Plusieurs études anthropologiques, et en
particulier celle de Robin Dunbar, ont mis en évidence que la très grande
majorité des organisations humaines avaient tendance à se regrouper
spontanément, sous l’influence de facteurs biologiques, selon une hiérarchie de
formats similaires.
On trouve ainsi à peu près partout des couples, des équipes
(de 5 à 12 individus), des familles (30 à 50), des clans (100 à 300) et des
communautés (500 à 1200) ou des grandes communautés (plusieurs milliers). Dans le
monde économique, on parlera, pour les mêmes échelles, de micro, petites,
moyennes, intermédiaires et grandes entreprises. Dans les armées, pour ces deux
derniers niveaux, on parle de bataillon/groupement tactique interarmes (GTIA ou
« niveau 4 ») et de brigade (ou niveau 3). Examinons comment
fonctionne cet échelon et ce qui en fait l’efficacité.
Le
18 juin 1815 plus de 200 000 hommes ont combattu sur les 10 km2 du champ de bataille de Waterloo. Un siècle
plus tard, avec les armes du début de la Première Guerre mondiale, une telle
quantité de soldats est dispersée sur 500 km2. Trente ans plus tard,
pendant la Seconde Guerre mondiale, ces 200 000 soldats évoluent sur
6 200 km2 en moyenne. Depuis les années 1970, pour un même
volume de forces la norme est plutôt de 8 000 km2. Autrement
dit, là où combattait la Grande armée, il y aurait maintenant un groupement
tactique interarmes (GTIA) d’un millier d’hommes (1).
Hardware ou software militaire ?
Cette
dispersion et cette dilatation des volumes d’engagement sont évidemment le
résultat d’un accroissement de la précision, de la puissance et de la portée
des armes, accroissement qui s’est effectué souvent par sauts depuis la
diffusion des armes à canons rayés au milieu du XIXe siècle
jusqu’aux missiles et projectiles guidés un siècle plus tard, en passant par
l’introduction de la 3e dimension dans la guerre (aviation, feux
indirects). Se disperser, s’adapter au terrain, se protéger et être mobile sont
devenus nécessaires pour éviter la destruction. Tout cela a eu pour premier
effet de rendre beaucoup plus complexe le commandement des forces et notamment
la coordination des unités de contact, entre elles et avec les appuis.
A
partir de 1915, les deux composantes, alors essentiellement l’artillerie et
l’infanterie, ne se voient plus et ne voient souvent plus non plus l’ennemi
contre lequel elles agissent. L’avion, un nouveau venu, est alors surtout un
liant entre fantassins et artilleurs. Pour réduire les « coûts de
transaction » (délais, erreur, difficultés de synchronisation, manque de
précision), les régiments d’infanterie internalisent aussi leurs propres
appuis, avec le développement de la gamme d’armes « entre le fusil et le
canon », fusil-mitrailleur, lance-grenades, mortiers, canons d’infanterie,
qui sont intégrés dans les sections fractionnées en cellules autonomes ou
regroupés dans une « compagnie d’appuis » au sein des bataillons,
première innovation. En quatre ans, le nombre d’armes différentes à coordonner
à l’intérieur même du bataillon passe de trois à neuf, celui des unités de
renforcement (une autre innovation organisationnelle) pratiquement de zéro à
quatre (génie, chars, mortiers de tranchées, avions d’infanterie). La
logistique nécessaire pour faire fonctionner cet ensemble est multiplié par
sept en quatre ans, avec là encore des « coûts de coordination »
considérables. Au total, la quantité d’informations nécessaires pour à la fois
maitriser techniquement ces nouveaux instruments et pour coordonner l’emploi de
toutes ces cellules a augmenté de manière exponentielle.
Une
unité militaire est un ensemble complexe associant des objets à des individus,
plus ou moins motivés et compétents, associés dans des structures
socio-tactiques et coordonnés par une chaine de commandement. Tous ces éléments
sont évidemment en interactions mais il est peut-être possible de dégager leur
importance relative dans l’efficacité globale. Dans les années 1990, l’historien
américain Stephen Biddle s’est ainsi attaché à comparer ce qui relevait du
visible et mesurable (soldats, équipements, environnement), et ce qui ne
l’était pas (motivation, compétence, expérience, circulation de l’information,
etc.), le « facteur humain » ou ce que Martin van Creveld appelle
le « Fighting power » (2).
