Extrait de Les vainqueurs, à paraître le 30 août.
La deuxième opération
prévue par le plan de Foch est en fait une réédition du projet du 3 avril de
réduction de la poche allemande sur le plateau de Santerre en Picardie. Cette
opération préparée et commandée par Haig inclut initialement la 4e
armée britannique et la 1ère armée française, séparées par la route
d’Amiens à Roye. Réalisée quelques jours seulement après la réduction de la
poche de Soissons, elle illustre la méthode opérationnelle du
« martelage » qui consiste en une série d’attaques limitées le long
du front. Il n’est pas besoin, comme les Allemands, de réunir d’abord des
moyens considérables. Il suffit de renforcer au fur et à mesure les troupes en
place, mode opératoire rendu possible, encore une fois, par la richesse de la
logistique, la mobilité des renforcements et la polyvalence des troupes en
ligne. C’est en réalité la « doctrine Pétain » mais réalisée à un
rythme rapide.
L’attaque en Picardie
doit débuter le 8 août avec la 4e britannique et la 1ère
française puis s’étendre progressivement au nord et au sud pour finir par
engager six armées, trois britanniques et trois françaises, sur un front total
de 150 km de large. La 1ère armée française qui dispose initialement
de trois corps d’armées en ligne et a perdu ses réserves au profit de la
bataille de Champagne est renforcée dans les deux semaines qui précèdent
l’attaque. Par extension de son front au sud, elle prend le contrôle d’un corps
d’armée de la 3e armée. Le 2e Corps de cavalerie la
rejoint par la route ainsi que quatre divisions d’infanterie, en partie par
camions et en partie par voie ferrée pour les équipements lourds. Les groupes
d’artillerie de renfort sont motorisés, tractés ou rejoignent également par
voie ferrée. Le 6 août, ce sont deux bataillons de chars légers qui arrivent
par camions et le même jour, la division aérienne commence à rejoindre les
installations qui lui permettront d’être opérationnelle deux jours plus tard. La
mise en place et la préparation de tous ces moyens en quelques jours, et
notamment des 1 600 pièces d’artillerie, demande un travail d’état-major
particulièrement rigoureux mais qui est alors bien maîtrisé. Le général
commandant la 42e DI constate que « trois
jours ont suffi pour réaliser un programme analogue sur le plan des moyens, à
celui qui avait demandé des semaines d’élaboration dans les batailles de
Champagne en 1915 ou de l’Aisne en 1917 [1] ».
Tout cela se fait avec un grand souci de
discrétion. Les officiers chargés de la planification sont nominativement
désignés par les corps d’armée. Ils écrivent les ordres ou les tapent à la
machine à écrire eux-mêmes et l’usage du téléphone est interdit. Tous les
mouvements de mise en place s’effectuent dans les deux nuits précédant
l’attaque. Les forces de premier échelon ne se mettent en place que la veille.
Des avions volent dans la nuit la nuit pour couvrir le bruit des chars [2].
La maîtrise du ciel rend également plus difficile les reconnaissances aériennes
allemandes.
Pour autant, les Alliés ne peuvent manquer de
laisser des indices, une grande colonne de véhicules est repérée par un avion
allemand et des hommes capturés au nord de la Somme donnent des indications.
Cela n’éveille pourtant pas les soupçons. Les divisions allemandes sont
nombreuses mais installées sur des défenses seulement ébauchées, en partie sous
l’illusion d’une possible reprise de l’offensive vers Amiens. En visite
d’inspection de la 2e armée, le général von Kuhl, chef d’état-major
du prince impérial estime que « tout
est en ordre » [3]. La meilleure
protection des Alliés est que les Allemands ne croient pas à la possibilité
d’une attaque d’envergure aussi rapidement après celle du 18 juillet.
L’attaque a pourtant bien lieu. Le 8 août, après
une brève préparation d’artillerie et de nombreux obus fumigènes qui s’ajoutent
au brouillard, les Australiens, Canadiens et Britanniques la 4e
armée attaquent avec 14 DI et 324 chars moyens Mark IV et V. Le succès est
immédiat. Les Allemands sont totalement surpris. La 4e armée crée en
une journée une brèche de 15 km de front sur 8 km de profondeur.
