La version
complète de cet article est dans le n°135 de Défense et sécurité internationale
En juin 2006, lorsque le colonel
Gronski, commandant la 2e brigade de la 2e division
d’infanterie de l’US Army, quitte la
ville de Ramadi, son constat est sans appel : la capitale de la province
irakienne d’Anbar et ses alentours ne peuvent être contrôlés sans la présence d’au
moins trois brigades.
Ramadi ne comprend pourtant que
400 000 habitants mais malgré des efforts considérables et la perte de 148
soldats américains en trois ans, c’est Al-Qaïda en Irak (AQI) qui y règne. Huit
mois plus tard, AQI, devenue entre-temps l’Etat islamique en Irak (EEI), a été effectivement
chassé de la ville et de ses alentours. Comme le souhaitait le colonel Gronski
ce résultat a été obtenu grâce à un renforcement important, mais pas celui
qu’il attendait.
Sections mixtes et Fils de
l’Irak
Ce qui a tout changé à Ramadi, c’est la
création d’une coalition de tribus sunnites de la région, baptisée mouvement du
Réveil (Sahwa), et son alliance avec la nouvelle
brigade américaine sur place, la 1ère de la 1ère division
blindée, du colonel Mac Farland.
A partir de septembre 2006, et grâce à
un renfort de 4 000 combattants locaux, les Américains ont pu sortir des
grandes bases extérieures où ils étaient confinés pour créer 24 postes de
combat (Combat Outpost, COP) mixtes. L’implantation
progressive de ces postes mixtes vers le centre-ville, l’accumulation de petites
victoires contre l’ennemi, les retombées économiques dans les zones sécurisées
ont modifié la perception générale de la situation. Le « plan incliné de
la victoire » avait changé de sens et les ralliements de groupes sunnites
se sont multipliés jusqu’à l’étouffement de l’ennemi.
Cette expérience reprenait en réalité celles
déjà réalisées depuis 2004 par le 3e Régiment de cavalerie à Tal
Afar, sur la frontière de la Syrie, ou par plusieurs bataillons de Marines en
Anbar. Les cavaliers, comme Mac Farland ou Mac Master à Tal Afar, remettaient alors
au goût du jour les méthodes du général Crook connu par avoir vaincu les
indiens apaches en Arizona en 1871 en intégrant justement des Apaches dans ses
forces.
Les Marines, de leur côté, se
référaient plutôt à leur expérience des Combined
Action Platoons (CAP) au Vietnam, ces groupes de soldats envoyés vivre dans
les villages et fusionner avec les miliciens locaux. L’expérience avait été un succès.
Aucun secteur tenu par une CAP n’a jamais été pris par l’ennemi et chaque
soldat américain qui y était affecté était en moyenne deux fois plus efficace,
et beaucoup moins coûteux, contre l’ennemi qui celui des bataillons dans les
bases. L’expérience des CAP était cependant restée très limitée.
En 2007, en revanche, et en partie
grâce à des officiers pragmatiques comme le général Petraeus, nouveau
commandant en chef en Irak, l’expérience de Ramadi est étendue à l’ensemble du
théâtre. En juillet 2007, pour l’équivalent de moins de 40 millions d’euros de
soldes par mois (moins de 1% des dépenses américaines), la Force multinationale
en Irak a pu disposer de 100 000 combattants locaux (sous l’appellation
générale de « Fils de l’Irak ») intégrés dans son dispositif. Plus de
la moitié d’entre eux ont été engagés dans les quartiers de Bagdad où ils ont
permis de chasser l’Etat islamique et de contenir l’Armée du Mahdi.