De
nombreuses reconstitutions simulées de la bataille 73 Easting, en Irak les 26
et 27 février 1991 lui ont ainsi permis de montrer que si les compétences des troupes irakiennes
avaient été équivalentes à celle du régiment de cavalerie américain étudié, celui-ci
aurait subi des pertes en véhicules 20 fois plus importantes qu’en réalité.
Stephen Biddle fait également remarquer que les forces du Corps des Marines
déployées face au Koweit n’ont pas subi de pertes très supérieures à celle de
l’US Army malgré des équipements
beaucoup plus anciens. Il aurait pu évoquer aussi quatre plus tôt les
écrasantes victoires des Forces armées
nationales tchadiennes (FANT) à Fada et Ouada Doum pickups et armements légers
face à deux brigades libyennes équipées de manière soviétiques lourds.
Dans
un autre cas étudié par Stephen Biddle, la bataille de La Haye du Puits, en
Normandie du 3 au 14 juillet 1944, trois divisions d’infanterie américaines (90e,
79e et 82e Airborne)
sont placées dans des conditions tactiques très proches. Au bilan, ce sont les
régiments et bataillons de la 82e Airborne, qui ont été les plus
performants, progressant en moyenne deux fois plus vite et avec deux fois moins
de pertes que les autres, en particulier ceux de la 90e division. La
82e Airborne était pourtant de loin la moins pourvue en moyens
d’appui et ses effectifs, déjà éprouvés par les combats, représentaient presque
la moitié de ceux des autres. La 82e Airborne avait cependant connu un entraînement beaucoup plus
poussée que les autres et avait déjà l’expérience du combat (3).
Pour
Stephen Biddle la conclusion est alors sans appel : l’efficacité d’une
unité est une interaction entre facteurs matériels et facteurs humains et ces
derniers l’emportent largement. Stephen Biddle rejoignait ainsi la conclusion
d’Alfred Mahan après son étude sur les puissances navales selon laquelle, il
valait mieux de bons marins sur de mauvais navires que de bons navires avec de
mauvais équipages. En première approche, on peut résumer cela d’une
équation : ET (efficacité tactique) = R (ressources) x (H capital humain x C) système de commandement)2.
Le cas du 11e Armored
cavalry regiment (ACR)
Equipé
de véhicules blindés soviétiques récupérés ou imités, le 11e ACR constitue
la force d’opposition (OPFOR) lors des exercices à double action très réalistes
réalisés par l’US Army au National
Training Center (NTC). Son expérience est intéressante à deux titres : les
centaines de « combats » menés au NTC entre l’OPFOR et les brigades
BLUEFOR ont fait l’objet d’une analyse rigoureuse et dans ces combats 11e
ACR l’a emporté dans la très grande majorité des cas. Le 11e ACR s’est
donc révélé comme la meilleure unité de l’US
Army et son succès à fait l’objet de
nombreuses études (4). On dispose donc d’un certain nombre d’éléments qui
permettent d’affiner encore ce qui fait l’efficacité d’une unité de combat.
En
termes de ressources, le 11e ACR dispose globalement d’effectifs et
d’équipements inférieurs en nombre à ceux engagés de leurs adversaires. Dans
les scénarios défensifs, il peut lui arriver de combattre jusqu’à 1 contre 6 ;
dans un cadre offensif, il ne dispose jamais d’un rapport de forces supérieur à
2 contre 1. Ses équipements, de type soviétique, sont également moins
performants que les équivalents américains et certaines conventions d’exercice,
notamment l’emploi de l’artillerie, avantagent clairement la BLUEFOR. Ce manque
de ressources humaines et matérielles est en partie compensé par une meilleure
exploitation de l’environnement physique, évidemment beaucoup mieux connu par
le régiment (même s’il représente la moitié d’un département français) que par
leurs adversaires.
