Dans la seconde moitié des
années 1950, le « champ de bataille atomique » est la figure obligée
de la littérature militaire américaine. La grande innovation technique du
moment est alors la « démocratisation » de l’atome grâce à la miniaturisation. En
1953 apparaissent simultanément le premier moteur nucléaire (qui propulsera le
sous-marin Nautilus deux ans plus
tard) et le premier obus atomique, lancé par un obusier de 280 mm. Pour
beaucoup, la munition atomique est le moyen pour les forces terrestres
américaines de retrouver leur supériorité face aux masses communistes comme
celles rencontrées en Corée. Rétrospectivement certains pensent même que si les
armes atomiques avaient été disponibles en aussi grand nombre en 1950, il y aurait
eu moins de réticence à les utiliser et les Américains l’auraient forcément
emporté.
Le Field Manual 100-5 de 1954 intègre les armes nucléaires comme
artillerie super lourde dans la doctrine de l’Army. En 1955, le général Taylor, nouveau chef d’état-major,
déclare qu’ « une armée sans arme
atomique sur le champ de bataille du futur sera aussi impuissante que les
chevaliers français sous le tir des archers anglais » [1]. Sous son impulsion, toute une panoplie
est ainsi mise en place en une dizaine d’années seulement, depuis les
Honest-John, capables d’envoyer une munition de classe Hiroshima à 48 km
jusqu’aux roquettes M-28 Davy Crockett lancées à deux kilomètres et même les Special Atomic Demolition Munition
portables dans un sac à dos.
Il reste à déterminer
comment combattre dans un tel environnement, sachant que les Soviétiques
commencent à disposer d’un arsenal similaire à partir de 1957. Il y a alors
rapidement un consensus pour estimer que pour se préserver des coups atomiques,
il faut des grandes unités capables de mener un combat très mobile fait de
concentrations et de déconcentrations à partir de dispositifs dispersés. Les
divisions mécanisées, entièrement sous blindage, répondent à ce critère avec
l’avantage d’être protégées des radiations mais aussi avec cet inconvénient
majeur pour les Etats-Unis d’être très lourdes et donc difficilement
projetables au loin rapidement.
Maxwell Taylor propose donc
un autre modèle plus léger et très clairement inspiré de son expérience des
opérations aéroportées. En 1956, il impose une nouvelle division, dite «
pentomique », organisée autour de cinq petits régiments (Battle groups) formés, selon les besoins, d’un assemblage de
compagnies diverses. Ces unités légères à 14 000 hommes sont à la fois
projetables partout dans le monde et susceptibles de mener un combat tournoyant
à base de manœuvres rapides et de feux atomiques. Ce type de combat, testé en grandeur
nature avec des munitions nucléaires réelles lors de l’exercice Sage Brush, s’avère cependant très
complexe à gérer avec les moyens de l’époque.
On est cependant persuadé
que les nouveaux moyens de transport aérien et de transmissions notamment ne
manqueront pas de survenir qui résoudront le problème. Parmi ces moyens
émergents l’hélicoptère suscite beaucoup d’espoirs. En 1956, les Marines ont
mené un exercice d’héliportage d’une division complète depuis la mer et l’Army réfléchit à la mise en place à son
tour d’une division d’assaut aérien, réalisée finalement en 1963.
Les divisions d’infanterie
mobile d’Heinlein s’inscrivent clairement dans cette ambiance. Elles ne sont pas
organisées en cinq régiments comme les divisions pentomiques, mais en six (à
trois bataillons de quatre compagnies de trois sections). La structure est donc
lourde (il est toujours difficile de commander plus de cinq unités) mais
Heinlein envisage des états-majors de brigade ad hoc susceptibles de coiffer chacun plusieurs régiments, innovation
étudiée en 1959 et adoptée avec la nouvelle structure ROAD (Reorganization Objectives Army Division)
en 1965. Surtout, la polyvalence du fantassin mobile, blindé, bondissant et
surarmé permet de simplifier considérablement les structures. Si des armes
lourdes sont évoquées (mais qu’est-il possible d’utiliser de plus puissant que
les munitions atomiques que portent les fantassins ?), la division d’infanterie
mobile semble n’être constituée que de ses 216 sections avec en plus quelques
états-majors réduits, ce qui permet d’avoir à la fois une division de faible volume
(environ 11 000 hommes) et de très faible poids, tout en ayant une proportion
maximale de combattants de contact.