La 1ère armée française dispose de 15
divisions mais de moins de moyens. La réserve générale blindée française n’est
pas encore assez importante pour alimenter une nouvelle grande bataille après
celle du Soissonnais. La densité d’artillerie disponible pour l’opération n’est
pas non plus considérable. En contradiction avec les directives de Foch demandant
des attaques générales, le général Debeney décide de manœuvrer de manière
originale en engageant successivement ses quatre corps d’armée sur deux jours au nord puis au sud et en faisant glisser au fur et à mesure les
moyens d’artillerie.
Le 8 août, la concentration des feux d’artillerie
lourde est au nord, derrière le 31e corps qui est engagé en premier.
Après seulement 45 minutes de préparation, cette masse d’artillerie lourde est
ensuite immédiatement déplacée 20 km plus au sud sur des emplacements préparés
pour appuyer l’attaque du 35e corps qui aura lieu le lendemain.
Pendant ce temps, lorsque le 31e corps a accompli sa mission, il
cède une partie de son artillerie au 9e corps voisin pour l’appuyer
dans son attaque qui a lieu quelques heures plus tard. Le lendemain le 35e
puis le 10e corps attaquent au sud du dispositif de la même façon. A
l’intérieur même des corps d’armée, les groupes d’artillerie peuvent glisser
d’une division à l’autre. Le 11 août, l’artillerie de la 42e DI est
amenée à travailler avec quatre divisions différentes [4].
La manœuvre latérale de l’artillerie est complétée par les frappes du
groupement Laurens de bombardement de nuit et de la division aérienne dans les
zones d’arrivée des renforts allemands [5]. Il y a alors dans la zone six fois plus d'avions que dans toute l'armée française en août 1914.
Le succès de la 1ère armée, qui réalise
en deux jours une poche de 15 km de profondeur sur 10 de large au nord de
Montdidier et une poche de 5 km sur 5 au sud, est moins spectaculaire que celui
de la 4e armée britannique mais reste très important. La 1ère
armée a fait 7 000 prisonniers en deux jours. Comme le 18 juillet, on a
tenté une nouvelle fois d’exploiter une percée éventuelle avec un groupement
comprenant une DI, un BCL et un régiment de cavalerie. Là encore,
l’encombrement du champ de bataille a finalement empêché les chars, à court
d’essence, et les chevaux de déboucher [6].
Le reste du 2e corps de cavalerie ne parvient pas non plus à
franchir. L’autre BCL, qui avait été réparti à raison d’une compagnie par
régiment d’infanterie à l’attaque, a obtenu de biens meilleurs résultats grâce
à une excellente coordination entre fantassins et sections de chars.
Foch, maréchal de
France depuis le 6 août, ordonne le prolongement immédiat de cette première attaque.
Haig, surpris par l’ampleur de la poussée réalisée les 8 et 9 août, hésite.
Hindenburg écrira plus tard dans ses mémoires : « il ne comprit pas l’importance de son succès initial. Il ne
poussa pas son armée jusqu’à la Somme, bien que nous n’eussions pu lui opposer
que des forces extrêmement faibles [7]».
Du côté français en revanche, la 3e armée se joint à l’attaque dès
le 10 août, avec ses seuls moyens et sans préparation d’artillerie. Elle
progresse de 12 kilomètres et fait à son tour 3 000 prisonniers. L’avance
générale est spectaculaire face à un ennemi qui se replie sur les anciennes
lignes de défense de 1916 où il reçoit des renforts. Les armées alliées sont
finalement arrêtées le 11 entre l’Avre et la Somme.
Au-delà du terrain
conquis et sans que les Alliés le sachent, l’opération du 8 août a eu des
effets stratégiques imprévus. Cette journée est qualifiée de « jour noir de l’armée allemande »
par Ludendorff qui présente sa démission le 10 en déclarant qu’il fallait mettre
fin à la guerre. Le Kaiser refuse la démission de Ludendorff et convoque une
nouvelle conférence le 13 à Spa avec les têtes de l’OHL et de l’exécutif.