La
vraie supériorité du 11e ACR se trouve donc dans les ressources immatérielles.
A l’échelon des unités de manœuvre, les soldats de la 11e ACR sont évidemment
sensiblement les mêmes que ceux des autres unités de l’US Army. Le 11e ACR connaît par ailleurs le même
problème de turn over (40 % de
changement par an). La motivation moyenne et la « cohésion sociale » y
sont sans doute supérieures du fait de l’habitude du succès et du temps passé à
« combattre ensemble » mais dans un cadre où les combats simulés et
où donc le facteur danger est exclu, ces variables ont cependant peu
d’importance dans ce cadre. Cela permet de mettre en évidence les deux vrais
facteurs de supériorité tactique du 11e ACR. Le premier est le
temps que les sections et compagnies passent à l’entrainement. Les unités du 11e
Régiment n’étaient pas touchées par des missions annexes (gardes, services
d’honneur), hors des exercices contre la BLUEFOR elles disposent de presque tous
leurs véhicules ainsi que de terrains d’entrainement et de systèmes de
simulation parmi les plus modernes. Sections, compagnies et bataillons passent
donc leur temps, soit à « combattre » la BLUEFOR, soit à s’entrainer
à le faire ou au moins à obtenir (ou réobtenir) la certification nécessaire
pour le faire. On peut estimer que dans les années 1990, une compagnie du 11e
ACR disposait en moyenne de dix fois plus d’expérience tactique que celles de
la BLUEFOR. Les bataillons sont par ailleurs interarmes et outre sa spécialité
bien maitrisée chacun rencontre au quotidien les spécialités des hommes et
finit par bien les connaitre aussi.
Le
deuxième facteur de supériorité est la structure de commandement qui permet de
concilier la qualité de coordination de toutes les cellules d’appui et de manœuvre
du régiment avec la vitesse de planification et d’exécution. Reprenons ce
dernier élément. Si on croit les analyses statistiques de Jim Storr, parmi ces
deux critères, c’est bien le second le plus important. Toutes choses égales par
ailleurs, le groupement tactique qui à l’initiative de la manœuvre et dont l’état-major
est capable de produire des ordres deux fois plus vite que son adversaire, l’emporte
dans la très grande majorité des cas (5 fois contre 1 au niveau du bataillon si
on croit une étude statistique soviétiques sur la Seconde Guerre mondiale). En
fonctionnant deux fois plus vite que son adversaire, il est possible de
concevoir une première manœuvre puis une deuxième qui tient compte avantageusement
de la première avant même que l’ennemi ait commencé vraiment à agir (5). L’état-major
du 11e ACR est organisé pour agir vite : le commandant du
régiment définit en quelques minutes les modes d’action possibles, l’état-major
et les commandants d’unités planifient et préparent ces différents modes d’action,
l’action du régiment commence ensuite par celle de son puissants bataillon de
reconnaissance, en fonction des résultats de cette phase de renseignement en
force, le commandant choisit le mode d’action ensuite le mode d’action le plus
adapté qui est alors mis en œuvre dans la foulée. Selon une étude de la RAND
corporation, sur 36 combats offensifs, l’OPFOR n’en a perdu qu’un seul alors
que le bataillon de reconnaissance avait réussi sa mission initiale (ce qui est
arrivé dans 33 des cas étudiés). Fondé une intention du chef connue de tous, des
ordres simples (un schéma le plus souvent) et des compétences tacites (maitrise
des procédures, connaissance de ce que font faire les voisins, etc.) qui
évitent les échanges d’informations explicites le fonctionnement de l’unité est
souple et fluide. Le régiment connait par exemple très peu de tirs fratricides
(6).
Le
succès du 11e ACR a fortement inspiré les nouvelles structures de l’US
Army, les Stryker Brigade Combat Team
(SBCT) en premier lieu puis toutes les autres brigades de l’US Army et les bataillons qui les
composent qui sont désormais tous interarmes. On notera que dans le cas des SBTC, la
priorité n’a pas été le développement d’un nouveau engin de combat d’infanterie,
au contraire il a été acquis « sur étagère », mais dans tous les autres
facteurs : nombre de « soldats au sol » et puissance de feu anti-personnel
au niveau des cellules tactiques, coordination interarmes (les bataillons et
même compagnies sont organiquement interarmes) et surtout système de
commandement rapide et fluide grâce à la numérisation intégrale.
