Palestinian News and Information Agency (Wafa) |
L’immense majorité des pertes civiles palestiniennes est le fait de la campagne de frappes aériennes lancée par les Israéliens depuis le 7 octobre, le reste venant de l’artillerie, ou plus marginalement des frappes de drones ou d’hélicoptères, voire désormais des forces terrestres. Or, il se trouve malheureusement qu’à la suite des nombreuses campagnes aériennes passées, et notamment au-dessus de Gaza, il est possible de faire des estimations des dégâts de celle qui est en cours.
On précise qu’on ne prend ici en compte que les campagnes n’utilisant que des munitions guidées et sans intention de toucher délibérément la population, ce qui restreint de fait l’analyse aux campagnes occidentales et israéliennes depuis 1999. Rappelons qu’une frappe, ou strike, est une attaque contre une cible précise et qu’elle peut impliquer l’emploi de plusieurs projectiles.
Reprenons juste ici les quatre dernières grandes campagnes sur Gaza, en tenant compte des différentes sources (l’ONG israélienne B’Tselem, AirWars, ONU, Centre palestinien pour les droits de l'homme et même le ministère de la santé palestinien).
2008 : 2 500
strikes. Entre 895 et 1417 morts de civils palestiniens.
2012 : 1 500 strikes - 68 à 105 morts. L'Office (UN) for the Coordination of the Humanitarian Affairs (OCHA) parle seul de 1400 civils.
2014 : 5 000 - 1 300 à 1 700 morts.
2021 : 1 500 strikes - 151-191 morts.
Dans les guerres de 2012 et 2021, où Israël n’emploie que la force aérienne, il faut donc environ 10 strikes pour tuer un civil. Ces deux guerres sont par ailleurs courtes, une dizaine de jours, ce qui signifie que les frappes s’effectuent surtout sur des objectifs bien identifiés avec un plan de tir bien préparé (certitude sur l’identité de la cible, autorisation de tir, avertissement à la population). Avec le temps, lorsque le plan de ciblage est épuisé, les strikes s’effectuent de plus en plus sur des cibles d’opportunité, ce qui laisse moins de temps à la préparation et plus de place aux erreurs. Au passage, les résultats sur l’ennemi sont également moins efficaces surtout si les Israéliens n’ont pas eu l’initiative des opérations et le bénéfice de la surprise. Avec le temps, la proportion de frappes pouvant tuer des civils peut diminuer jusqu’à 5, voire moins, comme dans les derniers temps de la bataille de Mossoul où les troupes irakiennes n’avançaient plus que derrière un tapis de bombes.
Les deux autres guerres - 2008 et 2014 - ont été plus longues, moins « efficaces » dans les frappes aériennes, et les Israéliens y ont fait également beaucoup appel à l’artillerie, notamment pour appuyer les opérations terrestres. On dispose de moins de données pour déterminer les pertes civiles provoquées par l’artillerie. Si on prend l’exemple du siège de Sarajevo, plus de 300 000 obus ont tué au moins 3 000 civils en quatre ans et les snipers au moins 2 000 autres. On a donc un ratio de 100 obus (par ailleurs tirés avec grande précision à cette époque) pour tuer un habitant. De septembre 2005 à mai 2007, Tsahal a également, selon Human Right Watch, tiré 14 900 obus sur Gaza qui ont fait 59 morts, presque tous civils, soit environ 250 pour un.
J’ignore combien de dizaines de milliers d’obus israéliens ont été lancés durant les différentes campagnes, mais ils ont certainement contribué à tuer des centaines de civils en plus des frappes aériennes.
Qu’en est-il donc de la guerre actuelle ? Dans les campagnes précédentes, les Israéliens ont difficilement pu tenir une cadence de plus de 150 frappes aériennes par jour. En considérant le caractère exceptionnel de la période, on peut, par une grande libéralité, aller jusqu’à 300 par jour, soit désormais un total de plus de 7 000 strikes et 12 000 cibles touchées. En appliquant les pires barèmes (5 pour 1), cela donne 1 400 morts de civils.
