboutie. Elles sont le fruit des expérimentations
que j’ai pu mener dans quatre régiments différents et des réflexions de sous-officiers ainsi que d’élèves-officiers
de la 54e promotion de l’Ecole militaire interarmes.
1.
Au
niveau de la structure du groupe de combat, tous les retours d’expérience des
armées étrangères font consensus sur le groupe à terre de neuf hommes,
constitué d’un chef de groupe et de deux équipes de 4 (et à 2 binômes). En
deçà, le groupe est très pénalisé par les pertes, au-delà (le groupe de marines
est à 13), il a tendance à se scinder. Parmi les troupes qui combattent nous
avons le groupe le plus léger et le plus fragile. Deux hommes en plus à terre,
accroitrait pourtant l’efficacité globale non pas de 28 % (deux hommes de plus
par rapport à sept) mais de presque 40 %. Un investissement majeur consisterait
à ce qu’un des neuf hommes soit aussi un infirmier très qualifié.
La
densification de l’échelon de l’équipe milite pour son commandement par un
caporal-chef et même un sergent. Le commandement du groupe peut être exercé par
un sergent-chef. Un encadrement plus expérimenté serait un investissement à
très fort retour.
Au
niveau de la section, j’ai expérimenté de 1993 à 1999, une nouvelle
organisation de la section avec un groupe appui-feu, regroupant les armes
tirant à 600 m, et trois groupes d’assaut équipés simplement de Famas.
L’intérêt était de rentabiliser l’emploi des armes « 600 » en les
utilisant en 2e échelon de la section et non au contact immédiat de
l’ennemi où elles peu utiles, en obtenant ainsi un effet de masse mais aussi de
combinaison (tir précis des FRF2, tir de saturation des MInimi, tir indirect
des LGI).
Le
combat de cette nouvelle structure s’inspirait des méthodes allemandes de la
fin de 1918 et de la Seconde Guerre mondiale reposant sur la capacité de
neutralisation du groupe feu et de décèlement-fixation des groupes d’assaut, la
destruction ou refoulement pouvant être obtenu par l’un ou l’autre suivant les
cas. La supériorité d’une telle
structure sur la structure INF 202 a été mise en évidence dans pratiquement
tous les exercices où je les ai confronté.
En
respectant l’enveloppe règlementaire, il n’est possible de ne former que deux
groupes d’assaut à 9. Dans l’idéal, il en faudrait un troisième. L’augmentation
des effectifs pourrait être compensée par une réduction du groupe feu.
Dans
un tel système à priorité « anti-personnel », le groupe Eryx n’existe
plus. Les pièces sont reléguées à la section appui de la compagnie.
2.
Une
autre voie, très simple et là-aussi très largement expérimentée avec succès,
consiste à simplifier très largement la charge mentale de travail du chef de
groupe en remplaçant les douze check-lists différentes qu’il est censé
connaitre et appliquer à chaque cas (DPIF, FFH, MOICP, PMSPCP, HCODF, GDNOF,
ODF, IDDOF, PMS, SMEPP, etc.) par un seul.
Outre
que leur mémorisation occupe une large part de l’instruction au détriment
d’autres choses, ces ordres « récités à la lettre » ont le défaut majeur de
ralentir considérablement le groupe. Une expérience a montré que si on applique
strictement ces méthodes lors d’un accrochage avec l’ennemi, il faut en entre 1
min 30 et 2 min pour que le groupe au contact tire sa première cartouche. Bien
entendu en combat réel, voire en exercice un peu réaliste, toutes ces
procédures explosent. Dans le meilleur des cas, le sergent utilise des
procédures simplifiées de son invention, dans le pire des cas, on assiste à des
parodies d’ordres (autrement dit des hurlements variés).
Pour remédier à ce
défaut et en m’inspirant des méthodes utilisés dans les véhicules blindés, j’ai
expérimenté (pendant quinze ans) le remplacement de tous les cadres d’ordre par
un cadre d’ordre universel baptisé : OPAC, pour Objectif (à atteindre, à voir
ou à tirer), Position (si celle-ci n’est pas évidente et en employant surtout
le principe « cadre horaire + distance »), ACtion (que fait-on ou que fait
l’objectif ?).