La section d’infanterie mobile
Le pion tactique de base
est donc la section d’infanterie mobile (platoon)
divisée en trois « tiers de section » (section) de deux groupes de combat (squad) de huit hommes, soit au total 53 hommes avec le chef de
section et le sous-officier adjoint. C’est une structure étonnamment archaïque dans
le futurisme ambiant, plus proche de celle des très lourdes sections
américaines de 1918 (59 hommes) que des unités des années 1950.
Les nombreuses études
menées depuis 1918 et notamment après 1945 (Conférence d’infanterie de 1946, Study of the Rifle Unit Study ou The Job of Combat Infantryman pendant la
guerre de Corée) ont toutes conclu à la nécessité d’organiser les sections en trois
groupes de combat et éventuellement un groupe d’appuis (mortiers,
mitrailleuses). Chacun des groupes doit obligatoirement être lui-même divisé en
équipes permanentes de 4 ou 5 pour fonctionner correctement. Les groupes de l’Army de 1956 comprennent ainsi un chef
de groupe et deux équipes de cinq (un chef d’équipe, un mitrailleur, un
grenadier et trois fusiliers). Ceux des Marines, de leurs côtés et comme dans
la campagne du Pacifique, sont forts de 13 hommes avec un sergent et trois
équipes de quatre.
Avec ses six groupes de 8
hommes, la section d’infanterie mobile serait particulièrement lourde à
commander même avec (ou peut-être à cause de) une interconnexion totale. Chacun
d’eux ressemble en fait à ceux de la Seconde Guerre mondiale avec son éclaireur
(scout), équipé plus légèrement, et ses
six fusiliers indistincts (en tenue de Marauders,
du nom des commandos de jungle américains engagés en Birmanie en 1944)
commandés par un caporal. Les
éclaireurs ont été abandonnés en 1947 dans l’US Army ainsi que l’idée de commander autant d’hommes
simultanément. Cela avait été à la source de nombreux dysfonctionnements et
d’une grande difficulté à manœuvrer à ce niveau.
Dans la section d’infanterie
mobile d’Heinlein, pris entre les sept hommes à commander par radio, et le
sergent, voire le chef de section, sur un autre réseau tout en menant son
combat propre, la charge cognitive des chefs de groupe de combat serait
particulièrement élevée et sans doute rédhibitoire. Il faut noter aussi que les
soldats d’Heinlein combattent de manière isolée, parfois à plusieurs kilomètres
de distance les uns des autres, ce qui, ajouté à l’effet d’enfermement des
scaphandres, et un environnement particulièrement hostile serait
particulièrement stressant. Ce stress serait en partie compensé par le
sentiment de protection de l’armure, la puissance des armes et le contact audio
mais il serait bien moindre avec une présence amie proche.
Dans la réalité, les
fantassins mobiles seraient probablement groupés au moins par binôme ne
serait-ce que être capable d’une mini-manœuvre (un appui pendant que l’autre se
déplace) et peut-être surtout une protection mutuelle. Comment imaginer par
exemple que l’on accepterait de dormir seul (même avec un sommeil hypnotique
forcé) potentiellement au milieu d’arachnides géants ? Dans les années
1950 seuls les chefs de groupe et de section sont, au mieux, en liaison radio, Heinlein
n’appréhende pas que même si tout le monde était sur un même réseau, cela ne permettrait
pas d’étendre la zone de combat de manière aussi considérable qu’il l’imagine.
Il y aurait plusieurs facteurs techniques, tactiques et psychologiques qui
pousseraient forcément à des regroupements.
