Modifié le 26 avril, 12h53
Lorsqu’il
rédigea son Histoire des animaux, Aristote (ou un de ses copieurs) écrivit que
la mouche commune n’avait que quatre pattes. Cette erreur fut retranscrite sur
tous les ouvrages scientifiques et professée par tous les doctes pendant mille
ans avant qu’un étudiant de la
Sorbonne fasse remarquer qu’il suffisait de regarder pour
constater que cela n’était pas exact. Il est vrai que cette erreur n’avait
guère d’impact sur la vie courante.
Plus
près de nous et plus grave, en janvier 2010, les économistes de renommée
internationale Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff publièrent une étude
statistique dont la conclusion majeure était que, depuis 1945, au-delà de 90 % du PIB
d’endettement public, les économies plongeaient dans une récession d’en moyenne
1 % du PIB. Cette étude eut un grand retentissement et fut reprise comme
justification de beaucoup de politiques de rigueur budgétaire en cours
actuellement. Parmi beaucoup d’autres, Olli Rehn, vice-président de la
commission européenne, y faisait encore référence à une lettre adressée le 13
février dernier aux ministres des finances de l’Union européenne. Puis vint un
étudiant de l’Université Amherst du Massachusetts qui eu la simple curiosité de
regarder le tableau Excel utilisé par les deux économistes. Il s’aperçut alors
que plusieurs lignes avaient simplement été oubliées. Des économistes de l’Université
entreprirent alors de refaire les calculs et déterminèrent d’abord que les
endettements publics entre 90 % et 120 % du PIB ne s’accompagnaient pas
d’une récession mais…plutôt d’une croissance moyenne de 2,2 %, sans que l'on puisse d'ailleurs établir plus clairement le lien de causalité entre les deux phénomènes.
Dans
Kaputt, Curzio Malaparte décrit une scène surréaliste où des centaines de
chevaux pris de panique par un incendie de forêts et cherchant à fuir à travers
le lac Ladoga se retrouvent piégés par une cristallisation à la suite d’un vent
glacé. Il arrive que les « sachants » et les puissants se retrouvent
comme ces statues gelées en n’osant pas, ne voulant pas ou souvent n’envisageant
même pas de contredire une vérité établie. C’est alors que les impertinents sont
nécessaires pour nous garder des gardiens de la doctrine. La liberté de réfuter
est la condition première de l’évolution de la pensée.
Autant je suis entièrement d'accord avec la difficulté (mais parfois la nécessité) de casser quelques vérités établies, autant l'exemple économique n'est pas forcément très pertinent.
RépondreSupprimerPar rapport aux dettes et à la croissance, un étude simple de la situation économique mondiale montre en l'occurence que notre étudiant d'Amherst est notre Aristote qui oublie de vérifier ce qu'il affirme : dans les pays qui ont entre 80 et 120% du PIB d'endettement (ou plus), aucun n'a une croissance de l'ordre de 2%. L'écrasante majorité sont soit en récession, soit à moins de 1% de croissance. Cette simple observation de la réalité montre que son analyse est fausse !
Quelques chiffres à l'appui (taux d'endettement 2011 / croissance 2011) :
France 86,1% 0,5%
Belgique 98% 0%
Italie 120,1% -1,4% (récession)
Irlande 108,2% 0,5%
Grèce 165,3% -4,7% (récession)
Japon 205,5% -0,5% (récession)
Et la liste est encore longue...
La théorie et les calculs de Reinhart et Rogoff, malgré quelques imperfections, sont donc largement plus proches de la réalité que la théorie de l'étudiant.
Personnellement, je tirerais de cette histoire deux enseignements :
1) C'est la réalité qui est réelle (et oui!)... Un chef de char, un jour, en parcours de tir à Canjuers, annonce au PC de contrôle de l'exercice qu'il lui reste un obus dans son tube. Le PC lui répond alors que ce n'est pas vrai puisqu'il est marqué à 0 en situation munition sur leur écran de contrôle. Le chef de char vise alors le PC et annonce "donc là si je tire il ne se passe rien ?". Il a été puni mais l'obus était bien dans son tube. Une erreur informatique était à l'origine de l'affaire. Il faut donc toujours s'appuyer sur les faits et non sur des conjectures.
2) Vouloir systématiquement abattre des vérités peut devenir pathologique, pour une quête de reconnaissance ou autre... Il faut donc être vigilant. Notre étudiant a certes découvert une erreur dans le modèle des économistes, et cela les aidera certainement à l'améliorer. Mais il a développé un modèle encore plus mauvais puisque ses résultats sont totalement opposés à la réalité alors que ceux des économistes étaient plus près de la vérité...
Bref, j'adhère totalement à la conclusion de ce post, mais l'exemple choisi est relativement inadapté à mes yeux...