On
peut désormais affiner l’équation de la performance tactique : ET
(efficacité tactique) = (Matériel x Environnement) x (force des cellules
tactiques x Système de commandement)2. La force des cellules
tactiques est une combinaison de détermination, de cohésion et de compétences
individuelles et collectives (cohésion technique).
(à suivre)
|1]
Trevor N. Dupuy, Understanding War:
History & Theory of Combat, Nova Publications, 1987, p. 84.
[2]
Stephen Bidlle, Military power,
Explaining Victory and Defeat in Modern Battle, Princeton University Press,
2004. Martin Van Creveld, Fighting Power: German and U.S. Army Performance,
1939-1945, Praeger; Reprint edition 2007.
[3]
Stephen Biddle, « Victory Misunderstood: What the Gulf War Tells Us about
the Future of Conflict », International
Security, vol. 21, n°2 (fall 1996), pp. 139-79. Stephen Biddle, Wade p.
Hinkle, and Michael P. Fischerkeller, « Skill and Technology in Modern
Warfare », Joint Force Quaterly,
Summer 1999.
[4]
Martin Goldsmith, Jon Grossman, Jerry Solinger, Quantifying The Battlefield, RAND corporation 1997. Bryan W.
Hallmark, James C. Crowley Company
performance at the National Training Center, RAND corporation 1997.
[5]
Jim Storr, The human face of war, Birmingham War Studies, 2009.
[6]
Colonel John D. Rosenberger, “Reaching Our Army's Full Combat Potential in the
21st Century: Insights from the National Training Center's Opposing Force”, ARMOR,
May-June 1999.
Super intéressant. On attend la suite avec impatience. Même si les environnements et les objectifs sont complètement différents, ce raisonnement peut s'appliquer de façon analogue pour les entreprises, me semble-t-il. Il explique, au moins partiellement, pourquoi des start ups moins dotées en capital et en moyens humains parviennent à conquérir des parts de marché face à des grands groupes.
RépondreSupprimerJ'ai plusieurs questions :
- de quand exactement date le GTIA dans l'armée française ? qui a créé cette structure ? Comment a-t-elle évolué ? Comment va-t-elle / doit-elle évoluer d'après vous ?
-est-ce que les facteurs qui expliquent le succès du 11ème ACR au NTC ne sont finalement pas les mêmes que ceux qui conduisent à l'efficacité que l'on vante tant chez les forces spéciales : meilleure formation de spécialiste, meilleure interaction entre les spécialités, temps d'entraînement très largement supérieur, expérience au combat plus longue et plus variée, chaîne de commandement beaucoup plus fluide et raccourcie, technologies de pointe, meilleures interactions entre les chefs et au sein des groupes d'opérateurs, etc ..., tous ces facteurs se "fertilisant" les uns les autres au cours du temps.
- dans un régiment d'infanterie français "classique" en 2018, quel part du temps (hors opérations) est consacrée à la dimension tactique (instruction / formation, entraînement terrain), que ce soit pour les soldats ou pour les cadres ? Vu de loin, on se dit que c'est le coeur du métier. Cette part est-elle suffisante d'après vous ? Et quid du rapport entre cette part dans un régiment classique vs une unité des FS ?
- les opérations récentes (je pense en particulier à l'Afghanistan, au Mali, aux différentes opérations africaines hors Mali, ...) n'ont-elles pas du point de vue tactique transformé assez radicalement l'armée française en renforçant considérablement l'expérience et les savoir-faire ? Comme simple observateur (du monde civil, je précise), j'ai l'impression qu'il y a eu une mutation de compétences /approche au détour des années 2000. Mais peut-être est-ce lié à la professionnalisation. Bref, je suis curieux de votre point de vue là-dessus. Bien entendu, je parle de l'histoire récente, id est depuis les années 65-70.