Rassuré par le rétablissement du front le 11 août Ludendorff ne parle plus de
mettre fin à la guerre tout de suite mais avoue qu’« il n’est plus permis d’espérer que nous puissions briser, par
des actions militaires, la volonté de combattre de nos ennemis. Désormais la
conduite des opérations ne peut que se donner pour but de paralyser peu à peu,
par une défensive stratégique, la volonté de combattre de nos ennemis [8]». Le
14 août, on s’accorde sur l’idée d’entamer des négociations avec l’Entente via
les Etats neutres mais seulement après un succès militaire et sur la base du statu quo.
Cette nouvelle stratégie
impose cependant de reconstituer une nouvelle force de manœuvre. Le prince
impérial propose de raccourcir la ligne de front en se repliant de tous les
saillants pour résister sur la solide ligne Hindenburg.
Ludendorff hésite cependant encore une fois pour ne pas donner des signaux de
faiblesse mais aussi pour ne pas perdre tout le précieux matériel accumulé en
avant de la ligne. Tout au plus ordonne-t-il l’organisation d’une ligne de
défense nord-sud d’Arras à Noyon en passant par Bapaume, Péronne, la Somme et
le canal du Nord. Cette ligne est baptisée, avec beaucoup d’optimisme,
« position d’hiver ». Un nouveau groupe d’armées regroupant les 2e,
18e et 9e armées, est confié au général von Boehn avec pour
mission de défendre la Picardie.
Foch n’a cependant pas
l’intention de perdre l’initiative et laisser aux Allemands le temps
d’organiser une dernière opération offensive. Le 12 août, il édicte une
nouvelle directive qui élargit les combats sur toute la zone d’Arras à
Soissons. Le 17 août, deux semaines seulement après la prise de Soissons, la 10e
armée de Mangin, renforcée d’un corps de la 3e armée s’installe par
surprise sur une position d’attaque au nord de l’Aisne. Le 18, elle s’empare de
la position de couverture et fait 2 000 prisonniers. Le 20, c’est
l’attaque générale de la position de résistance à la manière du 18 juillet avec
l’appui de 480 chars. Dans ce « deuxième jour de deuil » pour
Ludendorff, la 10e armée fait encore 8 000 prisonniers. Dans la
nuit du 20 au 21, la 9e armée allemande entame son repli derrière
l’Oise et l’Ailette poursuivie par l’armée française [9].
Qu’une armée française soit capable de lancer une attaque aussi violente après
aussi peu de temps de récupération et de préparation est une nouvelle surprise.
La 10e armée est encore à l’attaque le 2 septembre et elle atteint
la ligne Hindenburg le lendemain [10].
Le relais est pris le
21 août par Haig avec les attaques des 1ère et 3e armées
britanniques entre Arras et Bapaume, en liaison avec de nouvelles poussées de
la 4e armée britannique et des 1ère et 3e
armées françaises, même si le GAR est ponctionné de 81 batteries d’artillerie
de tous types pour équiper la 1ère armée américaine en cours de formation [11].
Le 27, les 2e et 18e armées allemandes décrochent à leur
tour sur la « position d’hiver », quelques kilomètres en arrière. Le
29, cette position est attaquée par les cinq armées alliées. La 1ère
armée britannique la perce au nord et la 4e britannique au centre
dans la région de Péronne. La situation n’est plus tenable pour les Allemands.
Le 2 septembre, Ludendorff ordonne le repli général sur la ligne Hindenburg à partir de la nuit du 3 au 4
septembre. Il ordonne même le repli du terrain chèrement conquis en avril lors
de l’opération Georgette, rendant
ainsi inutile l’opération de reconquête prévue par Foch.
BCL :
bataillon de chars légers.
DI :
division d’infanterie.
GAR :
groupe d’armées de réserve.
OHL :
Oberste Heeresleitung, Commandement suprême de l’armée allemande.