Rapidement aussi, ces
fantassins polyvalents, à l’exception des éclaireurs, seraient probablement
spécialisés. Chacun d’eux en effet porte
plusieurs centaines de kilos de munitions et une multitude d’équipements. Cela
n’est pas, pour une fois, un problème de poids mais, là encore, de charge
cognitive. Il est en effet difficile pour un seul fantassin dans la pression du
combat et l’exigence de décisions rapides, de combiner efficacement lance-fusées,
lance-flammes, lance fusées, flammes, pyro-pilules, batteries Y sur le dos, etc,
tout en observant à la fois le terrain réel et l’écran de son casque le tout avec
un réseau radio en fond sonore. Heinlein envisage pourtant ce problème (avec « tout un tas de quincaillerie, qu’il doit surveiller et consulter
sans cesse, n’importe quel ennemi équipé plus légèrement […] pourra lui fracasser le crâne pendant qu’il
consulte ses verriers » [2] mais il le balaye en considérant la
facilité d’emploi du scaphandre de combat, extension des capacités humaines. En
réalité, il s’agit bien d’une extension physique (et on notera au passage le réflexe
de toujours empiler sur le fantassin le maximum qu’il lui est possible de
porter, même en scaphandre) mais non cognitive. On ajoutera qu’un scaphandre qui
comporterait 347 points à vérifier avant son emploi serait probablement une
source de stress supplémentaire sur le champ de bataille. Dans le roman, ils ne
tombent jamais en panne, dans la réalité un système aussi sophistiqué poserait
sans doute plus de problèmes avec des conséquences toujours fâcheuses.
La solution habituelle est
de simplifier la tâche de chacun en le spécialisant. Une petite équipe de quatre
fantassins mobiles spécialisés (combat rapproché, appui indirect, saturation,
précision, etc.) est plus efficace que quatre polyvalents et isolés, au prix
d’un effort de coordination (et donc d’un chef d’équipe qui n’existe pas dans
ST). Ils seraient également plus forts psychologiquement, l’interdépendance
créant plus de liens et d’obligations de comportement que le combat accolé et
indépendant.
Au bilan, la section
d’infanterie mobile décrite par Heinlein ne fonctionnerait pas bien dans la
réalité. Avec ces moyens du futur, les militaires des années 1950 auraient
conçu une section plus réduite avec des soldats regroupés en petites équipes,
de 2 à 4, au sein de trois ou quatre groupes. Ces équipes auraient été
probablement spécialisées, les éclaireurs, dont on ne voit pas très bien
l’utilité dans ST, seraient mieux utilisés groupés sous le commandement direct
du chef de section, dont ils formeraient aussi une petite réserve. Il y aurait également
probablement des équipes d’appui avec des armes de saturation (mitrailleuses longue
distance) ou de précision qui manquent cruellement dans ST.
Des hommes écrasés mais augmentés
Tout soldat est une
association de choses et d’idées, somme de compétences et de façons de voir le
monde ou les autres. Il est forcément le processus d’une alchimie complexe que Robert
Heinlein décrit en détail dans un long développement (100 pages) sur la période
de formation initiale, occasion aussi pour lui d’évoquer certains problèmes de
son époque.
Juan Rico passe ainsi
plusieurs mois dans le camp de formation initiale (Boot camp) Arthur Currie (commandant le corps expéditionnaire
canadien en Europe durant la Première Guerre mondiale), où il rencontre la
figure obligée du Drill instructor
(DI). La période qui suit est en tout point semblable à celle que connaissent
soldats et marines de l’époque, avec un entrainement « aussi dur qu’il est
possible » et volontiers brutal, verbalement et physiquement.
Le but premier de la
formation militaire est de créer des individus capables de résister à la
pression du combat avec cette difficulté évidentes qu’il n’est pas possible
d’en récréer exactement les conditions à l’entrainement. Une équipe de football
peut s’entrainer en jouant des matchs, une unité militaire ne peut s’entrainer
en menant des combats réels. On procède donc de manière empirique, soit en
essayant quand même de s’approcher le plus possible de ces conditions réelles
par la simulation (peu présente dans ST), soit on s’efforce de créer la
pression psychologique la plus forte possible sans tuer (ou sans trop tuer, il
y a 14 morts sur 2 009 dans la période de formation de la recrue Rico).
La méthode générale est
celui de la pression-compensation, que l’on retrouve dans tous les sports par
exemple, et qui consiste à forcer l’individu, voire à l’écraser, pour provoquer
en retour des adaptations organiques qui le rendront ensuite plus fort. Dans un
système de volontariat où chacun peut quitter la formation à tout moment, c’est
aussi un moyen pratique d’écarter automatiquement les « plus
faibles » et de conserver ceux qui ont le plus de potentiel
d’accroissement.