Merci en tous cas pour vos textes et analyses toujours très riches, et merci par avance pour vos réponses.
Bien cordialement,
Merci à vous.
SupprimerLes bataillons interarmes de circonstance existent depuis longtemps, les expéditions coloniales déjà et à plus grande échelle depuis la Première guerre mondiale. Ils ne deviennent vraiment "organiques" que depuis les années 1950, époque où en France, régiment et bataillon deviennent synonymes. On trouve dès lors de nombreuses formules, régiments mécanisés avec deux escadrons AMX13 puis compagnie d'AMX30, sections antichars dans les compagnies, section de mortiers lourds, régiment interarmes d'outre-mer, régiment de combat aéromobile, régiment interarmes divisionnaires. J'ai personnellement servi dans deux régiments de ce type (méca et RIAOM). C'est évidemment plus performant que l'assemblage ad hoc mais cela pose des problèmes. C’est lourd à gérer, il faut des équipes de soutien pour chaque type de matériel, gérer les compétences propres de chaque spécialité hors des milieux, gérer des carrières différentes. Les armes « recevantes », par exemple un régiment d’infanterie accueillant par exemple une batterie et un escadron sont plutôt d’accord, les « fournisseurs » sont souvent moins chauds : des batteries dans les régiments d’infanterie ce sont des régiments d’artillerie en moins (donc des commandements en moins, des corps prestigieux qui disparaissent, etc.). On trouve globalement les problématiques habituelles d’une entreprise entre internalisation et externalisation à ce détail près que l’on engage des vies dans les choix qui sont faits.
Je me suis attaché à l’échelon bataillon/brigade (en gros de 800 à 4 000 soldats). Il y a bien là deux niveaux à considérer, celui des cellules tactiques elles-mêmes (les « start up ») et la grande entreprise qui les intègre et doit coordonner leurs actions. Ce ne sont pas les mêmes logiques et les mêmes besoins.
Sur les deux derniers points, c’est une lutte permanente contre
1. les multiples tâches satellites (gardes, servitudes diverses, piquets d’honneur, etc.) qui viennent ronger le temps disponible pour l’instruction (et qui n’a pas de rentabilité visible immédiate)
2. Le turn over. On a parfois le sentiment de recommencer les mêmes choses pour simplement maintenir des savoir-faire collectifs. On peut estimer empiriquement que, si on ne fait rien, avec le remplacement de beaucoup de soldats expérimentés, on perd chaque année 10 % notre capital de compétences tactiques et techniques tacites accumulées. Après des années de Sentinelle, il n’est pas sûr que l’on soit capable de refaire Serval avec la même efficacité qu’un an après la fin de l’engagement en Afghanistan.
3. le manque de volonté et d’imagination. Le souci du drill permanent, la recherche d’innovations dans les méthodes d’instruction doivent être une culture à inculquer jusqu’au plus bas niveau. L’entrainement d’un soldat professionnel doit être appréhendé de la même façon que celui d’un sportif de haut niveau.
Bien cordialement.
Merci beaucoup pour votre réponse rapide, très éclairante.
SupprimerBien cordialement,
[daniel]
RépondreSupprimerMon Colonel,
Merci, quelle somme!
J’ai quelques observations mineures.
Le bailli de Suffren a combattu avec succès la marine anglaise avec des navires et des marins tous deux inférieurs à leurs adversaires et souvent des capitaines de vaisseaux en-dessous de leur tâche. Mieux, les postes de combat déficitaires (scorbut) étaient armés par de l’infanterie de marine, des soldats pris à terre ou même des esclaves, sans expérience de la marinade. Mais Suffren était un chef ardent et d’un courage hors du commun, attentif à la maistrance et aux hommes, même si très dur jusqu’à l’injustice envers les officiers.
Si le bailli de Suffren montre que rôle du chef est important, Manstein pour les opérations terrestres a prouvé qu’un bon état-major animé par un chef touchant au génie pouvait faire des miracles, même à 8 contre 1. Son crédo : ne jamais jeter la ligne de mire.