L’appel au recrutement local
Cette pratique du recrutement local n’est
évidemment pas nouvelle. Les grandes campagnes françaises lointaines n’auraient
jamais pu être menées sans elle. La guerre d’Indochine n’a été soutenable
pendant huit ans que parce que le Corps expéditionnaire français en
Extrême-Orient (CEFEO) associait 350 000 volontaires locaux à un maximum de 60
000 Français métropolitains. Jamais probablement une armée n’a poussé aussi
loin la fusion avec le milieu local. Tout cela s’est effectué en parallèle de
la formation de l’armée nationale vietnamienne. Si l’armée de terre française
actuelle, avec sa capacité de déploiement de 15 000 soldats, recevait d’un
seul coup la mission de remonter le temps et de combattre le Viet-Minh à la
place du CEFEO, il est peu probable qu’elle puisse procéder autrement malgré l’accusation, qui ne manquerait pas de survenir, de reformer des bataillons coloniaux.
En ce début du XXIe siècle, jamais les
armées occidentales professionnelles n’ont eu aussi peu de masse. Si le
combat contre un groupe armé doit durer quelque part, le rapport de forces ne
doit cependant plus se calculer seulement face au potentiel actuel de l’ennemi mais
aussi face à son potentiel de recrutement. En Irak, cela a signifié très
concrètement l’impossibilité de vaincre l’ennemi sans déployer au moins un
soldat pour 50 habitants d’une ville sunnite. Dans ces conditions, la capacité
maximale de contrôle des forces françaises se situe au maximum à moins d’un million
d’habitants, deux fois la population de Ramadi ou de Kapisa-Surobi en
Afghanistan.
Sans masse et sans insertion dans le milieu, il
est vain d’espérer contrôler un espace humain important. Dans les deux cas, il
n’est guère d’autre solution que de faire appel aux forces locales. Cela peut,
et doit, se faire avec les forces régulières, à condition que celles-ci soient
elles-mêmes d’un nombre suffisant, considérées comme légitimes et soient un
minimum efficaces. Lorsque ce n’est pas le cas, ce qui arrive fréquemment sinon
il ne serait pas besoin de faire appel à une aide extérieure, il doit être possible
de renforcer directement les forces françaises avec des recrues locales (et donc payées par la France et encadrées par des Français). Le
combat « couplé » avec un acteur politique autonome fait alors place,
sans forcément concurrence, au combat « fusionné ».
Une recrue locale, c’est souvent un chômeur de
moins, voire un ennemi potentiel de moins. C’est surtout quelqu’un qui connaît
bien le pays, les gens, les lieux et parle la langue. C’est un atout tactique
remarquable lorsqu’il est associé sur le terrain aux soldats français ou
américains, puissants mais étrangers. En général, comme en Irak, plus le combat
semble porter ses fruits et assurer réellement la sécurité des proches, et plus
le recrutement s’avère facile, d’autant plus que la solde est souvent bonne
selon les critères locaux, et, élément essentiel, assurée. Pour 20 % du surcoût
de l’opération française Barkhane au Sahel
il serait possible de disposer d’au moins 40 compagnies franco-africaines.
La principale difficulté de cette fusion réside surtout
lorsqu’il faut y mettre fin en particulier lorsque la fin du contrat coïncide
avec la défaite ou au moins la continuation de la lutte. A l’instar des Harkis
d’Algérie, lorsque le corps expéditionnaire se replie, la position de ses
supplétifs qui restent sur place est très dangereuse. A ce moment-là, lorsque
l’intelligence de prévoir ce cas de figure n’a pas été au rendez-vous, c’est à
l’honneur des nations qu’il faut faire appel. Il n’y a rien de pire pour la
confiance des futurs alliés que le constat que les précédents ont été
abandonnés, or, rappelons-le, sans eux aucune victoire n’est possible.
Bonjour Colonel,
RépondreSupprimeret merci pour cet article très intéressant, cependant il y a un facteur que vous n'abordez pas, les supplétifs locaux que ce soit en Irak, en Afghanistan (Afghan Local police Force) sont quasi-toujours issue de groupes constitués et mise à disposition par des pouvoirs féodaux, ici les tribus, les seigneurs de guerre en Afgha, honnis par la population. L'emplois de tels supplétifs qui vont s'empresser de rançonner la population civile une fois la victoire acquise est un cadeau pour la propagande des insurgés islamistes qui justement propose un autre ordre social.