C’est également une
méthode d’acculturation (la recrue est dépouillée de sa vie antérieure pour
former une page blanche) et de création d’obligations de comportement. Une
unité militaire est un emboitement de liens, depuis les liens de camaraderie
des petits échelons jusqu’à l’esprit de corps, qui est un échange de prestige
(j’échange un comportement « honorable » en échange de la part de
prestige que me fournit le « Corps » lorsque je porte sa tenue et ses
attributs visibles). Plus le processus pour devenir membre du Corps qui a
initié la formation est dur et plus au bout du compte, par un autre phénomène
de compensation, l’attachement à ce même Corps est fort. Cette force de
l’attachement conduit aussi à justifier en retour le maintien voire l’amplification
de la dureté de cette formation.
C’est donc dans cette
formation initiale qui est un rapport entre des individus isolés et une
organisation formatrice que ce crée principalement l’esprit de corps, les liens
de camaraderie viendront par la suite avec l’intégration dans des cellules de
combat. Aux Etats-Unis, où les régiments
et les divisions sont traditionnellement formés à la mobilisation, ce sont les
grandes organisations elles-mêmes, comme le Corps des Marines, qui prennent en
charge cette formation dans des camps géants (deux seulement pour le Corps
alors qu’il représente presque le double de l’armée de Terre française).
L’attachement se fait donc directement au Corps plutôt qu’à des structures
intermédiaires comme des régiments. Juan Rico devient ainsi viscéralement
attaché à ses camarades de combat et à l’Infanterie mobile, qui ne dispose
semble-t-il et là-encore que de deux camps dans le monde (pour des classes
d’âge potentielle de dizaines de millions d’individus). Il n’est pas vraiment question
dans le roman des divisions, régiments ou bataillons. En Europe, en France et
plus encore au Royaume-Uni, ce sont plutôt les régiments, plus pérennes, ou des
« subdivisions fortes » (Troupes de marine, Légion étrangère,
Chasseurs alpins, etc.) qui forment les recrues et donc aussi l’attachement.
Lors de la publication de Starship Troopers, toutes ces questions
entrent en résonance avec les débats d’une société américaine qui s’interroge
sur la violence. Le 8 avril 1956, six recrues meurent noyées lors d’un exercice,
punitif, de nuit dans le camp de Parris Island (Ribbon Creek incident). L’affaire fait scandale et fait surgir un
mouvement de contestation des méthodes employés dans la formation des jeunes
recrues de l’Army et surtout des
Marines. On s’aperçoit alors que de 1951 à la fin de 1956, plus de cent
instructeurs du Corps sont passés en cour martiale pour leur comportement
brutal, ce qui témoigne à la fois de l’étendue du problème, de la surveillance
de l’institution comme de son incapacité à y faire face. Au début de 1957, un
autre DI est mis en cause pour avoir battu une recrue avec une barre d’acier et
de l’avoir fait marché avec du sable dans la bouche.
Une vague de protestation,
surtout portée par des mères de soldats, se développe alors, très vite
contrebattu par un autre mouvement conservateur, voire réactionnaire (au sens
de retour à des pratiques passées jugées meilleures) dont Heinlein fait partie.
Les « jours heureux » des années 1950 ne sont pas forcément perçus
comme tels à l’époque. La société des trente glorieuses est prospère mais elle
manque d’idéaux, doute et croit s’ennuyer (The
Lonely Crowd (1950) de David Riesman ou The
Organization Man (1956) de William Whyte ou même Un Américain bien tranquille (1955) de Graham Greene). Le problème
est surtout flagrant dans la jeunesse américaine où on constate un accroissement
spectaculaire de la délinquance juvénile (avec une multiplication par trois du
nombre de mineurs incarcérés dans la décennie 1950).
Pour ce mouvement conservateur
non seulement la formation militaire, si elle doit être encadrée, ne doit surtout
pas être adoucie de même que l’ensemble du système éducatif américain dont elle
est conçue comme partie intégrante. Aux lettres de mères dans le magazine Life (alors un espace majeur de débats)
succèdent une multitude de réponses et d’articles, en particulier de vétérans
(alors très nombreux) qui dénoncent les « bébés pleurnicheurs » que
la société envoie désormais dans les Boot
camps. La contre-offensive sur le thème du nécessaire paternalisme dur mais
juste s’exerce dans tous les domaines, avec les romanciers sympathisants comme
Heinlein mais aussi dans le cinéma, avec Jack Webb incarnant le paternel sergent
Jim Moore dans The D.I. (1957)
succédant à Richard Widmark, dans Take
The High Ground (Sergent la Terreur)
en 1953. En 1954, le Corps des Marines initie des stages d’adolescents (les « Devil Pups », avec un logo
dessiné par la Compagnie Disney) au camp Pendleton en Californie.
