samedi 30 mars 2013
jeudi 21 mars 2013
De la crise à la faillite de l’outil de défense ?
Ceci est la version originale du texte publié et légèrement transformé dans Le Monde (ici)
Le ministère de la Défense
est en crise budgétaire. Cette crise était rampante depuis 1991, elle s’est
accélérée depuis 2008 et elle est désormais susceptible de se transformer en
faillite en fonction des choix qui seront exprimés dans le futur Livre blanc de
la défense.
Rappelons certaines
données. En 1990, lorsque se déclenche la guerre du Golfe et se termine la
Guerre froide, la France parvient, difficilement, à projeter en Arabie Saoudite
une force de 58 avions de combat et une unité terrestre de 12 500 hommes équipés
de 130 hélicoptères et 350 véhicules de combat. La modestie de cette capacité d’engagement
extérieur au regard de notre potentiel militaire fait alors débat.
Vingt-deux
ans plus tard, où en sommes-nous ? Au fil des Livres blancs et Loi de
programmation, l’objectif d’engagement est passé de 50 000 à 30 000 hommes,
pour se rapprocher dans les réflexions
en cours des 20 000, voire des 15 000 hommes projetés, c’’est-à-dire
guère plus que pendant l’opération Daguet en 1990. Ce qui a singulièrement
changé en revanche, c’est le potentiel militaire qui sous-tend cet engagement. L’armée
de terre, pour ne citer qu’elle, dispose de trois fois moins de régiments, de
six fois moins de chars de bataille et de pièces d’artillerie, de deux fois
moins d’hélicoptères qu’à la fin de la Guerre froide. Il en est sensiblement de
même pour l’armée de l’air dont les composantes de transport et surtout de ravitaillement
en vol sont à bout et qui aurait du mal à engager simultanément les 70
appareils de combat demandés. Alors certes, les équipements ne sont plus tout à
fait les mêmes, et effectivement quand on regarde nos troupes engagées
actuellement au Mali on aperçoit des matériels nouveaux comme l’avions Rafale, l’hélicoptère d’attaque Tigre ou le véhicule de combat blindé
d’infanterie (VBCI). Leur nombre est cependant encore restreint (3 Tigre, 6 Rafale, 25 VBCI au Mali) au milieu de centaines d’autres engins
identiques à ceux de la guerre du Golfe.
Autrement-dit,
malgré la professionnalisation et environ 200 milliards d’investissement
matériel, nous en sommes revenus sensiblement aux mêmes capacités d’engagement qu’il
y plus de vingt ans pour un potentiel total bien moindre. En termes
économiques, lorsque les financements nouveaux ne permettent pas d’augmenter la
valeur des actifs, ni même d’empêcher leur dégradation cela s’appelle un régime
de « cavalerie » et celui-ci est généralement le résultat d’une phase
d’optimisme sans vision à long terme.
En
France, cette phase est survenue au début des années 1990 et a eu pour nom « dividendes
de la paix ». Ces « dividendes », il n’est pas inutile de le
rappeler, avaient déjà pour objet de participer au rétablissement des finances
publiques, avec cet immense avantage que l’effort était demandé au seul
ministère dont l’immense majorité du personnels est non-syndiqué. De fait, le
budget de la défense est passé de 36 milliards à 29 milliards d’euros de 1991 à
2002 avant de se stabiliser ensuite à 32 milliards hors pension. Avec le même
effort qu’en 1990, il serait actuellement de 65 milliards d’euros.
Cette
ponction n’a pas empêché le quadruplement de la dette publique durant la même
période. Surtout, par son caractère immédiat et brutal sans remise en question
des grands programmes industriels lancés dans les années 1980, elle a, en revanche,
placé l’outil de défense dans une situation de tension qui a rapidement évolué
en crise rampante. On aurait pu s’interroger sur la pertinence d’acquérir ces
équipements de haute-technologie prévus pour un affrontement bref et
paroxysmique sur le sol européen alors que tout indiquait qu’il s’agirait
désormais de combattre au loin et longtemps des organisations non-étatiques.
Cela n’a pas été le cas. On s’est donc retrouvé avec la nécessité de financer
avec moins de ressources de nouvelles
générations d’équipements au coût d’acquisition et de possession en moyenne
quatre fois supérieurs à ceux qu’ils remplaçaient. Le tout dans un contexte d’engagement
qui n’a été jamais été aussi intense depuis la fin de la guerre d’Algérie.