[1] André Corvisier,
La vie d’une division française pendant
la guerre 1914-1918, Mémoire d’Histoire pour la maîtrise spécialisée
es-lettres, sous la direction du professeur Duroselle, Paris-Sorbonne, 1969, p.
237.
[2] Général
Daille, La bataille de Montdidier,
Paris, Berger-Levrault, 1922, p. 52.
[3] André
Laffargue, Foch et la bataille de 1918, Arthaud, 1967, p. 278.
[4] Général
Daille, op. cit., p. 81.
[5] Ibid. , p. 272.
[6] Ibid. , p. 107.
[7] Cité par
Jean-Yves Le Naour, op. cit., Format
Kindle emplacement 5407.
[8] André
Laffargue, op. cit., p. 287.
[9] Ibid.,
p. 293.
[10] Guy
Pédroncini, Pétain général en chef, Publications de la
Sorbonne, PUF, 1974, p. 416.
[11] Elizabeth Greenhalgh, The
French Army and the First World War, Cambridge University Press, 2014, p. 330.
Quand on imagine que l'armée allemande de 1918 est bien plus redoutable que celle de 1914, il est intéressant de noter la progression fulgurante de l'armée française, en retard en 14 et si redoutable en 18. On peut aussi apprécier l'inventivité du patron de la 1ère armée pour l'organisation de son artillerie. Je pense que les Allemands ont du se demander combien de canons les Français avaient-ils pu déployer...
RépondreSupprimerBel article mon Colonel !
De belles évidences, que vous rappelez fort à propos, et qui sont développées par le Col Goya dans son livre magistral La chair et l'acier.
SupprimerUne lecture salutaire, pour en finir avec le mantra de la France "toujours en retard d'une guerre" ou ne devant son salut qu'à ses alliés, fadaises jusqu'ici complaisamment répandues...
Hâte de lire l'ouvrage, précommandé à l'instant !
RépondreSupprimerQuand on imagine que l'armée allemande de 1918 est bien plus redoutable que celle de 1914, il est intéressant de noter la progression fulgurante de l'armée française, en retard en 14 et si redoutable en 18.
RépondreSupprimerJe pense qu'en 1918 les allemands ont quand même raclé le fond du pot pour réussir a maintenir en ligne des effectifs. D'autre part on ne parle pas assez de l'impact de l'arrière sur le moral des troupes allemandes, car si les soldats survivaient à l'arrière la population subissait le blocus.
Ensuite les allemands n'ont pas cru a l'origine au blindés et lorsqu'on voit l'utilisation que les français par la force des choses vont faire des ces matériels ainsi que l'utilisation de la force aérienne, leur création remonte a la fin de la première guerre mondiale et les théoriciens des panzers allemand ne l'ont pas inventé mais subit et récupéré, et nous nous l'avons oublié.
J'ai en mémoire un article relatant cette bataille dans un journal de l'époque où on explique l'organisation des unités blindés et leur emploi en bloc et manoeuvrant les fronts ennemis...
Ensuite il est clair que l'artillerie française nous a sauvé plus d'une fois au cours de la première guerre mondiale et à cette époque outre l'entrée en ligne des pièces d'artillerie lourde les régiments d'artillerie ont été réorganisés adoptant des matériels roulants abandonnant les avant trains et disposant d'une plus grande mobilité et plus grande puissance de feu . En outre les troupes avaient passé plusieurs mois a se former à l'emploi des nouveaux matériels.
Les allemands n'ont pas cru aux blindés, ce n'est pas si simple... Il faut se mettre dans le contexte
RépondreSupprimerLa stratégie des alliés de blocus naval portait ses fruits : les chars étaient hors de portée de l'économie allemande.
SupprimerPuisqu'il s'agit d'un extrait d'un livre à paraître, je me permet de relever la coquille suivante : "Des avions volent dans la nuit la nuit pour couvrir le bruit des chars".
RépondreSupprimerEn espérant avoir été de quelque utilité,
Cordialement,
Bugul Noz