Dans l’ambiance volontiers
paranoïaque de la fin des années 1950, acmé de la menace communiste, qu’elle
soit insidieuse par la subversion ou terrifiante par les nouveaux missiles
intercontinentaux et l’explosion de la gigantesque Tsar Bomba (1961), les
forces armées ne sont plus contestées mais au contraire encouragées à demeurer
le réceptacle des valeurs fortes et le creuset de formation de la jeunesse. Les
méthodes d’entrainement sont même durcies dans cette période. Heinlein peut ainsi
à la fois contester l’idée d’un moratoire sur les essais nucléaires au sein
d’un mouvement politique qu’il crée avec sa femme et prôner le retour de la
virilité dans l’éducation des jeunes comme dans la formation militaire.
On notera qu’alors que le
service militaire volontaire décrit par Heinlein est ouvert à tous et toutes
(une loi de 1947 interdit toute forme de ségrégation dans les forces armées
américaines), les femmes sont totalement absentes de l’Infanterie mobile, ce
qui ne peut se justifier par une différence de capacités physiques puisque les
scaphandres de combat les annulent complètement. On notera cependant que,
jugées excellentes pilotes, elles sont en revanche très nombreuses dans la
Marine, y compris aux postes de commandement les plus élevés, ce qui a dû faire
horreur à l’Air force et surtout la Navy de l’époque.
Iron men
La transformation de
l’homme en soldat n’est pas complète tant qu’il n’est pas associé à des
équipements. Ceux de Starship Troopers
sont particulièrement spectaculaires et ont contribué au succès du livre ainsi
qu’à son influence. Chaque fantassin mobile est en effet un homme
considérablement augmenté par un scaphandre de combat d’une tonne et ses instruments
associés, à la manière du super-héros Iron
Man qui apparaît trois ans plus tard.
L’idée est dans l’air du
temps. En 1951, le lieutenant-colonel Robert Riggs, avait écrit un livre sur
les hordes de combat chinoises, où il exprimait alors à la fois le choc
provoqué par l’arrivée en Corée des Chinois, nombreux, rustiques et fanatiques
et l’idée qu’il n’était alors possible de les vaincre à l’avenir que « si nous conservons la supériorité
technique dans tous les champs expérimentaux, surtout dans le perfectionnement
du fantassin, ultime instrument de la guerre ». En 1956, dans la revue Army
(Soldier of the Future Army) et
surtout en 1958 dans le roman War 1974,
il expliquait plus en détail comment il voyait la guerre future entre ces
soldats américains modernisés et les « hordes rouges ».
La guerre future (années
1970) de Riggs est faite de coups atomiques et d’essaims de fantassins partant
à distance de gigantesques plateformes (avions, navires et sous-mains) à
propulsion nucléaire. Dans la zone des
combats, les avions sont alors jugés trop vulnérables aux défenses
anti-aériennes et surtout moins utiles que les missiles. Exit donc les raids de
bombardiers mais place à la Force d’assaut 3-D.
Cette force est constituée
de divisions volantes composées chacune de 5 régiments de 1 500 Big Helmeted Men (Heinlein décrira les
fantassins mobiles comme des « gorilles hydrocéphales ») en armures. Elles
sont précédées d’unités d’éclairage placées dans les têtes de missiles
balistiques qui s’ouvrent au-dessus de l’objectif larguant ces Warhead Warriors en parachutes
plastique. Les fantassins de Riggs ne volent pas avec leur propre tenue mais
sont portés ou accompagnés par toute une panoplie d’engins depuis les hélicoptères
nucléaires géants Hercule (30 tonnes de capacité) jusqu’aux jeeps volantes en
passant par des air-tanks et des drones de reconnaissance.