Ce système vocal était
doublé par un système aux gestes (il était possible de faire des exercices
entier sans dire un mot) et sous-entendait aussi une redéfinition du rôle des
chefs d’équipe, autonomes dans le choix de leur manœuvre (ce qui soulageait
encore le chef de groupe). Un ordre OPAC ressemblait à cela :
- Chef
de groupe : « Alfa ! Bravo ! » (le chef de groupe appelle ses chefs d’équipe
par leur nom ou un indicatif) ;
- Chef
d’équipe 1 : « Alfa ! » (= « je suis prêt à prendre l’ordre ») ;
- Chef
de groupe : « ici (il montre la zone à occuper) (Objectif-Position) ; en appui
face à la rue (Action) (il montre la zone à surveiller) » ;
- Chef
d’équipe : « Alfa ! » (= j’ai compris, j’exécute la mission et je place chacun
de mes hommes avec un ordre OPAC) ;
- Chef
de groupe : « Bravo ! »
- Chef
d’équipe 2 : « Bravo ! »
- Chef
de groupe : « Le carrefour (O), midi, 100 (P), en avant ! (AC) »
- Chef
d’équipe 2 : « Bravo ! » (= j’ai compris, j’exécute la mission en choisissant
une formation (ligne ou colonne) et un mode de déplacement (marche-bond-appui
mutuel).
Ce système permettait de s’adapter rapidement à
toutes les situations, même les plus confuses, sans perdre de temps à essayer
de se souvenir du cadre d’ordre réglementaire, il offrait un gain de temps
appréciable pour la réflexion du chef de groupe, facilite les remplacements du
chef de groupe par un chef d’équipe et du chef d’équipe par un
grenadier-voltigeur parce que les procédures étaient les mêmes.
Dans les expérimentations effectuées, la
méthode OPAC donnait au groupe de combat une boucle OODA
(observation-orientation-décision-action) beaucoup plus rapide que celle d’un
groupe INF202. De fait, dans un combat de rencontre, il l’emportait presque
systématiquement (dans 80% des cas) sur le groupe INF 202. Au passage, il m’a
fallu deux heures, montre en main, pour apprendre l’ensemble de ces méthodes à
un groupe d’appelés mélanésiens, à peine sorti des classes, et à les
transformer en groupe de combat manœuvrant plus vite et mieux que tous les
groupes « anciens ».
Il
est à noter que toutes les propositions précédentes, qui, encore une fois, ont
prouvé leur capacité à développer les capacités de la section, n’ont aucun coût
financier. Elles peuvent même représenter une source d’économies dans la mesure
où les compétences associées nécessitent moins de temps d’acquisition que les
méthodes réglementaires.
3.
Le
groupe d’appui serait plus puissant et efficace si :
- les
FRF2 étaient remplacés par des fusils modernes type HK 417 avec lunette Schmidt
et Bender adaptée (et pas la lunette du FRF2 sur des fusils HK 417 comme cela a
été fait en Afghanistan).
-
Les
Minimi étaient en calibre 7,62 mm, munition plus puissante, robuste (elle ne
dévie pas aussi facilement sur un obstacle) et dissuasive que la 5,56 mm.
- Les
LGI, finalement peu efficaces (ne serait-ce que par les problèmes de
coordination qu’il occasionne avec les aéronefs) par des Lance-roquettes de 89
mm avec des munitions anti-personnel.
Dans
les groupes d’assaut, le système Félin a permis d’accroître très sensiblement
par ses aides à la visée (viseur Eotech, lunettes IL et IR), la portée et précision du tir au Famas, surtout de
nuit. Le nouveau canon du Famas permet de tirer tout type de cartouche avec autant de précision. La vision déportée est parfois utile en combat en localité mais il n'est pas forcément utile d'en équiper tout le monde. Le remplacement du Famas par un fusil d’assaut moderne compatible avec le
système Félin permet d’envisager encore un accroissement de puissance de feu.
Le
chargeur Famas, fragile et limité à 25 cartouches, aurait dû en réalité être
remplacé depuis longtemps par un chargeur d’au moins 30 cartouches. Ce chargeur
pourrait être remplacé avantageusement par un chargeur en plastique transparent
(beaucoup de soldats profitent des répits pour remplacer leur chargeur entamé
par un chargeur plein pour être sûr de ne pas être « sec » au
prochain tir ; la zone de combat est ainsi remplie de chargeurs à moitié
plein). On réduirait aussi la source de nombreux incidents de tir.