Jamais autant de soldats français ne sont tombés au combat que depuis que nous touchons
les « dividendes de la paix ».
La
gestion à court terme de cette contradiction par réduction et ralentissement
des commandes n’a finalement fait qu’aggraver le problème financier en faisant
exploser les coûts unitaires (jusqu’au paradoxe d’avoir des programmes
finalement plus couteux que prévus pour moins d’engins livrés) et en obligeant
à maintenir des matériels anciens dont les coûts d’entretien se sont accrus. A
cette gestion à courte vue des programmes industriels se sont ajoutés les coûts
imprévus de la professionnalisation et de l’accroissement des opérations
extérieures. Les difficultés budgétaires
n’ont donc pas cessé alors que le taux de disponibilité des équipements majeurs
diminuait nettement.
L’incapacité
à résorber cette « bosse budgétaire », proche en volume de la dette de l’Etat
de Californie, a conduit ensuite à ponctionner le budget de fonctionnement par
une réduction drastique des effectifs. Cette réduction de 54 000 postes en
cinq ans, soit un sixième du total, a certes permis de financer environ 3 % de
la loi de programmation mais au prix d’une rationalisation organisationnelle
qui a introduit une plus grande rigidité et une plus grande fragilité des
structures de soutien. Le problème du logiciel de paiement Louvois n’est que la
manifestation la plus visible et la plus irritante.
Après
plus de vingt ans de restriction budgétaire, les armées ne se sont pas encore
remises de la ponction brutale des années 1990. On ne peut qu’imaginer les
conséquences catastrophiques d’une nouvelle réduction du même ordre sur des
capacités opérationnelles au point de rupture mais aussi sur des pans entiers
du troisième secteur industriel français. Nous ne leurrons pas, cette faillite
budgétaire se doublera vraisemblablement d’une crise morale dont on peut
percevoir déjà certains signes mais dont on ne peut prédire les manifestations.
samedi 16 mars 2013
Mourir pour Sarajevo ?-Un livre de Maya Kandel
Prologue
J’étais un casque bleu, parcelle de « geste fort diplomatique », expression que je ne percevais pas encore comme un oxymore. J’ai pénétré dans Sarajevo assiégée, le 7 juillet 1993.
Le
cubisme des médias français qui nous présentait la situation avec ses grands
carrés de bons, de brutes et d’impuissants fit presque tout de suite place à
l’expressionisme d’un réel sinistre et tordu. Les pavillons de Rajlovac
défoncés par les coups d’un marteau géant, les kilomètres déserts de
« Sniper Avenue », les graffitis « Welcome
to Sarajevo » ou « Apocalypse
Now » (devenu Apocalypse Snow, l’hiver venu) sur les murs de béton gris, les habitants
furtifs comme des souris d’un laboratoire géant, tout cela relevait plus du
cauchemar que du monde réel.
L’expressionisme
s’est vite teinté de surréalisme. Notre mission était alors de protéger la
ville contre les Bosno-Serbes tout en respectant une stricte neutralité, à
partir d’une patinoire, sans armes lourdes, en véhicules blancs et casques
bleus, et en n’ouvrant le feu qu’en situation de légitime défense. Pas un
d’entre nous qui ne trouvait déjà cela absurde mais ce n’était pas tout. Dès
notre premier blessé, une heure après notre arrivée, nous comprimes que non
seulement la ville était assiégée mais qu’elle vivait aussi sous la coupe de
petits seigneurs de guerre urbains et que nous aurions à nous battre et à nous débattre
pour donner un sens à cette mission.
Le
soldat voit bien les choses mais il en voit peu. Je restais pendant des années
dans l’incompréhension de ce délai à peine croyable de trois années entre la
découverte de l’inacceptable et sa fin, par finalement à peine plus qu’une
démonstration de force de la part des Occidentaux. Je remercie Maya Kandel de
m’avoir donné la clef de ce mystère : militairement rien de grand n’ose
plus se faire sans les Américains mais ceux-ci sont dépendants d’un processus
de décision complexe et donc parfois lent.
Le
premier mérite de cette remarquable étude, une des très rares sur cette
question, est de nous faire comprendre cela. Le processus de décision américain
est très différent du notre. Là où le Président de la République a un pouvoir
quasi-discrétionnaire de l’emploi de la force armée, le Président des
Etats-Unis ne fait pas la guerre sans une décision du Congrès et
particulièrement du Sénat. Cette décision elle-même est le fruit d’un long
travail de persuasion jusqu’à atteindre cet effet de seuil à partir duquel tout
s’accélère.
