Les forces armées
sont toujours organisées de manière classique, mais si elles sont désormais
majoritairement composées de professionnels, grande nouveauté
en Russie, avec de grands services – terre, air, marine, fusées et assaut par
air – relativement concurrents et dont certaines unités, d’élite et loyales à
leurs chefs plus qu’à toute autre chose. On pense à la 45e
brigade spéciale ou les brigades de Spetsnaz du GRU, le service de
renseignement militaire, qui pourraient facilement être utilisées dans un contexte
intérieur ainsi que le réseau d’espionnage Agentura. Mais les deux autres
services de renseignement, FSB et SVR, disposent également de leurs forces armées.
Dans l’absolu, le FSB, qui contrôle les gardes-frontières, disposerait d’autant
d’hommes en uniforme que l’armée de Terre russe. Dans les faits pour les coups
durs internes, le directeur Alexandre Bortnikov dispose surtout de ses deux
bataillons spéciaux, Alfa et Vympel. Le SVR de son côté et son chef Sergueï Narychkine,
dispose du bataillon Zaslon, à vocation internationale, comme son service.
Mais ce n’est
pas tout. En 2016, la garde nationale (Rosgvardia) est formée réunissant toutes
les forces d’intervention (OMON et SOBR encore plus spécialisées) et de maintien
de l’ordre de la police – là encore presque autant qu’une armée de Terre - sous
les ordres de Victor Zolotov, ancien garde du corps du maire de Saint-Pétersbourg
et partenaire de judo et de boxe de Vladimir Poutine. On trouve aussi le FSO,
le service de protection des personnalités, encore une force conséquente de 20 000
hommes dont le régiment du Kremlin, plus de 5 500, sous le commandement de
Dmitry Kotchnev, là encore choisi pour sa main de fer et sa fidélité espérée
totale. Il est possible que le prochain ministre de la Défense en soit issu
avec Alexeï Dioumine.
Et il y a enfin les
armées personnelles, comme les régiments tchétchènes de Ramzan Kadyrov, en théorie
intégrés à la Garde nationale mais en fait autonomes et bien sûr la désormais
bien connue société Wagner d’Evgueni Prigojine. Mais les gouverneurs peuvent
aussi former des bataillons de volontaires, et toute puissance économique,
comme Gazprom, ou tout oligarque pourvu qu’il obtienne un blanc-seing du
pouvoir peut transformer de l’argent en force armée. On peut même cumuler les choses,
on peut par exemple être ministre de la Défense, comme Sergueï Choïgou, et
disposer de sa propre petite armée privée Patriot.
Tout cela fait
beaucoup pour un seul État, mais c’est fait exprès. Quitte à avoir plusieurs
puissances militaires autonomes et forcément concurrentes dans un contexte mafieux
de partage du pouvoir et des richesses, autant en avoir beaucoup afin qu’elles
se neutralisent mutuellement. Cette « guerre des tours », par
référence aux tours du Kremlin, reste normalement discrète et contrôlée mais
pour peu que le leader tombe cette guerre feutrée entre tours peut basculer dans
la violence car avec l’éloignement de la démocratie et plus de 23 ans de
pouvoir personnel on imagine de plus en plus difficilement une transition
tranquille par la voie des urnes. On n’y est sans doute pas encore, Vladimir Poutine
semblant en bonne forme physique malgré toutes les rumeurs de maladie.
Ce qui est nouveau en fait est que ce système d’oligopole de la force légitime rencontre depuis plus d’un an une autre tradition depuis la révolte du cuirassé Potemkine en 1905 : les secousses politiques consécutives aux échecs militaires. La faiblesse de l’armée russe en Ukraine a donné par contrecoup plus d’importance aux armées privées qui y étaient engagées, surtout quand elles obtenaient de meilleurs résultats. Elle a autorisé aussi la contestation de la gestion de la guerre et la possibilité pour certains seigneurs de guerre de se mettre en avant jusqu’à tenter de défier le pouvoir. Seul, aucun de ces petits imperators n’a la masse critique pour l’emporter définitivement. Le vrai risque de déstabilisation surviendra lorsque plusieurs se coaliseront contre le pouvoir. Là la guerre des tours se transformerait véritablement en guerre pour le trône, dans un pays à plusieurs milliers de têtes nucléaires.
Pour les commentaires, allez ici
Merci pour votre travail particulièrement enrichissant. Je trouve cependant cette réflexion un peu plus courte que d'habitude si je peux me permettre s'agissant des forces armées. En particulier l'affirmation que les branches des forces armées et en particuliers "certaines unités, d’élite" seraient "loyales à leurs chefs plus qu’à toute autre chose", en citant les Spetsnaz ou Alpha. Je ne partage guère cette appréciation qui ne me semble pas reposer sur quelque exemple que ce soit. Au contraire, il suffit de constater leur comportement en d'autres périodes troublées (1991 et le refus d'intervenir d'Alpha) pour constater que ce n'est guère le cas... Et je ne vois guère de chefs à l'envergure et à la popularité telle que leurs unités pourraient être tentées de les suivre dans des entreprises putchistes actuellement (il y en eut au tournant du siècle).
RépondreSupprimerRéaction tardive de ma part : oui Boris, d'autant qu'il y a un service de sécurité militaire qui veille dans les forces armées russes et que celui-ci, contrairement à beaucoup d'autres pays, n'est pas interne à l'armée mais est une direction du FSB...
SupprimerPar ailleurs, "Agentura" veut simplement dire réseau d'agents, et j'imagine que le GRU n'est pas censé en entretenir à l'intérieur du pays, et au GRU aussi la sécurité/contre-espionnage du FSB est censée veiller.