Vos remarques vont m'amener à clarifier mon propos. D'abord le constat des 90 % porte sur les économies depuis 1945 pas seulement les cas récents. Surtout, il établit simplement une corrélation et non une causalité claire. Dans les chiffres que vous citez,c'est aussi la récession ou la décroissance qui provoque l'augmentation considérable de la dette publique.Enfin,à l'intérieur même de la dépense publique, il y a des euros qui stimulent la croissance à court terme (les investissements industriels de défense par exemple), d'autres à plus long terme, d'autres enfin qui la pénalisent (le paiement des intérêts). Bref,c'est effectivement plus compliqué que je ne l'exprime et moins clair que la mouche d'Aristote. L'essentiel est la capacité à réfuter scientifiquement, c'est-à-dire en s'appuyant sur des fondements solides, les doctrines.
SupprimerJ'adore l'anecdote du chef de char.
Bonjour
SupprimerD'où la nécessité de commencer par définir ce qu'est un fait scientifique car les chiffres n'ont que le sens que nous voulons leur donner (voir Platon plutôt qu'Aristote sur ce point là).
Cordialement
C’est bien connu : les chiffres sont comme les hommes, quand on les torture, on peut leur faire dire n’importe quoi. La question est donc de savoir qui décide de la réalité.
RépondreSupprimerLa réponse est évidente : ceux qui profitent à plein du système économique tel qu’il est orienté actuellement.
Il est donc inexact de présenter le problème sous un aspect scientifique. Il s’agit d’un problème politique, sous son aspect premier, celui du vivre ensemble.
Nous pouvons discuter à n’en plus finir sur les chiffres et continuer à nous jeter des théories économiques à la tête, nous ne parviendrons pas à sortir de la spirale infernale tant que nous nous refuserons (quelqu’en soient les raisons d’ailleurs), à traiter de la double problématique du partage des richesses crées et du partage du pouvoir dans l’Entreprise.
Et ces problématiques ont toute leur place sur un blog militaire. L’histoire nous montrant à l’envie qu’en cas de situation insurrectionnelle, tous les pouvoirs finissent par faire appel à la force armée ; la guerre étant la continuation de la politique par d’autres moyens, comme l’a si judicieusement exprimé je ne sais plus quel hippie.
Voici un autre exemple de chiffre fantaisiste qui se diffuse :
RépondreSupprimerhttp://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rbph_0035-0818_2004_num_82_1_4823
Il s'agit de l'évaluation de la population du Congo belge par Stanley, en 1885 (page numérotée 220).
Jean Stengers montre que d'une part, Stanley a fait une estimation très peu précise, et que d'autre part il a fait une erreur de calcul qui a été reprise de manière différente par les historiens francophones / anglophones.
Le chiffre de la population était surévalué à la fois par l'estimation grossière (il supposait que tout le pays avait la densité de population des rives du Congo...) et par l'erreur de calcul.
Cela a conduit à croire après les premières estimations précises qu'il y avait eu une perte très importante de population suite à la colonisation belge, et est encore repris à l'heure actuelle dans des ouvrages ayant pour but de la stigmatiser (on dénonce des dizaines de millions de morts, qui viennent probablement principalement de cette erreur...).
***
Pour le papier des deux économistes américains, il semble que c'est l'inverse : les politiciens voulaient imposer une politique d'austérité, et ils ont utilisé pour cela l'article de Reinhart et Rogoff.
Paul Krugman, prix Nobel d'économie 2010, s'oppose à ces politiques depuis le début, avec d'autres économistes. Voici ce qu'il dit sur son blog :
- au delà de l'erreur de calcul, il ne croyait pas à ce résultat parce qu'une corrélation n'est pas une causalité, et que le reste de son analyse, des exemples historiques... n'allaient pas dans ce sens :
http://krugman.blogs.nytimes.com/2010/08/11/reinhart-and-rogoff-are-confusing-me/
(article de 2010).
- il y a eu un autre article en avril 2010 favorisant l'austérité, lui aussi démonté :
http://krugman.blogs.nytimes.com/2013/04/20/other-austerity-bloopers/
- les politiques (VSP, very serious people) ont utilisé ce résultat parce qu'il allait dans leur sens :
"The intellectual edifice of austerity economics rests largely on two academic papers that were seized on by policy makers, without ever having been properly vetted, because they said what the Very Serious People wanted to hear.
(...)
But the really guilty parties here are all the people who seized on a disputed research result, knowing nothing about the research, because it said what they wanted to hear."
Et il implique ailleurs qu'ils auraient pu faire sans cet article.
***
En fait, la politique d'austérité à l'heure actuelle (en période de crise) résulte avant tout d'un choix politique, et certaines institutions vont à l'encontre de cette politique depuis longtemps. C'est par exemple le cas d'un français du FMI, Pascal Blanchard :
http://krugman.blogs.nytimes.com/2011/12/21/olivier-blanchard-isnt-very-serious/
(article de la fin 2011)
"If I have this right, Olivier is suggesting that harsh austerity programs may be literally self-defeating, hurting the economy so much that they worsen fiscal prospects."