J’évoquais
le cubisme grossier des médias pour décrire ce qui pouvait se passer en Bosnie,
Maya Kandel, fait, elle, de la peinture flamande décrivant avec couleur et précision
pour l’enchaînement inexorable de la décomposition politique et morale
yougoslave accompagné de la création parallèle d’une population de lobbyistes à
Washington. Les agents d’influence divers, hommes d’affaire, journalistes,
conseillers, se concentrent autour du Sénat des Etats-Unis comme les
Bosno-Serbes assiègent Sarajevo, car tout le monde a compris qu’il s’agissait
là finalement des deux centres de gravité clausewitzien du conflit en ex-Yougoslavie,
une course de vitesse s’engageant entre les deux sièges.
Cette
course va durer trois ans au rythme de la progression lente de l’idée de
l’intervention armée portée par quelques hommes et femmes convaincus et des
hésitations du jeune président Clinton. Il faudra encore six actes, décrits en
autant de chapitres, pour surmonter la réticence à s’engager militairement en
Europe pour la première fois depuis la Seconde guerre mondiale et effacer le
fiasco somalien.
On
voit là toute la difficulté opératoire de ce processus complexe de décision de
l’emploi de la force armée, avec les tentations qui en découlent pour
l’exécutif comme l’action clandestine (visible très tôt sur place en Bosnie),
le contournement par l’emploi des sociétés militaires privées, qui débute
véritablement avec l’emploi de la société Military
Professional Resources Inc. en Croatie, ou au contraire la sur-mobilisation
des esprits y compris par la manipulation des informations afin d’obtenir le
consentement du Congrès (l’exécutif devient alors le premier lobbyiste).
On
en voit aussi toute la force. Le processus est peut-être lent mais il implique
les représentants de la nation et par là-même et souvent même avant eux, la
nation elle-même. Une fois votée et lancée, l’action militaire est elle-même
forcément soutenue. Portée par la puissance des moyens mais aussi par un grand
volontarisme, elle devient alors presque inexorable.
Dans
tout ce mouvement et ces jeux d’influence, Maya Kandel n’oublie pas d’évoquer le
rôle essentiel de quelques personnalités, comme Bob Dole ou Joe Biden, qui se sont
battus pendant des années jusqu’à l’intervention finale. Ils ont fait honneur à
la démocratie américaine, qui s’en est trouvée grandie.
Issu
d’un travail de thèse récompensé en 2010 par le prix scientifique de l’Institut
des hautes-études de défense nationale, Mourir
pour Sarajevo ? est un document unique à la fois sur cette période
sombre de l’histoire de l’Europe mais aussi sur les institutions américaines et
leur fonctionnement. Dans un contexte de doute pour les nations de l’Europe et
où les Etats-Unis sont encore persuadés, non sans raison, que le reste de
l’univers a encore besoin d’eux, cette lecture est doublement indispensable à
ceux que le monde intéresse.
Maya Kandel, Mourir pour Sarajevo ? Les Etats-Unis et l'éclatement de la Yougoslavie. CNRS Editions, 2013.
jeudi 14 mars 2013
Pourquoi le PSG n’écrase-t-il pas ses adversaires ?
Après
la 28e journée de la saison 2012-2013, le Paris-Saint-Germain est en tête de Ligue 1 de football. Cela
paraît normal compte-tenu de la quantité de stars que ce club compte dans ses
rangs. Ce qui est plus étonnant en revanche, compte tenu de ses moyens, c’est
sa faible avance sur les autres (4 points sur le numéro 2) et finalement son
mauvais rendement. Si la compétition s’arrêtait-là, le PSG aurait dépensé 5,25
millions d’euros pour chaque point obtenu contre 2,7 et 2,2 millions pour Lyon
et Marseille. Le PSG n’est par ailleurs qu’à 9 points de Saint-Etienne qui ne
dépense « que » 1 million d’euros par point. Le record de rendement est sans
doute le fait d’Ajaccio avec 500 000 euros de budget dépensé par point, soit
dix fois moins que le PSG. Pire encore, il arrive que le PSG soit battu par des
équipes (Reims) dont le budget total est trois fois inférieur à sa seule masse
salariale (59 millions d’euros, le salaire du seul Ibrahimovic équivaut presque
au budget du club de Troyes).