Une fois au sol le soldat est
protégé par une armure en plastique, un casque intégral en acier-plastique (ou
en titane dans War 1974), un masque à
gaz et un imperméable en plastique. Grâce à la miniaturisation, il dispose
d’une radio (le 1er casque audio est expérimenté en 1956), de
capteurs infra-rouges (« ce sera le coup
de grâce pour les guérillas communistes dans la jungle ») et d’un radar de
poche. Outre un fusil d’assaut léger et à longue portée, il possède un bazooka
miniature et une pelle pour creuser rapidement un trou de protection. Il existe
aussi pour les unités d’appui une panoplie de mitrailleuses, mortiers et
surtout lance-roquettes avec une gamme étendue de projectiles guidés. Au repos,
le soldat du futur (qui dispose d’un
emplacement dans son armure pour mettre un paquet de cigarettes) peut se
nourrir grâce à sa ration de pilules cachée dans une botte.
L’ingénieur Heinlein a
servi pendant la Seconde Guerre mondiale (avec Isaac Asimov et Sprague de Camp)
dans les services techniques de la Navy [3], où il a travaillé sur les tenues
et les matériaux utilisés par l’Aéronavale. Il connait forcément tous les
projets de vol individuel de l’époque comme l’hélicoptère individuel Hiller VZ-1 Pawnee (1955) ou la jeep-soucoupe
Avro VZ-9 (1959) et il a très certainement lu Riggs, tant les
similitudes sont nombreuses.
Toutes ces idées sont
alors des projections considérées comme réalistes. Dans l’An 2000, publié par l’Hudson Institute en 1967, l’emploi généralisé
des moteurs et explosifs nucléaires mais aussi les engins légers à décollage
vertical, l’apprentissage hypnotique, les bases lunaires, l’hibernation, le
sommeil contrôlé sont considérés comme hautement probables avant la fin du
siècle. Heinlein a puisé dans ce bouillonnement d’idées y compris dans ce qui
s’est effectivement réalisé comme les moyens de communications portables à
grande distance. Il a puisé également, avec les Talents spéciaux, dans la mode
naissante des pouvoirs paranormaux ou, plus exactement, des perceptions
extrasensorielles.
Son apport le plus
intéressant et novateur est le scaphandre (powered
armor) de Juan Rico et ses camarades, à la fois tenue de combat telle que
le décrit Riggs et exosquelette fonctionnant selon les principes de la jeune
science cybernétique (en particulier le feedback amplificateur). Le premier
vrai exosquelette motorisé moderne, le HARDIMAN, apparaît en 1965 dans les
laboratoires de General Electric très probablement sous l’influence du roman
d’Heinlein. C’est cependant un échec et le prototype est abandonné quelques
années plus tard avant de servir d’inspiration au Caterpillar P-5000 Work Loader utilisé par Ripley dans le Aliens de James Cameron en 1983 (ainsi
que beaucoup d’autres choses de Starship
Troopers).
Pour imaginer son
scaphandre, Heinlein s’est à coup sûr inspiré des récits de Space opera de son ami Edward Elmer
Smith (en particulier les tenues spatiales des héros du cycle Lensmen publié de 1934 à 1950) et
peut-être du personnage de Creakyfoot
où le héros est à l’intérieur d’un robot dans Champion Robot de E.R. James en 1953. Dans tous les cas, Heinlein
est celui qui décrit le plus clairement le concept et qui aura de loin le plus
d’influence.
Par sa polyvalence qu’il
autorise, le scaphandre de combat permet finalement au héros ordinaire
d’accéder quand même à l’extraordinaire même s’il ne gagne pas la guerre à lui
seul.
(à suivre)
[1] Linn Brian McAllister, The Echo of Battle: The Army's Way of War, Harvard University
Press, 2007.
[2] Robert A. Heinlein, Etoiles, garde-à-vous !
Jai Lu, 1974, p. 123.
[3] Naval
Aircraft Factory Engineering Division et Naval Aviation Experimental Station.
J'espère qu'il y aura un commentaire similaire sur "La Guerre Éternelle" de Haldemann.
RépondreSupprimerMoi aussi ! Les deux œuvres (et leurs auteurs) sont quasi toujours cité en opposition...
SupprimerOui ça viendra. J'ai beaucoup aimé aussi La guerre éternelle.
SupprimerSerait-il possible aussi de faire un commentaire sur "World War Z" (le livre, bien sûr) ?
