jeudi 9 août 2012

Réagir à une innovation tactique (2/2)


L’adaptation par le décloisonnement et la diversité

Passés la première surprise, les Israéliens cherchent immédiatement des solutions et ce à tous les niveaux car malgré tout ils ont conservé la culture de l’initiative et de l’improvisation. Dès la fin des premiers combats, les tankistes de chaque bataillon se réunissent pour trouver des parades. Ils s’aperçoivent que les chars mobiles dans la zone de tir ont beaucoup moins de chances de se faire toucher que ceux qui sont statiques, que les durée de vol d’un missile (30 secondes maximum) leur laisse la possibilité de se déplacer de plusieurs centaines de mètres jusqu’à un abri éventuel ou même de tirer un ou même deux obus dans la direction d’origine des tirs. Des procédures d’observation et d’alerte sont mises en place. Toutes ces idées sont regroupées puis échangées d’un bataillon à l’autre.

Une deuxième phase intervient avec l’arrivée des renforts et notamment des unités d’infanterie et d’artillerie des divisions, puis des réservistes qui associent tous une solide formation militaire avec une grande variété de connaissances civiles et même pour certains une expérience dans le domaine du combat interarmes. Cette richesse, cette diversité, l’absence de tout dogmatisme et même de formalisme permet de mettre en commun les réflexions et de trouver des solutions en quelques jours. On admet vite la nécessité de combiner préparation d’artillerie et manœuvre alternant infanterie et chars. Les unités de manœuvre elle-même redeviennent interarmes. La diversité des équipements stockés permet de récupérer des véhicules blindés de transport d’infanterie pour constituer des unités ad hoc intégrées aux chars et de les doter de mortiers. Les obus de mortiers, les mitrailleuses des véhicules blindés, les obus de chars permettent alors de saturer les zones de tir missiles et de de perturber les tireurs. Les divisions échangent entre elles leurs informations de manière informelle, sans attendre les conclusions de l’état-major général…qui ne viendront qu’après la fin de la guerre. Lorsque les combats reprennent le long du canal de Suez, à partir du 16 octobre, l’efficacité des missiles Sagger est rapidement proche de zéro.

Rien de tel chez les Britanniques presque trente ans plus tôt. L’armée britannique de l’époque n’a pas une culture institutionnelle du retour d’expérience. Elle a attendu 1932 pour analyser les combats de la Première Guerre mondiale et en enterrer immédiatement les conclusions car elles ne correspondaient pas aux orientations du moment. Le partage d’informations est limité et ne dépasse guère le niveau de divisions qui restent très « monoculturelles » jusqu’à l’été 1942. Même au niveau des brigades et divisions la liberté d’expression reste très encadrée par les conventions et le conservatisme. Lorsque les Britanniques découvrent l’emploi non conventionnel des canons de 88 mm beaucoup, comme cet officier prisonnier parlant à l’aide de camp de Rommel, trouvent simplement cela unfair. Le plus étonnant est qu’ils disposent, avec le canon antiaérien de 3.7 pouces de l’équivalent du 88 mm allemand mais qu’ils ne l’emploieront jamais de la même façon. Les tankistes n’en veulent pas et beaucoup d’artilleurs sont réticents à cet emploi non-orthodoxe. Il faut les demandes pressantes de quelques officiers directement auprès du commandement régional pour que quelques pièces soient détachées dans des positions statiques d’infanterie. On ne s’inspire pas non plus de l’expérience française à Bir Hakeim où le canon de 75 mm monté sur camion a été très efficace.

Il est vrai qu’au manque de diversité des approches et des expériences s’ajoute aussi le manque de diversité des équipements. Là où les Allemands disposent de deux chars efficaces, le Pz III avec un canon long de 50 mm antichars et le Pz IV avec un canon de 75 mm court servant une puissante munition anti-personnel, et de deux canons antichars modernes, le 50 mm et le 88 mm, les Britanniques ont une pléthore de chars mais presque tous équipés d’un canon de 40 mm à vocation uniquement antichars et avec une faible portée et une faible capacité de pénétration. Les transmissions manquent ainsi que les camions pour porter l’infanterie. Il est vrai aussi que le théâtre d’opérations est loin du Royaume-Uni et qu’il faut au minimum plusieurs semaines pour que les matériels arrivent aux troupes en Afrique du Nord.

La solution au problème tactique britannique viendra finalement de l’arrivée de matériels américains plus adaptés comme les chars Grant et Sherman et leur canon de 75 mm (français) mais surtout de la supériorité numérique au sol associée à la suprématie aérienne. Cela n’empêchera pas les déconvenues locales. Le 2 novembre 1942 pendant la seconde bataille d’El Alamein, la 9e brigade blindée perd encore 70 chars sur 94 en chargeant une ligne de canons antichars.

En conclusion, il apparaît clairement que la capacité d’adaptation rapide d’une organisation repose sur la possession d’un capital d’expériences diverses et d’équipements variés disponibles facilement associé à une culture pragmatique prônant l’initiative et l’échange des idées. En la matière, la jeune armée israélienne composée de réservistes s’est révélée supérieure à la vieille armée professionnelle britannique. 