Il
existe plusieurs explications pour expliquer ce phénomène comme le jeu lui-même
qui occasionne de nombreux matchs-nuls. On peut constater aussi ce phénomène
étrange que la réunion de champions « galactiques » dans un groupe, sportif ou
non, donne très souvent un rendement inférieur à celui escompté en faisant la
somme des compétences individuelles.
L'expérience des rats plongeurs réalisée par Didier Desor à Nancy peut nous donner un début
d’explication. Un groupe de rats placés dans une cage face à une piscine dont
le franchissement est indispensable pour accéder à une mangeoire distribuant
les aliments finit toujours par établir une hiérarchie et se répartir les rôles
en fonction de cette hiérarchie. Le plus intéressant est que lorsqu’on forme de
nouveaux groupes avec des rats identifiés comme leaders, ils récréent
inversement une nouvelle hiérarchie où certains dominants acceptent finalement
un rôle plus passif. Inversement, de nouveaux leaders apparaissent dans les
groupes qui en sont privés. De la même façon, il semble que dans tout groupe en
action, sportifs, ouvriers, militaires, etc. il existe une répartition des
rôles implicite en fonction des compétences et de la personnalité qui se superpose
à celle, explicite, des fonctions et des postes. Des acteurs très volontaires
dans un groupe donné seront ainsi plus passifs s’ils se trouvent à côté
d’individus qu’ils jugent plus compétents qu’eux. Cette répartition entre
acteurs et figurants est par ailleurs plus efficace qu’un groupe qui ne
comprendrait que des leaders.
Un
groupe d’élite, un commando ou une équipe nationale de sport, va donc passer
par une phase d’ajustement des personnalités avec deux effets négatifs
possibles : le manque de cohésion par la confrontation des egos et le moindre
rendement individuel de ceux qui se résignent
un rôle secondaire. Au bilan, ce groupe d’élite sera certainement bon
mais moins qu’on n’aurait pu l’imaginer au simple regard des qualités de
chacun. Inversement, dans les groupes « écrémés » de leurs meilleurs éléments,
des individus « sur le banc » ont l’occasion de se révéler. Le comportement des
équipes privées des internationaux est ainsi souvent supérieur à ce que l’on
aurait pu attendre.
L’inefficience
relative du groupe d’élite peut être compensée par une intervention extérieure
(un coach, un supérieur militaire) qui impose la répartition et de ce fait même
en réduit les tensions puisqu’on ne cède pas devant un partenaire mais on obéit
à un ordre. Elle peut surtout être transcendée par le contexte et son enjeu.
C’est évident pour des soldats engagés dans une action dangereuse, c’est plus
subtil pour des sportifs mais c’est ainsi que l’on peut interpréter la
déclaration de Léonardo expliquant que l’équipe du PSG est finalement plus
faite pour la Ligue des champions que pour jouer contre Reims.
samedi 9 mars 2013
Sun Tzu en France-un livre de Yann Couderc
L’art
de la guerre est reconnu comme étant un des classiques de la stratégie. Pourtant, son
œuvre est beaucoup moins étudiée que celle de Mao ou de Guibert, sans
parler de celle de Clausewitz.
Yann
Couderc est un des premiers à se livrer à une analyse minutieuse du traité de
Sun Tzu. Officier d’active, breveté de l'École de Guerre, il s'est pris
d'intérêt pour ce monument chinois et en réalise aujourd’hui une étude
rigoureuse. Déjà animateur du blog Sun
Tzu France (http://suntzufrance.fr) exclusivement consacré aux recherches et réflexions sur
cette œuvre, auteur de nombreux articles sur le sujet, il nous livre
aujourd’hui son premier ouvrage : Sun
Tzu en France.
Sun Tzu en France propose une étude inédite sur L’art de la guerre de Sun Tzu. L’ouvrage
retrace l’histoire de la réception du célèbre traité en France et analyse les
différentes traductions qui sont aujourd’hui proposées au public francophone.
Yann Couderc répond à une multitude de questions sur Sun Tzu : Quand l’a-t-on
découvert en France ? Quel accueil lui a-t-on alors réservé ? Combien
de traductions françaises existe-t-il aujourd’hui ? Pourquoi sont-elles si
différentes ? Napoléon s’est-il inspiré de Sun Tzu ?...