De plus, c'est un sérieux handicap pour des Etats en reconstruction qui se voit contester le monopole de la violence légitime par des groupes armés financés par une puissance alliée/occupante.
En somme il s'agit sans doute comme vous l'indiquez d'un atout tactique considérable, mais d'un point de vue stratégique celà semble extrémemnt préjudiciable au rétablissement d'un Etat légitime aux yeux de sa population.
Bien à vous!
Bonjour,
Supprimer"qui vont s'empresser de rançonner la population" ...ce que fait également l'ennemi dans ces régions (malgré leur propagande/discours qui promettent le contraire), toutes les factions combattantes sont des organisations claniques ou tribales, c'est très souvent endémique comme pratique.
Les causes de la guerre déterminent les capacités quantitatives et de confiance que l'on pourra avoir pour créer une milice. L'on peut aussi créer de fausses causes pour avoir le maximum de soutient, mais le résultat risque d'être à double tranchant et finalement peu fiable. Si on a de vrais bonnes causes, rien n'empêche d'avoir un soutient total de la population d'un pays (L'Ukraine survie par son soutient populaire.). On en revient donc toujours à devoir conquérir les esprits, afin d'avoir le soutient des coeurs, si on veut avoir des personnes aptes à risquer leur vie et donc à combattre sur le terrain.
Supprimer-
-Encore une fois on évite de prendre exemple sur la collaboration avec le nazisme en France, pourtant cela nous concerne directement et l'exercice d'analyse devrait donc être encore plus précis, mais est-ce-que les français accepteront le fait d'avoir étés les traitres d'un pouvoir étranger? Là est notre problème, voir les choses en face! Comme la guerre en Irak, qui était illégal et ce n'est pas anecdotique, les irakiens ont perdu une bonne grosse partie de leur souveraineté. Résistant, collabo, milice, traitre, terroriste, qui est qui? Et qui fait quoi? Conclusion, les raisons d'une guerre passent avant toute interprétation tactique. Pas d'enrôlement sans pacification, pas de pacification sans respect ethnologique. Autant les américains (Et la France qui entraine les irakiens par l'intermédiaire de la 13èmes DBLE)ont réussi à enrôler assez de monde pour contrôler l'Irak, autant en parallèle il y a eu ceux qui ont refuser l'occupation et la domination américaine, en créant une force de résistance qui a elle-même été récupérer par l'état islamique, (Financement et logistique sunnito-waabite. Et quid du matériel américain récupéré à Ramadi, dont soit-disant des chars Abrams?), le fameux double-tranchant... La résistance à l'occupation assimilé à l'état islamique, a donc permit aux américains d'avoir les coudés franches en mettant dans le même panier les patriotes et les intégristes d'Irak. Sinon pour le soutient à nos alliés d'hier, je ne peux qu'abonder dans ce sens, on pense évidemment aux kurdes, aux afghans, mais on pense également à l'Afrique qui a besoin d'auto-détermination par un réel soutient populaire, mais on en revient à la base: Le respect ethnologique! Vaste programme...
Est-ce que la rotation accélérée des forces ne sont-ils pas un obstacle à une meilleure insertion dans le milieu ?
RépondreSupprimerVotre étude sur l'enrôlement des troupes locales auprès d'une armée occidentale souffre d'aucun '' friendly fire'': Bravo. Pourriez vous rappelez l'épisode du début du conflit tchadien (perdu des mémoires)? En effet, l'Armée française en garnison dans cet immense contrée avait employé (et encadré)des tchadiens de différentes ethnies sous le vocable ''Garde nomade ''.