Les exploits de la 82e Airborne et ceux du 11e ACR sont sans aucun doute en rapport avec l’entraînement et l’expérience du combat ainsi que de l’exemption de servitudes annexes. Sans doute aussi, comme vous le montrez, une dotation d’ équipements qui ne grèvent pas la souplesse d’emploi. C’est une affaire d’adaptation à l’ennemi.
On peut aussi avancer la ténacité remarquable des parachutistes allemands au mont Cassin, sans armes lourdes ni appui aérien, face à une artillerie écrasante et des unités polonaises au courage légendaire. A vrai dire, la croyance de leur ennemi en la toute puissance de la technologie les a, initialement, beaucoup aidé. La loi des rendements décroissants est connue et elle est vérifiée pour tout équipement trop contraignant.
Peu avant l’engagement massif des USA au Sud Vietnam, Jean-François Deniau était ambassadeur de France dans un pays africain. L’attaché militaire US, un colonel des Marines, vint lui demander son avis sur le type de combat que les USA devraient mener. Réponse de l’authentique praticien de la guérilla : armement léger et pieds nus, combattre la nuit, suivre le régime alimentaire des autochtones. L’attaché militaire lui a rétorqué : « Merci, je le savais. Nous allons faire exactement le contraire : imposer à l’adversaire des opérations à 10000 pieds d’altitude et toute notre alimentation viendra de San Diego.» On sait qu’une arme secrète des Viets, la boue dégueulasse des rizières, aura prévalu. Pas la seule, naturellement.
Peut-être faut-il en finir avec le délire technologique et le prix exorbitant des armements de toute nature, étant entendu que pour les 10 ans à venir, aucune guerre n’éclatera en Europe. Ce que je crois.
Pas de guerre en Europe à terme, probable, mais l’incertitude demeure.
Elle nous oblige à conserver une marine, une aviation et des armes terrestres d’appui à la hauteur de l’enjeu principal, même lointain, tout en restant aptes au soutien des troupes au sol, maintenant.
Poids des hommes et de leur instruction, coordination inter-armes, adaptation évolutive à l’ennemi du moment, crédits insuffisants dépensés avec discernement, acceptation des pertes et but légitime: rien de nouveau sous le soleil. Et tout compte fait, l’ensemble des forces françaises s’approche assez bien de ce compromis.
L’attachement de la nation à ses forces armées le prouve.
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerIl me semble que la Wehrmarcht de 1941 était déjà capable avec un seul régiment de bousculer une division.., ou à Monte Cassino de résister tout en contre-attaquant des troupes alliés en supériorité numérique et matériel. Mais vu l'histoire qui entoure l'armée allemande de cette époque, difficile de reconnaitre sa raison d'être et donc son efficacité, pourtant je ne vois pas de nouveauté depuis ces furies grises hautement redoutables, et qui l'ont étés pour les mêmes raison que vous avez évoqué dans ce sujet.
RépondreSupprimerUn hors serie du magasine "Raids", qui parlent des conflits actuels est sorti... Il est intéressant !
RépondreSupprimerhttps://www.lopinion.fr/blog/secret-defense/marc-chassillan-armees-occidentales-agissent-encore-dans-confort-145371
Cette analyse est intéressante et elle me conforte dans l'idée que l'armée de terre a raté une occasion en ne retenant pas le type de régiment interarmes que fut le 21° de Marine du début des années 80 dans le cadre de la 31° brigade. C'était un précurseur du GTIA mais dans des structures permanentes et donc avec une connaissance réciproque des différentes unités, une habitude de la manoeuvre en commun et du même commandement allant dans le sens de votre démonstration
RépondreSupprimerSouvenirs d'un vieux c...