La
première partie de l’étude, intitulée « Réception de Sun Tzu en
France », montre que l’apparition de L’art
de la guerre en France remonte à 1772, grâce à la traduction d’un jésuite basé
en Chine, le père Amiot. Mais cette première introduction de Sun Tzu sombra
immédiatement dans l’oubli, notamment à cause de sa concomitance de parution
avec l’Essai général de tactique du
comte de Guibert. Si quelques petits soubresauts se manifestèrent ensuite, L’art de la guerre ne sortit jamais
réellement de sa léthargie durant les deux siècles qui suivirent. Le véritable
élément déclencheur fut l’arrivée en France, exactement 200 ans plus tard, de
la traduction du général américain Samuel Griffith. Probablement parce
qu’apparaissant à un moment propice de recherche stratégique, cette édition
connut un indéniable succès auprès des militaires. Elle resta toutefois relativement
cantonnée à ce milieu, jusqu’à ce que Valérie Niquet apporte en 1988 aux
éditions Economica sa propre traduction directement du chinois au français. Dès
lors, le nom de Sun Tzu se banalisa auprès du grand public, d’autant plus que
le monde de l’entreprise et du commerce s’empara du stratège chinois. La
popularisation se manifesta de façon flagrante à partir des années 2000, où
chaque année vit paraître une à deux nouvelles traductions en moyenne.
La
deuxième partie du mémoire, intitulée « Sun Tzu en français », met en
lumière toute l’élasticité que peut revêtir une version française de L’art de la guerre. L’auteur montre que
traduire Sun Tzu s’avère en effet bien plus compliqué que traduire Clausewitz
ou Mao Zedong (prise en compte de textes originaux différents, erreurs de
traductions, pertes dues à des traductions successives, choix devant être
réalisés face à la polysémie des caractères anciens, etc.). L’étude montre bien
que le lecteur français se trouve aujourd’hui devant une palette de textes dont
les différences sont par endroits réellement fondamentales. Au final, la simple
étude comparative des éditions françaises met en lumière combien le traité de
Sun Tzu est définitivement plus long et complexe à lire que les quelques
dizaines de pages qui le composent le laisseraient penser de prime abord.
Paru
aux éditions Nuvis, ce livre de 224 pages est agrémenté de très nombreuses
illustrations couleur. La démarche, autant historique que philologique, aboutit
à nous faire mieux appréhender ce classique de la stratégie qu’est L’art de la guerre. Le public visé est
le lecteur francophone non-sinologue. L’étude vient d’ailleurs d’être récompensée
du Prix scientifique de l’IHEDN. L’ouvrage a même retenu l’attention de Jean-Pierre
Raffarin (l’ancien Premier ministre est un grand connaisseur de la Chine), qui
en a assuré la préface.
mardi 5 mars 2013
La victoire du Tigharghâr
Ces opérations sont importantes car nous
abordons là sans doute le centre de gravité du dispositif d’AQMI au Mali. Il n’y
a rien là de très surprenant. La zone administrative de Kidal constitue la base opérationnelle d’AQMI et de son allié touareg Ansar Eddine, dont plus personne ne parle. Dans cet ensemble, le djebel Timetrine à l'Ouest est isolé et
le Tamesna à l'Est est aride et peu propice au camouflage. La vallée du Timlési est un axe logistique essentiel
entre le fleuve Niger et l’Algérie, mais elle peut difficilement être défendue face aux
forces françaises. L'adrar des Ifhogas présente les caractéristiques inverses. Logiquement donc, sa partie Ouest et notamment la zone des massifs de Taghlit et de Tigharghâr, soit un rectangle d’environ 1 000 km2, combine la proximité des points d’eau et des
pistes du Timlési, la protection du terrain et la possibilité enfin de se replier vers l’Est. C'est la position défensive la plus favorable de la région et le fait que
les combattants djihadistes y acceptent le combat est bien la preuve de son importance, plus grande à leurs yeux que celles des
villes du fleuve Niger. Il y a là une stratégie cohérente qu’AQMI a eu le temps
de préparer pendant des mois.