RépondreSupprimerJe pense que l'évocation de cette mission pourrait servir à vos lecteurs et fidèles de votre blog et pourquoi pas ''aux têtes pensantes du Balargone''...
Le Général commandant Barkhane rappelait récemment, avec une rare pertinence, que lors des Opex l’action militaire visait à créer les conditions d‘une solution politique. Il ajoutait quelques instants plus tard que ce qui manquait justement, c’était bien l’exploitation politique des acquis militaires. Ceci explique de façon lumineuse le phénomène « d’enlisement » qui caractérise nos Opex depuis longtemps, et qui transforme les libérateurs en occupants.
SupprimerEt vous avez raison de rappeler l’exemple de cette Opex de 1969 au Tchad que ceux qui l’ont vécue connaissent sous le nom de « renfort temporaire ». Pour contrer les rébellions à visages multiples déclarées sur la quasi totalité du territoire tchadien, la France avait dépêché, en renfort des unités stationnées à Fort Lamy, quelques unités de Légion et coloniaux, stationnées au Centre Tchad, à Mongo. De plus, dès Avril 69, et pendant plusieurs mois, quelques centaines de cadres officiers ou sous officiers français furent envoyés en « renfort temporaire » pour « conseiller », à tous niveaux, des EM centraux aux petites unités, toutes les formations tchadiennes régulières, gardes nomades, etc... Cette phase initiale ne dura que peu de temps. Le premier commandant de l’opération fut remplacé à l’été par le Général Cortadellas, avec mission, non plus de conseiller, mais de prendre sous son commandement direct forces tchadiennes et françaises. Et cela changea tout. J’en témoigne pour le Nord Tchad (BET) où les unités tchadiennes créées, ou réformées, sous commandement français associant naturellement cadres tchadiens et français, reprirent une initiative perdue et infligèrent aux « rebelles » de très lourdes pertes ; avec bien entendu souvent le renfort des unités françaises stationnées à Fort Lamy et Mongo. De plus, le pouvoir politique français de l’époque (M. Pompidou) avait eu l’intelligence de donner au Général Cortadellas un chapeau politique, celui du chef de la « mission pour le redressement administratif », (MRA), dirigée par un préfet. Cette Mission avait en charge, dans toutes les Régions, de conseiller et soutenir administrativement les Préfets. Tout était donc réuni pour un succès total : une action militaire résolue et victorieuse, et une action politique en exploitant les acquis.
Je dois à la vérité de dire que si les succès militaires furent patents, l’action de la MRA resta très symbolique. Pourquoi ? Parce que cette Mission devait bien évidemment être composée de personnels civils compétents et volontaires…que l’on ne trouva point. A quelques rares exceptions près, ce sont donc des officiers et sous-officiers pleins d’ardeur et de dévouement, mais sans l’expertise voulue, qui furent placés auprès des Préfets… Le Général Cortadellas le dit à sa manière en quittant le Tchad en 1972 : « l’intervention militaire française a rempli son contrat au Tchad, et actuellement le problème n’est plus tant militaire qu’administratif, économique ou social… »
Pardon d’avoir été si long.
Merci mon général pour ce témoignage. L'"approche globale" c'est parfait sur le papier mais quand elle ne se fait vraiment qu'avec un seul pied, militaire, c'est toujours boiteux. Quand on voit l'aide à l'agriculture au Sahel par exemple, c'est pitoyable. Peut-être faudrait-il une instance politique, un ambassadeur ou un secrétaire d'Etat, pour le Sahel afin de mettre un peu de cohérence dans notre action.
SupprimerBonne lecture, et comme d'habitude, Analyse pertinente.
RépondreSupprimerDans la rubrique lâchage potentiel, voyez-vous une solution pour les kurdes en Syrie, qui nous ont, de ce que je peux lire, vraiment aidés et ont payé le prix du sang, alors qu'Erdogan ne veut surtout pas leur montrer la moindre reconnaissance...