(plus un autre article sur le même thème début 2010).
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Mais, ceci étant, il est vrai qu' "il est bon qu'il y ait des hérétiques."
...le lien manquant :
Supprimerhttp://krugman.blogs.nytimes.com/2013/04/16/holy-coding-error-batman/
Vous m'excuserez du hors-sujet mais pour ceux qui ne le connaissent pas, il faut absolument lire Malaparte, sorte de Jünger italien. Kaputt et La Peau sont deux monuments absolus de la littérature traitant de la Seconde Guerre mondiale. Rajoutez Le Soleil est aveugle à la liste de lecture sur la confrontation entre alpins français et italiens en 1940.
RépondreSupprimerNe pas oublier non plus Le Cheval Rouge d'Eugenio Corti. Je referme la parenthese car le sujet de ce post n'est pas la litterature italienne de la seconde guerre mondiale.
SupprimerBonjour
RépondreSupprimerJe constate qu'ayant ouvert la porte en posant la question des critères de scientificité, plusieurs l'avaient utilisés pour réfuter ce auquel ils n'adhèrent pas et se précipiter pour nous proposer leur propre vérité.
Or aucun n'a proposé un seul critère qui permettrait de convaincre leur lecteurs qu'ils sont plus pertinent que ceux qu'ils critiquent.
Ma première intervention avait pour but d'appeler à un recul sur nos propres critères qui, à mon avis, est la seule leçon à tirer de l'article proposé.
Cordialement
Kaputt est un ouvrage majeur sur la seconde guerre mondiale.
RépondreSupprimerA lire absolument !
Il a eu beaucoup de chance, cet étudiant d'avoir accès à un fichier de tableur in extenso...
RépondreSupprimerC'est un grand classique, la coquille reprise tire larigot et colporté :
Autre exemple célèbre le fer dans les épinards...qui provient d'une coquille à l'impression ...
Mais on pourrait étendre la réflexion à des arguments assénés à partir de Diapo hautement démonstrative mais dont l'image est soit mal goupillée soit dont les données assénées font référence à une étude elle même introuvable ou reposant sur un présupposé de prix faux :
http://img831.imageshack.us/img831/116/85680290.jpg
Dans la proposition du CSBA en faveur d'un nouveau bombardier furtif, il y avait cette diapo démontrant que les missiles de croisières étaient moins rentables qu'un bombardier pour des conflit dépassant 15 jours :
L'explication de cela, c'est une comparaison entre le cout d' un bombardier et de ses bombes versus 12 missile de croisière par jour.
Si l'on regarde à 15 jours de conflit, cela correspond à 600m$ soit 3,3 m$ (le missile ce qui fait un peu cher meme avec un refit du missile à mi-vie...)
Si on se base sur le prix de notre scalp on va beaucoup plus loin...
L'autre problème : je n'ai pas réussi à trouver l'etude de la Rand auquel il est fait référence ...
Dans l'un des pdf sur les bénéfices du canon 40CTA :
http://img201.imageshack.us/img201/6540/phuppimagegvt.jpg
on voit une diapo où l'impression donnée est que le 40CTA approche les effets du 90 mm voire du 120mm ce qui est en accord avec ce que l'on entend sur les "effets terminaux du 40CTA" ...
Sauf que sur ce schéma, il n'y a pas une échelle linéaire entre le nombre de mm de blindage RHA traversé par les différents obus (malgré la pseudo graduation en mm) et la flèche qui donne le modèle de char détruit par chaque obus ...
Dans le détail des épaisseurs RHA traversées, il y a certes un écart modeste avec entre 40CTA et 90mm (basse pression) mais qui se creuse de manière importante pour le 105 voire encore plus pour le 120 :
En fait la disposition correspond plus à une disposition appelée "non paramétrique" en statistique, où les chars détruits se suivent en fonction des modèles atteints mais sans que leur espacement sur la diapositive soit au prorata des différences de blindage atteints.
Sans aller jusqu'au célèbre Powerpoint Spaguetti sur la guerre de l'Afghanistan,
http://warisacrime.org/sites/afterdowningstreet.org/files/images/Afghanistan%20Plan%20Big%2012042009.preview.jpg
on pourrait s'interroger sur les choix d'option stratégique (et de programme de matériels) décidés à partir de Powerpoint "bien présenté" ?
BPCs
Vérité que trop ou très française. Bravo mon colonel.je ne polémiquerai pas. Juste une pensée pour le marsouin qui est tombé aujourd'hui, parce que c'était son métier. Dies irae dies illa ...
RépondreSupprimerJ'ai trouvé un article interessant sur le paradoxe de Simpson qui est complémentaire au message ci-dessus :
RépondreSupprimerhttps://sciencetonnante.wordpress.com/2013/04/29/le-paradoxe-de-simpson/