La mission de l’opération Serval est, rappelons-le,
prioritairement de restaurer la souveraineté de l’Etat malien sur l’ensemble de
son territoire, secondairement de détruire les forces djihadistes au Mali et autant
que faire se peut de contribuer à la libération de nos otages. Dans ce contexte,
après une première phase, complexe logistiquement mais relativement aisée
tactiquement du fait de l’absence de résistance, l’effort français s’est scindé
en deux avec une opération de stabilisation le long du fleuve Niger et une
opération de destruction dans le Nord.
L’opération de stabilisation, à laquelle la France
consacre son Groupement tactique interarmes n°2 (GTIA 2) s’effectue en liaison
avec la MISMA et l’armée malienne et a, pour l’instant, pour front principal la
région du Gao. Face au MUJAO, qui mène une guérilla active depuis le 5 février
combinant attaques suicide et infiltrations dans Gao, les forces alliées ont
mené des opérations offensives aux alentours à Ménaka, Bourem, l’île de Kadji et surtout depuis le 2
mars à Imenas, où plus de cinquante rebelles ont été éliminés au prix de la vie d'un soldat français. La zone est encore loin d’être définitivement pacifiée.
L’opération de destruction réunit maintenant le
plus gros des forces de Serval (ce qui va bien au-delà des quelques éléments
des forces spéciales, systématiquement mises en avant par les médias) avec deux
GTIA (GTIA 3 et GTIA TAP) et un
sous-groupement aéromobile basés à Kidal et surtout de Tessalit, à l’extrême
nord, où se concentrent 1 200 soldats français. La force Serval est
renforcée efficacement par les forces armées tchadiennes en intervention au
Mali (FATIM) dont 800 hommes sont à Tessalit et, plus discrètement, des
combattants Touaregs issus du MNLA, du MIA et même sans doute transfuges d’Ansar Eddine. Quelques « éléments
» de l'armée malienne sont là pour l'habillage politique. La MISMA est absente. Cette force s’est mise en place en
deux temps correspondant à la sécurisation des deux points d’appui de Kidal,
occupé le 30 janvier, et Tessalit, pris le 8 février par un poser d’assaut du 1er
RCP et un raid du 1er RIMa depuis Gao.
Les opérations Panthère de nettoyage des massifs de Taghlit et de Tigharghâr par
les forces françaises et tchadiennes commencent le 18 février et consistent en
une série de reconnaissances en force à partir de trois axes où les résistances
rencontrées, souvent à partir de positions préparées, sont fixées et réduites par le feu tandis que
les caches et dépôts sont détruits.
Les combats sont d’emblée très violents car l’ennemi,
ou au moins une forte partie de celui-ci (au moins le tiers des forces estimées
d’AQMI soit entre 200 et 300 hommes), a décidé d’accepter le combat. Cette
acceptation, qui détruit la théorie de la réduction des groupes djihadistes à de
simples gangs de bandits, s’explique d'abord par l’espoir d’infliger de lourdes pertes
aux « Croisés » à partir de positions favorables. Certains se
contentent sans doute aussi de la possibilité d’une mort glorieuse au combat, à
l’instar des rebelles retranchés dans Falloujah encerclés en 2004.
Les combattants d’AQMI ne disposent pas de l’arsenal
sophistiqué parfois décrit. Ils possèdent certes des matériels lourds (quelques
lance-roquettes, pièces d’artillerie et véhicules blindés BRDM), par ailleurs plutôt
issus de l’armée malienne que de celle de Kadhafi. Ceux-ci, comme les missiles
anti-aériens SA-7b et SA-14, sont rarement en état de fonctionner. L’ossature
de l’équipement reste donc le pick-up, des mitrailleuses lourdes 12,7 et 14,5
mm et de l’armement léger soviétique dont par ailleurs ils se servent plutôt
bien, faisant preuve, outre de courage, d’une compétence tactique certaine fruit en partie de la campagne irakienne d'AQMI. Pour beaucoup de vétérans français, ils constituent un adversaire plus redoutable que ceux rencontrés en Kapisa. Comme ces derniers, ils disposent de la capacité « attaque-suicide », le missile de
croisière du pauvre, mais à l'inverse de ceux-ci, ils ont développé la fonction de tireurs d'élite. Ces deux dernières armes sont les plus efficaces. Elles sont largement responsables des pertes tchadiennes survenues lors des très violents combats du 22 février.