RépondreSupprimer… Au sein de l'univers de la saga Vorkosogan, la planète Barrayar fondée par 50 000 Russes, Grecs, Britanniques et Français a vécu coupée du reste de l’humanité pendant plusieurs siècles, du fait de la disparition de son point de saut. Au cours de ce « Temps de l’Isolement », ses colons ont édifié une société de type moyen-âgeux dominée par des castes militaires. Barrayar, d'abord agitée par de nombreuses guerres intestines, entame une guerre longue contre les expansionnistes Cetagandan depuis la découverte d’un point de saut la reliant à nouveau au reste de l’humanité. Le second intérêt de la saga est la modernisation de cette société féodale et guerrière au contact de ses adversaires. Parmi les personnages de cette saga, Miles Vorkosigan, fils du Régent de Barrayar, malencontreusement né " mutant ", car il est de petite taille, difforme et aux os fragiles, va compenser son désavantage physique grâce à sa créativité et sa roublardise après sa sortie de l'Académie militaire … Poul Anderson (1926-2001), 7 fois lauréat du prix Hugo et 3 fois du prix Nebula, est considéré comme un maître avec le cycle de La Patrouille du temps, Guardians of time, débuté en 1960. Ce classique incontournable du Time opera repose sur une idée de base simple : si le voyage temporel existe, il est nécessaire de disposer d'une police d'agents spatio-temporels chargée d'éviter les dérapages temporels. Pour empêcher des individus ou des organisations mal intentionnés de reconstruire l'histoire en la modifiant, autrement exprimé se livrant à des manipulations uchroniques, la « Patrouille du temps » disposant de bureaux et d'agents à toutes les époques a été créée ...
RépondreSupprimerLa branche dite " technique " s'intéresse à la dimension purement technique de la guerre : logistique, psychologie, stratégie, technologie, géopolitique, etc. Les motifs et les buts importent peu, l'auteur s'attachant aux moyens. C'est un exercice de logique pure : comment, dans un futur plus ou moins proche, la guerre devra-t-elle s'adapter au contexte spatial ? Le cycle romanesque Honor Harrington entamé en 1993 par David Weber décrit un conflit opposant une démocratie à un régime totalitaire à l'ère spatiale. Marine de l’espace, affrontements inter-stellaires, ce cycle adapte la tradition du roman d’aventures de mer à la science-fiction. Par la cohérence technologique de son univers et la précision du récit, David Weber y renouvelle le space opera classique. Les techniques et tactiques utilisées évoluent constamment au fil du récit. S'y ajoutent les soucis de morale de l'héroïne Honor, qui doit louvoyer entre la politique et la lourdeur des traditions, et l'ambiguïté du rôle d'une armée devant défendre une civilisation qui n'a guère conscience des sacrifices de celle-ci. Bonne lecture de congés d'été.
Autre style mais absolument passionnant c'est "Legend of the Galactic Heroes".
RépondreSupprimerhttps://m.youtube.com/watch?v=SL-m6RzphmA
Il y a de (bonnes?) vieilles habitudes qui ne changent quasiment jamais:
RépondreSupprimer"et on notera au passage le réflexe de toujours empiler sur le fantassin le maximum qu’il lui est possible de porter, même en scaphandre."
L'infanterie légère, celle qui n'avait "que" 15 kilos d'équipements sur le dos a disparu.
Dans les romans et dans le réel. Pourtant elle marchait bien. Trop bien peut-être?
Très intéressant: "Rétrospectivement certains pensent même que si les armes atomiques avaient été disponibles en aussi grand nombre en 1950, il y aurait eu moins de réticence à les utiliser et les Américains l’auraient forcément emporté."
RépondreSupprimerEmporté sur le théâtre coréen en 1950, oui. Mais si les US n'avaient pas enchaîné sur la 3eme guerre mondiale immédiatement (et on ne voit comment ils auraient pu le faire vu le faible mandat politique), le programme nucléaire soviétique continuait. Et en 1957, on affrontait les masses rouges équipées nucléairement, en ayant levé nous-même le tabou atomique.
Au final, le maintien de ce tabou est la vraie victoire stratégique américaine en Corée qui compense le demi-échec tactique, puisqu'il a effectivement désarmé les soviétiques pour le reste de la guerre froide.
Pour l'entrainement, ils s'inspire énormément des spartiates. Le passage où le héros doit survivre seul sans rien dans le désert rappelle le jeune spartiate démuni qui doit vivre caché le jour et voler la nuit pour survivre. La cryptie.
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