La
fonction lance-grenades sous l’arme permettrait beaucoup plus précisément
qu’avec une grenade à fusil, mais aussi de marquer pour les appuis aériens les
positions ennemis très rapidement.
En
double dotation, on pourrait avantageusement remplacer la baïonnette, peu utile, par une arme de poing (comme le FN Five seveN 5,7mm par exemple) permettant
de faire face aux incidents de tir et plus pratique en combat en localité, avec
des munitions qui permettent de faire des tirs d’arrêts sans risquer les dommages
collatéraux. Faire
en sorte également que le groupe de combat dispose de grenades à effet spéciaux (flash,
étourdissement, etc.).
Les liaisons à l'intérieur du groupe sont bien mieux assurées avec le réseau d'information du fantassin (RIF), avec casque ostéophonique, que le système PRI, peu discret et peu pratique. Il reste nécessaire que le chef de groupe soit doté aussi du système 328.
L'interface homme-machine (IHM), tablette de situation tactique, complexe à utiliser et très chronophage, si elle utile au chef de section, n'est de fait pas utilisée par les chefs de groupe. La numérisation au niveau du groupe s'avère une mauvaise (et coûteuse) idée. Seul les chefs de groupe et le chef de section ont vraiment besoin d'un GPS. Un laser infrarouge leur serait très utile pour désigner les objectifs ou guider les tirs.
En
termes de protection, le casque lourd de type félin est efficace et doit être
généralisée, avec une lampe IR de type Guardian et un support de fixation pour l’optique
de nuit mais aussi une lampe d’appoint (blanche, IR, rouge). Les gilets de protection sont en revanche très encombrants. Comme il est paraît inconcevable désormais de combattre sans gilet de protection, son allègement et son ergonomie doivent être la priorité. Il existe déjà des HPC (Hard Plate Carrier) avec des plaques de protection de dernière génération plus légères et permettant de porter huit chargeurs.
Il faut repenser également les sacs et les tenues (et leur processus d’acquisition). Remplacer les sacs F1/2/3
ou les musettes TTA par du matériel utile comme les sacs montagne à grande
capacité ou les musettes camelback BFM 500.
4.
Et puis, il y a l’environnement. Le meilleur
moyen d’augmenter sensiblement les savoir-faire tactiques collectifs est encore
de maintenir la stabilité des sections. A la fin des années 1970, le général
américain Don Starry assistait à une démonstration de tir d’une unité
israélienne (de réserve) de chars. Etonné par l’efficacité du tir d’un des
équipages, il leur demanda combien ils pouvaient tirer d’obus chaque année pour
être aussi bons. Les tankistes répondirent que six à huit suffisaient car ils
étaient ensemble dans le même char depuis quinze ans. Des hommes maintenus
ensemble dans des unités stables pendant des années finissent par créer des
obligations mutuelles et des compétences liées. Pour ma part, en onze ans de
vie en compagnie d’infanterie, j’ai eu le sentiment d’un éternel recommencement
du fait du sous-effectif chronique et de l’instabilité des sections. En trois
ans à la tête d’une section au 21e régiment d’infanterie de marine, j’ai
commandé soixante-trois hommes différents pour un effectif moyen sur les rangs
de trente. Cette mobilité est d'autant plus néfaste que les équipements individuels sont de plus en plus personnalisés et toujours fixes. Peut-être faut-il envisager des mutations avec équipements de combat.
Efforçons nous d’avoir des sections à effectifs
complets (en enlevant des comptes ceux qui sont en reconversion par exemple) ;
ralentissons le système de mutations des cadres, hérité de l’époque du service
national, pour maintenir les cadres et les soldats ensemble plus longtemps ;
arrêtons d’avoir une structure de section différente pour chaque mission et
nous verrons d’un seul coup augmenter les compétences de notre infanterie sans
grande dépense.
D’autres voies existent, à la fois culturelle
(développer une vraie culture de l’entraînement permanent jusqu’au plus bas
échelon, en tous temps et tous lieux) et organisationnelle, en desserrant l’étau
de la réglementation accumulée au fil du temps en matière de sécurité, en
supprimant certaines missions peu utiles, ou en faisant revenir les véhicules
tactiques dans les régiments (ce qui signifie avoir résolu le problème de leur
maintenance). D’une manière générale tout ce qui peut contribuer à la stabilité
des unités, à la facilitation de la vie courante et à la fidélisation,
contribue indirectement à l’élévation du niveau opérationnel.