Le combat est évidemment asymétrique dans la
mesure où les forces franco-tchadiennes bénéficient de puissants appuis-renseignement
et feux (avec une mention particulière pour les hélicoptères Tigre,
terriblement efficaces sur tout espace un peu ouvert) qui leur permettent de
mener un combat de type « traque et frappe », là où nos adversaires
sont condamnés à rechercher le combat très rapproché pour espérer infliger des
pertes. Cette supériorité des feux peut
s’exercer beaucoup plus facilement qu’en Afghanistan du fait de la
quasi-absence de la population. A cet égard, un combat dans Tombouctou aurait
été plus délicat quant à l’emploi de la puissance de feu, mais n’aurait laissé
aucune échappatoire aux rebelles. Ceux-ci ont donc préféré, soit de sauvegarder
la population, soit, plus probablement, de conserver la possibilité de se replier.
Deux semaines après le début des combats, le principal
bastion d’AQMI au Mali est sur le point d’avoir été complètement nettoyé. De nombreuses caches et dépôts ont déjà être
détruits. Les pertes ennemies sont estimées à environ 150 hommes, avec une
marge d’erreur de plusieurs dizaines, avec très peu de prisonniers, ce qui
témoigne de leur détermination. Il est très possible qu’Abou Zeid, le principal
émir d’AQMI au Mali fasse partie des victimes. La mort de Belmokhtar, chef
autonome et proche du MUJAO, revendiquée par le Tchad, paraît en revanche moins probable. Il
n’y a aucune trace des otages qui, et c’est heureux, n’ont pas été utilisés comme
bouclier dans ces combats, ni sacrifiés en représailles. Enjeu de grande valeur
et très mobiles, il est probable qu’ils aient été transférés soit dans une
autre zone des Ifhogas, soit à l’étranger plutôt que maintenus au plus près des
forces françaises. Ce succès a été obtenu au prix de la vie de deux soldats français et
de celle de 26 soldats tchadiens, de très loin nos alliés les plus combatifs.
Compte tenu des pertes déjà subies par AQMI avant
le 18 février, par raids aériens essentiellement mais aussi par défections, ce
succès ne suffit pas à proclamer la destruction d’AQMI au Mali mais il est
certain que son potentiel de combat est très sérieusement entamé. Cette organisation a sans doute
la possibilité de mener encore un combat de cet ampleur mais pas plus. Les opérations
dans les Ifhogas ne sont pourtant pas terminées. Elles se déplaceront peut-être
vers la frontière avec l’Algérie dans le triangle Abeibara-Boughessa-Tin Zaouatêne,
avec un rôle accru des Touaregs. Elles risquent de se ralentir ensuite fortement avec la saison des pluies en juin. Il ne faut pas exclure également la possibilité d'un renforcement à partir des autres secteurs d'AQMI.
Le bastion d'AQMI réduit, l'effort français peut être maintenu dans le Nord ou revenir vers la région de Gao ou la lutte contre le MUJAO s'avère aussi délicate, sinon plus si ce mouvement peut s'appuyer sur une assise populaire locale même réduite. Dans tous les cas, on reste encore loin d’une victoire complète et ceux qui imaginent une relève rapide de Serval par une force ONU ne comprennent pas les réalités militaires. AQMI ou le MUJAO humilierait toute force de Casques bleus qui se présenterait à court terme.
On s’étonnera pour conclure de la faible médiatisation, et ce qui est lié, de la faible compréhension par le public, de cette bataille. Cette sous-exposition et cette sous-explication qui prolongent en l’accentuant celles des opérations de reconquête de Tombouctou et Gao, ne sont peut-être étrangères à l’érosion du soutien de l’opinion publique (qui reste malgré tout très élevé) et à certain nombre de déclarations naïves ou incongrues. On notera aussi qu'elle se trouve en décalage avec celle de nos alliés tchadiens et peut constituer une source de friction.
Le bastion d'AQMI réduit, l'effort français peut être maintenu dans le Nord ou revenir vers la région de Gao ou la lutte contre le MUJAO s'avère aussi délicate, sinon plus si ce mouvement peut s'appuyer sur une assise populaire locale même réduite. Dans tous les cas, on reste encore loin d’une victoire complète et ceux qui imaginent une relève rapide de Serval par une force ONU ne comprennent pas les réalités militaires. AQMI ou le MUJAO humilierait toute force de Casques bleus qui se présenterait à court terme.