4 commentaires:

  1. En fait deux choses :
    1/ Avoir un matériel inadapté, suite à de mauvaises études, absence de cahier des charges, absence d'analyse, achats contraints par des économies, achats avec une logique administrative en temps de paix; lobbying constructeurs.
    2/ Avoir un commandement inadapté, Napoléon disait (on lui en fait dire des conneries) "l'initiative et la forme la plus aboutis de la discipline" moi j'aime bien.
    Je me rappel ma stupéfaction quand à la télévision j'ai vu des soldats US en Irak bricoler le renforcement de l'Humvee, en particulier le bouclier du mitrailleur !!! adaptation contraint, mais franchement il y avait de quoi faire un procès au Pentagone et aux officiers en charges de commander.
    Le moindre crétin ayant vu le très bon film la "la chute du faucon noire" aurait refusé d'aller au casse pipe en 1e ligne dans ce genre de caisse.
    Je fais parti des citoyens qui explique depuis 20ans que nous avons connu la fin du cheval en première ligne, et que nous allons connaitre la fin du camion militaire en zone de combat car plus de ligne, et bien il faut attendre la guerre en Irak et l'Afghanistan pour voir les camions se blinder et d'avoir une capacité d’auto-protection. Pas la peine de sortir de ST CYR pour avoir aujourd'hui un VBCL Véhicule Blindé de Combat Logistique, une nourrisse pour tous, ravitailleur en tous et rapidement, et capable de mordre, le train de combat voilà tout.
    Citoyen pourquoi l'armée de Terre malgré les leçons de 1940 et de la FLAK à tj eu une DCA médiocre ?

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  2. On conçoit l'intérêt de regarder ailleurs pour convaincre de l'opportunité d'une structure plus rapidement réactive aux changements quand on traîne le boulet de 1940, ( qui n'aurait peut être pas évolué pareillement si on avait tout à la fois entendu le capitaine posté en face de Sedan qui avait très tôt fait remonter la vulnérabilité de la trouée ou si la chaîne de commandement n'avait pas laissé si peu d'initiative aux cadres sur le terrain, avec cette cerise sur le gâteau du remplacement en plein milieu du gué du général Gamelin par un successeur qui mettra trois jours à reprendre les rênes ) ou que l'on s'est pris la surprise stratégique de Dien Bien Phu dans les dents avec ce taux de perte de 70% parmi les 10000 prisonniers du camps retranché...
    Pour rebondir sur l'Indo, on peut remarquer qu'un grand strategiste comme Castex avait très tôt prédit que face à la montée de la Chine ou du Japon, il faudrait délaisser ces territoires....
    Que n'a-t-il été entendu!
    De même, lorsque responsable du camp de Dunkerque, il avait eu l'audace de proposer de le fortifier, au cas où ...
    L'armée française reste clairement affectée par une structure pyramidale où la discussion n'y est pas aussi aisée que dans les armées US, où il y a une politique de publication active dans les revues de défense ou via les nombreux Think Tank, à mettre en parallèle avec les conséquences de carrière pour un esprit brillant comme le Général Desportes...
    Lors de ces activités de consultant dans la défense, Jean Charles Drouillot faisait remarquer que, certes ses compétences en optimisation de coût étaient un plus, mais que surtout, en tant qu'electron libre, il pouvait dire beaucoup de choses, que les cadres corsetés lui confirmaient in petto, mais qu'ils ne pouvaient pas dire ouvertement.

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    1. BPCs nous sommes tous d'accord avec vous, mais cela ne se retrouve pas que dans l'armée : tuer l'initiative est un sport nationale, nous avons peut être gagner le droit de parler, mais nous n'avons pas gagné le droit d'être écouté ! la plupart de nos grandes entreprises fonctionnent comme l'armée, des DG qui se prennent pour des seigneurs comme s'il était le propriétaire de l'outil et il faut plaire au roi le conseil d'administration, même quand il le demande personne ne s'exprime, pour ne pas se faire démolir par les cadres intermédiaires, quand aux cadres intermédiaire ils pensent à leur poste "pas de vague" et les gueux veulent garder leur emploi. Il serait temps que l'Europe bâtisse une nouvelle société d'hommes éduqués et libres. Après l'age des lumières, entamons la révolution des idées et débutons l'age de l'humilité sans faiblesse.

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    2. D'un autre côté, une société pacifique (et pacifiste) comme la nôtre trouve quelques intérêts à confier l'administration des questions militaires et stratégiques à une aristocratie conservatrice et sclérosée - et donc, fatalement incompétente - car elle y trouve la garantie de ne pas être engagée dans la guerre, en particulier la guerre de conquête, forme de guerre la plus abjecte à ses yeux.

      Si la hiérarchie militaire devenait quelque chose d'efficace, cela nous mettrait dans l'idée que la guerre est proche, puisqu'on s'y prépare avec le souci d'être bon dans ce domaine.

      Au contraire, la persistance à la tête du système d'une élite militaire figée dans ses modèles intellectuels nous rassure: ils rendent la structure rigide, inadaptable à une quelconque "nouvelle donne" stratégique ou tactique dans les délais de réaction exigés par un monde qui bouge plus vite qu'elle et constitue par conséquent notre meilleure chance de perdre une guerre.

      Nous ne sommes donc pas tentés de la faire.

      Le conservatisme intrinsèque de la structure militaire est la rançon de la paix. Cette rançon coûte cher, puisqu'il faut acheter des armes, payer des soldes et des retraites, entretenir une technostructure consciente de sa valeur, maintenir des privilèges ici ou là, mais dans l'ensemble, c'est plus économique qu'une vraie guerre.

      Il faut cependant noter que cette façon de concevoir la défense nationale n'a aucune incidence sur l'intensité du risque stratégique qui pèse sur le pays et qui dépend de facteurs extérieurs. Ces risques peuvent être élevés, ce qui est d'ailleurs le cas dans la période de l'histoire où nous nous trouvons.

      En somme, cette garantie est en fait assez illusoire. In fine, il faut donc se convaincre que la créativité de la réflexion militaire est une obligation à laquelle on ne peut se soustraire.

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