On ajoutera que des frappes d'artillerie, de drones et d'hélicoptères ont également eu lieu en particulier dans la zone nord de la bande de Gaza, en partie évacuée. Elles ont probablement fait plusieurs centaines de morts, soit un total d'environ 2 000 civils et environ 1 500 combattants si on respecte les ratios des opérations précédentes.
En résumé, sauf à imaginer qu’Israël se moque de l'idée de proportionnalité des frappes, comme les Irakiens en demande et les Etats-Unis en acceptation dans la deuxième phase de la bataille de Mossoul (5 805 morts civils en six mois de 2017 selon Amnesty International) ou qu'il vise délibérément des civils, on ne voit pas comment on pourrait arriver à ce chiffre de 8 300 il y a quelques jours (plus de 9 000 aujourd'hui). Si par ailleurs Israël avait décidé, à la manière du Hamas, d'attaquer directement la population, avec 7 000 frappes aériennes le chiffre serait sans doute beaucoup plus important que 8 300.
Pour autant, même si chiffre de 2 000 morts civils minore largement celui du ministère de la santé contrôlé par le Hamas - et il faudra peut-être que les institutions et les médias prennent en compte que cet organisme ment tout en instrumentalisant la souffrance – c'est 2 000 de trop. Ce chiffre en soi est déjà énorme. Il est bien au delà de la campagne de frappes en Serbie en 1999, de celle des Américains en Afghanistan fin 2001 ou bien encore de celle d'Israël au Liban en 2006. La coalition anti-Daesh ne reconnaît par ailleurs que 1 437 morts civils pour 33 000 frappes en six ans en Irak-Syrie avec il est vrai des chiffres d'AirWars nettement plus élevés (8 000 à 13 000 confirmés ou probables, en majorité en 2017).
Pour ma part, je pense que ces grandes campagnes de frappes et l'emploi massif de la puissance de feu sont surtout un moyen d'éviter les pertes de ses soldats, mais en reportant le risque sur les civils. C'est comme bombarder pendant des semaines un immeuble où seraient réfugiés des terroristes pour éviter de prendre le risque de s'y engager. Dans un cas comme cela, même si ces terroristes ont commis des atrocités et même si vous savez que les habitants ne vous aiment pas, vous envoyez le GIGN pour éliminer les malfaisants. Gaza est comme cet immeuble. Pour éliminer autant que possible le Hamas, tout en respectant mieux le droit international, de faire moins souffrir la population et donc de recruter pour l'ennemi ou de soulever l'indignation internationale, il faut privilégier à tout prix l'emploi des forces de combat rapproché - l'infanterie en premier lieu - plutôt que la puissance de feu massive à distance qui, au passage n'a pour l'instant au mieux détruit que 10 à 20 % du potentiel ennemi.
Pour savoir comment il faudrait faire, il suffit de se demander ce que ferait Tsahal si la population de Gaza n'était pas palestinienne mais israélienne et contrôlée par une organisation étrangère de 20 000 terroristes. Il faut quand même rappeler qu’en droit international, toute population est sous la responsabilité d’un État. La population de Gaza, juridiquement toujours un territoire occupé, est donc également toujours sous la responsabilité d’Israël via l’administration de l’Autorité palestinienne (qui n’est pas un État). Le minimum minimorum aurait voulu qu’Israël aide cette dernière à conserver le contrôle de Gaza en 2007 face au Hamas. Cela n’a pas été le cas, car l’occasion était trop belle d’empoisonner la cause palestinienne, mais c'est un autre sujet.
Mon Colonel,
RépondreSupprimerDeux remarques :
-sur le bilan de 2008, le nombre de mort correspond au total, avec une part de civil de l'ordre de 50% dedans (et environ 25% de miliciens armés, et 25% de policiers, qui sont durs à classifier, civils ou miliciens?), ce qui ramène les ratios "en ligne" avec ceux de 2014
-la campagne de bombardement actuelle devrait plutôt suivre les ratios 2008 ou 2014, avec un usage large de l'aviation sans se soucier de faire dans le détail. Soit du 3 à 4 frappes pour un civil tué.
Quant au nombre de frappes, la presse israélienne parlait de 11000 frappes le 31 octobre, mettons 12 000 aujourd'hui. Cela fait du 3000 à 4000 civils tués. Et à mon avis, les israéliens s'embarrassent moins des civils aujourd'hui qu'hier, du fait du pogrom ou assaut terroriste ayant eu lieu sur leur sol. Donc je pense qu'il faut considérer cette estimation comme un minimum.
