Le 23 novembre 2010 le très médiatique général de l'US Army David Petraeus, était venu à Sciences-Po. Il y présentait la stratégie qu'il comptait employer pour vaincre l'ennemi en Afghanistan.
Un tour de magie comprend
trois étapes : la promesse, le tour proprement dit et le prestige. La
stratégie du général Petraeus présente de profondes analogies avec cette
définition. La promesse vit le jour en 2006 par le biais du manuel militaire le
plus médiatisé de l’histoire, le FM 3-24, matérialisation de l’espoir d’une
solution au désastre irakien. Le tour fut le Surge ou « sursaut »,
rétablissement spectaculaire de la situation sécuritaire dans le pays des deux
fleuves à partir de 2007. Le prestige suivit, avec l’exploitation habile du
tour par la diffusion d’une success story, oublieuse des erreurs passées
(comme le soutien en 2004 à des « forces spéciales de police »
devenues des escadrons de la mort), de l’héritage des prédécesseurs et du rôle
du mouvement du Sahwa (Réveil) initié
par des chefs sunnites avant 2007.
C’est ce prestige irakien
qui forme désormais la base de la promesse afghane. Plus besoin cette fois de
nouveau manuel, mais de la seule présence du général victorieux et d’un message
simple constitué de quelques slogans et d’une diapositive PowerPoint baptisée Anaconda. Comme dans un tour de magie ou en économie, l’important
n’est pas que ce qui est dit soit pertinent au départ, mais que cela soit crû
pour que cela devienne pertinent in fine, une fois le succès obtenu.
Comme de Lattre en Indochine, Petraeus doit frapper les imaginations (le
« surge de l’esprit »)
avant de porter des coups à l’ennemi qui refrapperont les imaginations en
retour. Le problème du combat en coalition est simplement que les esprits à
convaincre sont plus nombreux et qu’ils sont au moins autant civils que
militaires.
D’un point de vue opératif, l’idée
d’Anaconda est d’étouffer les groupes
ennemis en agissant contre eux de toutes les manières possibles, violentes et
directes – en particulier par les raids des forces spéciales – comme indirectes
– par l’aide à la population. D’un point de vue sociologique, cette vision
relève de l’école dite de la traduction, car elle présente l’avantage de pouvoir être
compréhensible et séduisante pour tout le monde, depuis les apôtres de la bataille
des cœurs et des esprits jusqu’aux partisans les plus durs du kill or capture.
Elle présente toutefois la
difficulté majeure de tolérer des contradictions internes susceptibles
d’enrayer le cercle vertueux tant recherché. Les dynamiques positives l’ont
emporté en Irak grâce au retournement sunnite. Cela n’a pas été le cas au Viêt-Nam,
lorsque le One War Plan du général Abrams a succédé en 1969 à la
politique des opérations de recherche et destruction de son prédécesseur. Avec
le One War Plan, jamais la population locale n’a été autant aidée, mais
jamais aussi elle n’a autant souffert. Au-delà du discours sur la nécessité de
protéger les villages, les Américains, de plus en plus rétifs aux pertes, ont
multiplié l’emploi des feux indirects pour compenser les risques des unités
régulières, mais aussi les raids d’élimination des cadres du Viêt-Cong dans le
cadre du programme Phoenix. Au bilan,
lorsque les Américains ont commencé à quitter le pays en 1972, ils pouvaient se
targuer d’avoir gagné toutes les batailles et de pouvoir passer le relais à une
volumineuse armée sud-vietnamienne équipée à grand frais. En réalité, ils ne
contrôlaient vraiment que la surface de leurs bases et, trois ans plus tard,
l’armée sud-vietnamienne, privée d’argent américain, s’effondrait.
Dans ce théâtre de l’esprit
et des coups, le général Petraeus, rival politique potentiel de son propre commander in chief, a pris soin de
laisser entendre que, si le tour ne fonctionnait pas, c’est parce qu’on n’y
croyait pas assez ou qu’on ne lui avait pas donné les moyens de le réussir.