RépondreSupprimerAu milieu des années 1980, officier adjoint en unité d'instruction du Génie, avec mon commandant d'unité, fervent partisan de la méthode Montauban au tir, nous avions refondu le programme d'instruction, avec les bénédictions du colonel commandant le régiment et du chef Bureau Instruction, avec un mot d'ordre simple « Drill » (apprentissage concret permettant de rendre les jeunes gens instruits aptes à exécuter sans hésitation leur mission) aux niveaux individuel, du groupe et de la section, prenant le contrepied du mode d'instruction en vigueur imposé par les états-majors parisiens de l'époque, le P.M.G. (Nous laisserons les esprits alertes se défouler à loisir sur cette abréviation), parfaitement irréalisable, compte tenu de la maigreur des moyens humains, matériels et financiers dévolus. Au plan humain, le changement apporté a été de faire fonctionner cette unité d'instruction comme une unité de combat, en mettant l'accent sur les traditions, une plus grande cohésion entre les cadres de contact, une formation renforcée au combat d'infanterie des futurs cadres appelés et l'émergence d'un esprit de corps permettant de s'affirmer individuellement et collectivement par rapport aux autres unités élémentaires « chevronnées ». Après un an de drill, cette unité défilait comme une autre en ville le 14 juillet, était capable de s'insérer dans le tour aux différents postes de garde du régiment et fournissait des conducteurs de véhicules confirmés en fin de classe et des gradés appelés s'intégrant sans problème dans leurs unités d'affectation. Salutations à tous.
[daniel]
SupprimerEsprit alerte inutile, suffit d’être un autre vieux con...
Je laisserai donc les redoutables initiales PMG dormir du sommeil de l’oubli.
Nous avions eu l’insigne honneur de voir parachuté comme chef du Bureau Instruction un envoyé parisien,
ayant participé à la conception de cette horreur.
Comme vous, que d’efforts pour contourner ses oukases ! Je crois que nous, et la pauvreté des matériels, avons eu la peau de cette chose hors de propos.
Mais avouons, comme vous le montrez, que la PMG, nous a obligé à nous activer les neurones.
Peut-être était-ce le but ? Genre coup de pied dans la fourmilière.
En tout cas, quand des esprits de système quittent le plancher des vaches, les dégâts peuvent invalidants.
Une piste pour les esprits alertes questionneurs, cette chose était à peu près contemporaine de la méthode globale de lecture dans le primaire. Mêmes dégâts.
Salutations émues.
Eh oui ! Trente avant l'Education nationale, le pédagogisme faisait rage dans nos rangs. Comme quoi, il n'y a rien de nouveau sous le soleil et nous ne faisons que recycler des concepts creux d'une génération à l'autre. Salutations.
SupprimerMerci anonyme.
SupprimerMerci infiniment mon colonel de rappeler que la valeur d'une troupe est fondé essentiellement sur son encadrement et un entraînement permanent et réaliste. Ce fut le cas notamment de la Grande Armée de Napoléon du camp de Boulogne à l'été 1805. Une troupe qui se disperse en temps de paix dans de multiples activités non opérationnelles est vouée à vivre des lendemains difficiles le jour où elle affrontera des gens sérieux en face. Le souci de tout chef, quel que soit son niveau, doit être d'entraîner et d'entraîner encore son unité; sinon il trahit sa charge.
RépondreSupprimerCe que vous évoqué là, fait penser au célèbre proverbe prussien, « l’entrainement et la sueur économisent le sang ».
RépondreSupprimerPar exemple, on a remarqué, en Israël, que les meilleurs équipages de chars, ceux qui avaient les meilleurs résultats, étaient ceux des appelés, qui après leurs deux années de formation et d’entrainement initiales quand même, revenait périodiquement, sur le même char, et retrouvaient très rapidement leurs automatismes car en restant la même équipe de départ.
Au-delà d’un entrainement collectif commun suffisant, ce principe n’est pas non plus nouveau, il est même relativement universel et intemporel.
Il est aussi celui qui a fait tous les bataillons et autres unités de vétérans, sur tous les terrains de guerre présents et passés. Même à tel point que Napoléon, en si extraordinaire stratège qu’il était, avait créé une unité spécifique pour mettre en valeur et utiliser ce principe, avec la garde impériale. Garde impériale, dont la seule présence sur un champ de bataille faisait frémir tous leurs adversaires, et qui comptait dans ses rang des soldats ayant jusqu’à plus de quinze années de campagne.