On s’étonnera pour conclure de la faible médiatisation, et ce qui est lié, de la faible compréhension par le public, de cette bataille. Cette sous-exposition et cette sous-explication qui prolongent en l’accentuant celles des opérations de reconquête de Tombouctou et Gao, ne sont peut-être étrangères à l’érosion du soutien de l’opinion publique (qui reste malgré tout très élevé) et à certain nombre de déclarations naïves ou incongrues. On notera aussi qu'elle se trouve en décalage avec celle de nos alliés tchadiens et peut constituer une source de friction.
samedi 2 mars 2013
Le surcoût des opérations extérieures (1975-2008)
Ce billet est une fiche au CEMA en date de 2008 et est extraite de Res militaris
En 1976, première date de l'étude du regretté Jean-Paul Hébert, le surcoût des opérations extérieures ne dépasse 25 millions d'euros 2008.
Le premier saut de dépenses correspond à
l’augmentation du nombre d’opérations en Afrique et à la participation à la FINUL
à la fin des années 1970 puisque l’on passe en une année à 100 millions en 1977, pour rester dans la frange
130-300 millions jusqu’en 1983 (moyenne annuelle à 170 millions d’euros). La
participation à la FMSB et l’opération Manta font passer ensuite les surcoûts
au-delà de 400 millions d’euros (moyenne de la période à 540 millions d’euros)
jusqu’à 1989.
Avec les crises qui suivent immédiatement la
crise (première guerre du Golfe, effondrement de l’ex-Yougoslavie, Somalie), on
passe à une moyenne de 940 millions d’euros de surcoûts pendant la période
1990-1996). La barre du milliard d’euros
est franchie à trois reprises (1991,1993, 1994). Depuis 1997 et malgré
l’intervention au Kosovo en 1999, les dépenses restent relativement stables
autour d’une moyenne annuelle de 650 millions d’euros (828 en 1999).
Ces surcoûts qui, en
2007, représentaient environ 0,18 % du budget de l’Etat et 0,04 % du PIB de la France, sont
modestes pour un déploiement opérationnel annuel moyen à l’étranger de 12 000
hommes depuis 1990. Mais le facteur
principal des coûts n’est pas tant le nombre de soldats déployés, ni même
des moyens matériels engagés mais le
degré de violence de l’opération qui engendre une dépense en munitions, des
soins à apporter aux blessés, une accélération de l’usure voire la destruction
de matériels majeurs, etc.
La comparaison avec les opérations étrangères
est à cet égard édifiante. Le budget de
l’opération britannique Telic représentait par exemple plus d’un milliard
d’euros en 2006-2007 pour 4500 hommes déployés dans le Sud de l’Irak. Avec
680 millions d’euros pour l’exercice 2006-2007, les Britanniques ont autant
dépensé pour leur engagement en Afghanistan (8500 hommes) que la France pour
toutes ses opérations dans l’ensemble du monde. Ce surcoût moyen de 650 millions d’euros est dépensé tous les trois
jours par les 160 000 soldats américains en Irak.
Le
surcoût moyen des OPEX peut aussi être comparé à ce que donne l’Etat à la SNCF
pour la désendetter (677 millions d’euros/an), compenser ses tarifs sociaux
(510 millions) ou recapitaliser sa branche fret (800 millions) sans parler de
la grève à la SNCF de la fin 2007 (perte de 300 millions selon Guillaume Pépy à
la « Vie du rail ») ou du coût de la fraude qui y règne (200 millions
par an).
Dans le même ordre de grandeur, on pourrait évoquer aussi le coût de
la Maison de la francophonie, avenue de Ségur, évalué à 510 millions d’euros ou
celui du musée des arts premiers (400 millions d’euros + un budget de
fonctionnement de 44 millions d’euros/an soit 11 000 euros par objet).
Sénat.fr, projet de loi
de finances 2006.
Jean-Paul Hébert, « 20
milliards d’euros pour les Opex depuis 1976 », in Le débat stratégique
n°96, mars 2008, CIRPES.
Jean-Gérard Laffeuillade,
« SNCF et sûreté-une nouvelle politique d’entreprise », in Revue de la défense
nationale n°11/2003.
vendredi 1 mars 2013
Ne réduisons pas le budget de la défense, par Etienne de Durand. LeMonde.fr
Alors
que l'on s'approche de la publication du Livre blanc puis de la loi de
programmation militaire, c'est-à-dire de décisions capitales et potentiellement
irréversibles pour la défense française, des vérités méritent d'être rappelées.