Réussite ou échec, l’expérience Petraeus se terminera par un nouveau prestige
et la promesse d’un nouveau tour, peut-être électoral cette fois.
Le général Petraeus avait été subjugué par les études et écrits de David Galula, officier français, qu'il avait surnommé " le Clausewitz de la contre-insurrection ".
RépondreSupprimerSeuls les enfants ont cru au tour de magie. La situation actuelle en Afghanistan n'est une surprise pour aucun décideur digne de ce nom. Le retrait progressif des contingents occidentaux s'est fait avant d'atteindre les insurgés dans leur zones refuges, avant de couper leurs trafics et financements, et surtout en se voilant la face sur les inextricables rivalités tribales.
RépondreSupprimerMais le prestige reste, Petraeus pourrait bien être le prochain Ike !
La fin d'un magicien victime du sortilège de l'amour
RépondreSupprimerLe 28 avril 2011, le président Obama a annoncé la nomination de David Petraeus à la tête de la CIA à la place de Leon Panetta, pressenti pour devenir secrétaire à la Défense. Le 30 juin 2011, il a été confirmé à son futur poste à l'unanimité des membres du Sénat et a pris ses fonctions le 6 septembre suivant. Il a démissionné le 8 novembre 2012 à la suite d'une affaire d'adultère avec sa biographe Paula Broadwell, ancienne militaire de vingt ans sa cadette, à laquelle il aurait transmis de documents ultra-secrets. Après avoir plaidé coupable, estimant avoir « fait preuve d'un énorme manque de jugement », il a été condamné pour cette affaire, le 23 avril 2015, à deux ans de prison avec sursis et à cent mille dollars d'amende.
De tout temps la population (devenue ''opinion publique '' à partir de la fin du XX° siècle) a eue besoin de généraux "glorieux vainqueurs". Nous Français, nous avons pas échappé à ce besoin d'identification: Les généraux Boulanger, Pétain, Leclerc, de Lattre ont été à la cimaise de notre admiration. La fin tragique de notre dernier grand conflit (Algérie)a arrêté ce processus et dans les décades suivantes, l'antimilitarisme prôné a fait le reste... Peut être que cela a permis un certain recul pour apprécier la valeur de ces gloires militaires?
RépondreSupprimerL'anti-militarisme est une excuse pour accuser ceux qui sont contre les guerres d'ingérences comme l'Irak ou la Libye, c'est la résultante d'idéologues bien étranges et au débat démocratique à sens unique, et donc nous en payons le prix par manque de concertation républicaine, sous la forme du terrorisme et de l'état d'urgence. Même un battement d'ailes de papillon peut entrainer une tempête aux antipodes... En 2018 cela fera 100 ans que l'armée française n'a pas gagné une guerre conventionnel, cela fait quand même un baille, et beaucoup de questions sans réponse.
SupprimerPetraeus a aussi beaucoup apprécié le film "la bataille d'Alger" modèle de contre-insurrection.
RépondreSupprimerModèle de contre-insurrection? Modèle de coup d'état militaire surtout! On y a vu les limites de notre étanchéité en ressource humaine, et donc notre perfectibilité, nos bottes secrètes et nos talons d'Achille. Cela va-t-il mieux aujourd'hui avec Vigipirate, Sentinelle, les réservistes, la garde national, le service militaire, les sociétés de projet, la vente d'ondes Hertziennes, vente de technos censés être stratégique? J'ai comme un doute.
SupprimerBonjour,
RépondreSupprimerCes pays musulmans en plein boom démographique, comme Afghanistan sont les chaudrons du Diable.
Afghanistan passe de 20 à 70 million habitants.
On aurait pu leur apporter le développement, les modes de comportement, les technologies.
Cet attristant Anaconda est la bouffonnerie finale. Les pays d'alentour seront obligées de prendre des quartiers de cette ruine musulmane, des emmerdes à plusieurs point de leur PIB,
...et il y a cinq d'autre Afghanistan.
https://esa.un.org/unpd/wpp/Graphs/Probabilistic/POP/TOT/