On est loin de notre (non) système des ressources humaines de notre armée française jetable actuelle.
Armée où la fidélisation en particulier est restée complétement lettre morte, ou un vœu pieux, avec des périodes d’engagement qui ne cessent même de se réduire, en passant récemment à moins de cinq années en moyenne, chiffre qui n’a jamais été aussi bas (bien que l’on ait jamais non plus dépassé les sept années en moyenne, depuis plus de vingt ans !).
A quand un véritable statut pour nos engagés volontaire, avec de véritables possibilités de carrière, comme dans tout autre corps et à ce niveau ?
Car c’est bien d’une armée de CDD à une véritable armée de métier (et non simplement professionnelle) qu’il nous faut passer.
Ce qui permettrait entre-autre, d’instaurer enfin un cercle vertueux, en recrutant moins (ce qui permettrait avec les économies réalisées de justement revaloriser les soldes), car pour une beaucoup plus longue période, et en instaurant ainsi et assez rapidement à nouveau une sélection décente (où l’on ne se contente pas de prendre tout ce qui se présente, par ce qu’il a vu de la lumière en passant, et surtout par défaut).
On peut ainsi penser à une carrière au niveau engagé volontaire qui se déroulerait en deux parties principales : Une première partie, d’une quinzaine ou à une vingtaine d’années dans une unité de contact, la légion recrute jusqu’à quarante ans, ce qui est également l’âge de certains sportifs, pourquoi n’en serait-il pas de même de nos soldats engagés volontaires. Et pour ensuite, poursuivre une deuxième partie de carrières dans des unités plus sédentaires, de soutiens, de formation et de transmission de l’expérience, ou encore administratives, mais tout en restant dans l’institution afin de partager et faire fructifier, ne serait-ce qu’en partie, les acquis et les connaissances acquises dans la première période.
D’autre part, « l’organisation » actuelle, en « GTIA » et « sous GTIA » relève plus de notre incapacité, désormais largement actée, de pouvoir projeter e même t de penser véritablement bataillons (-régiments) et brigades. Brigades qui sont devenues des coquilles vides, et plus des formations théoriques qu’autre chose. Ne parlons même pas des pseudos nouvelles divisions, qui n’en ont même pas l’organisation minimale ni même les unités requises pour ce type de formation.
RépondreSupprimerQuand on en est à projeter des unités, compagnie par compagnie, quand ce n’est pas section par section, et encore quand on arrive à en trouver suffisamment de disponibles …
Là aussi on est bien loin d’unités habituée à manœuvrer et à travailler ensemble, à un suffisamment haut niveau intégré. Du niveau brigade interarmes, si ce n’est même au-dessus avec les éléments d’appuis et de soutiens supérieurs néanmoins nécessaires sur chaque théâtre d’opération.
Au lieu de vouloir penser toujours plus petit, c’est au contraire les bataillons d’arme suffisamment entrainés et habitués à agir ensemble, qu’il nous faut d’abord préserver. Et ensuite, les éléments d’appuis, ayant participés à des entrainements communs en suffisance, viennent s’y greffer, suivant les besoins et les nécessités de chaque situation tactique ou opérationnelle.
Et pas l’inverse, en mettant « la charrue avant les bœufs », avec ce faire avec, ce que l’on a bien pu trouver et récupérer de disponible, qui est devenu le triste quotidien de nos armées.
Ceci également, et au-delà des problèmes d’organisation, si l’on veut garder un esprit de corps constitué suffisant, et approprié, qui est aussi déterminent dans les situations extrêmes que peuvent être celle du combat. Là aussi, la mise en exergue d’une véritable culture des traditions modernisées et réactualisée, sur le modèle de ce qui se fait à la légion étrangère, ou encore dans l’armée britannique, ne serait pas de trop, et même relativement nécessaire si ce n’est indispensable à l’efficacité de nos troupes dans les situations les plus critiques encore une fois.
Il serait quand même temps de revoit tout cela, et de penser à changer, tout cela, et à revenir à un modèle d’armée un peu plus organisé, et un peu plus réfléchi !