Pour le mensonge sur le bilan de l'hôpital, c'est indéniable. Dans le passé, le Hamas a été plutôt fiable pour comptabiliser les morts palestiniens (avec des ratios miliciens armés / civils différents de ceux d'Israël, j'imagine que tout homme sans sa femme et ses enfants est un milicien armé pour Israël, et que toute personne sans une arme à la main est un civil pour le Hamas)
Si l'on accepte le nombre de morts affiché par le Hamas, un peu plus de 8000, cela fait de l'ordre de la moitié de pertes civiles, ce qui est cohérent avec les combats précédents. J'ai un gros doute sur leur répartition entre femmes, hommes et enfants car elle suggère des pertes entièrement civiles (moitié de mineurs, un quart de femmes)
Entièrement d'accord pour le reste, et au plaisir de vous lire,
Simon
Bonjour,
Supprimermerci pour ces remarques. Vous avez raison pour les chiffres de 2008, j'avais repris les chiffres de l'analyse que j'avais faite à l'époque. Je viens de voir qu'il y avait effectivement au moins une estimation plus basse que je viens d'inclure dans le texte.
En ce qui concerne le nombre de cibles, Tsahal n'a absolument pas les moyens de réaliser 12 000 frappes aériennes en trois semaines. Plusieurs milliers de ces cibles ont en fait été traitées par l'artillerie, les hélicoptères et les drones, ce qui est beaucoup moins meurtrier pour les civils.
Bonjour monsieur Goya et merci pour votre article,
RépondreSupprimerC'est sur que le nombre hallucinant de journalistes assassinés et le blocus d'Israel n'aident pas à clarifier la situation. Esperont que l'aide humanitaire intervienne massivement et rapidement et en faisant le travail de protection des civils qu'aurait du faire l'état d'Israel, nous donne une idée plus clair de l'ampleur des massacres ethniques à Gaza. Je prie pour que vous ayez raison et que les morts soient moins nombreux que ce qui est annoncé par le Hamas.
Merci encore pour vos articles qui nous offre un éclairage pertinent et rare par les temps qui court.
Bien à vous
Beaucoup de journalistes palestiniens manipulés ou étant du hama.Quant à l'AFP , depuis des lustres dans ce pays, elle est surnommée l'Agence France Palestine, c'est tout dire...
Supprimer"Autant de morts … Mais que peuvent les Hommes face à tant de haine ?"
RépondreSupprimerThéoden
"pour une fois c'est moi qui vous propose une vidéo ;-)"
SupprimerTouché-coulé !
^^
Les munitions d'artillerie manquent de puissance et de précision pour faire la même chose que des bombes guidées. Pour avoir vécu moi-même pendant sept mois dans une ville sous des tirs d'artillerie. On ne risquait rien dans le bâtiment super bétonné dans lequel on vivait. On aurait été beaucoup plus inquiet sur l'ennemi avait utilisé des bombes aériennes.
RépondreSupprimerLeur tactique actuelle au sol, dés qu'une patrouille est pris sous le feu d'éléments du hamas, tir direct par un missile
RépondreSupprimerIl y a eu peu de civils américains morts pendant la seconde guerre mondiale.
RépondreSupprimerEt les forces américaines ont tué énormément de civils.
Pourtant, je suis bien content que c'est pas l'Allemagne qui a gagné.
Analyse très intéressante, je suis néanmoins surpris par la fin. Israël n'ayant pas évacué la Cisjordanie, elle reste en partie une puissance occupante de toute la Palestine et donc de Gaza. Pour autant, dès lors que le Hamas se comporte depuis 15 ans comme un quasi état souverain à Gaza, cette souveraineté de fait lui confère la responsabilité des civils. Militairement c'est le Hamas qui occupe Gaza. De la même façon qu'en 1946, quand la France veut reprendre pied en Indochine, elle est moins la puissance occupante que le Viet Minh
RépondreSupprimerPar ailleurs, un parallèle intéressant à mon sens serait l'opération Blue Star de l'Inde contre le grand temple Sikh.