L’opération la plus précisément planifiée
du siècle
Un premier plan,
Granit, prévoit d’occuper le Sinaï en trois phases avec un franchissement du
canal, suivi d’une conquête des cols au centre de la péninsule et d’une avancée
vers la frontière israélienne. Ce plan est très proche des conceptions
tactiques Soviétiques et il contribue grandement à obtenir de ses derniers des
moyens supplémentaires. Il est également suffisant offensif et ambitieux pour
inciter la Syrie à se joindre à l’effort. En réalité, les Egyptiens n’ont l’intention
d’en appliquer que la première phase, baptisée « Minarets », et qui
se limite à une avance maximum sur 15 km au-delà du canal suivie d’une défense
ferme jusqu’à l’inévitable cessez-le-feu.
Le plan est prêt
en septembre 1971 et il est un des plus détaillés du siècle puisqu’il descend
jusqu’à la description précise de chaque groupe de combat d’infanterie ou du
génie, de chaque équipe antichars, de chaque pièce d’artillerie et de chaque
char des cinq divisions d’infanterie qui doivent franchir le canal, tandis que
deux autres divisions motorisées et deux divisions blindées restent en appui et
en soutien. L’ensemble représente 200 000 hommes, 1 600 chars et
1 900 pièces d’artillerie. Il est interdit de s’en écarter pendant les six
premières heures. Une fois le plan établi, les rôles sont préparés sans cesse pendant
deux ans parfois sur des répliques, parfois le long du canal, depuis les
équipes de missiles filoguidés Sagger qui font tous les jours au moins une
demi-heure de ciblage sur des camions jusqu’à l’opération entière elle-même,
qui est répétée 35 fois.
Ces répétitions
permettent d’identifier un certain nombre de problèmes concrets et
d’expérimenter des solutions techniques ou tactiques. Des chariots en bois et à
quatre roues permettront à l’infanterie de la première vague d’assaut de tirer
son ravitaillement sur quelques kilomètres en attendant le franchissement des
véhicules. Pour le franchissement du grand lac Amer au sud du canal, les
Egyptiens regroupent les véhicules de reconnaissance, qui disposent d’une
capacité amphibie (pour les fleuves d’Europe) dans une brigade d’assaut naval.
Le génie a pour mission de créer soixante-dix passages dans le grand mur de
sable que les Israéliens ont mis en place le long du canal. Avec un bulldozer
et 250 kg d’explosif, il faut une demi-journée pour y ouvrir une brèche. Ce
délai est réduit à deux heures grâce à l’idée d’un officier d’utiliser des
lances à incendie à haute-pression en prenant l’eau dans le canal. Plus de 450
pompes sont immédiatement commandées en Europe.
La haute-technologie
n’intervient qu’une fois le concept d’opération établi. Les Israéliens ont tout
misé sur le couple offensif char-avion. Les Egyptiens, qui ont accès à
l’arsenal soviétique, se dotent donc de deux boucliers défensifs : un réseau
antichars à base de lance-missiles
antichars Sagger et de milliers de lance-roquettes RPG-7 ; un parapluie
anti-aérien avec une centaine de batteries de missiles Sa-2 et 3 et surtout
plusieurs dizaines de batteries mobiles Sa-6 et de canons mitrailleurs ZSU
23-4. Les Egyptiens savent qu’ils ne pourront obtenir la supériorité aérienne
par leur aviation de chasse, ils l’auront donc par le sol. La portée en sera
limitée mais elle correspondra exactement à la profondeur de l’opération. La
manipulation de ces équipements modernes est facilitée par la présence des
milliers de conseillers soviétiques, chassés en juillet 1972, mais surtout par
la fin de l’exemption de service militaire pour les étudiants. L’armée
égyptienne, qui contient encore beaucoup d’analphabètes, connaît d’un seul coup
un relèvement très net de son niveau d’éducation. Il est intéressant de noter
que comme le commandement égyptien ne se fie pas aux comptes rendus internes
(toujours positifs quoiqu’il arrive), il fait installer un grand centre sur le
Djebel Ataka pour écouter les communications israéliennes.
Paradoxalement,
ces entraînements incessants contribuent aussi à la surprise, autre condition
du succès. Dans les mois de l’année 1973 qui ont précédé l’assaut, les
mouvements de toutes les unités jusqu’au canal, avec appel des réservistes, sont
répétés 22 fois. Aussi, les Israéliens ne sont-ils pas alarmés outre mesure
alors qu’ils ont remarqué des déplacements massifs dans la journée du 5
octobre, veille de la fête du Yom Kippour, au moment où beaucoup de militaires
israéliens sont en permissions et où les marées et courants sont favorables au franchissement.
Du côté égyptien, le secret a été gardé jusqu’au bout puisque les hommes ne
sont avertis que le matin de l’attaque. Un très habile plan de déception a été
mis en place impliquant même le Président Sadate mais la surprise était de toute
manière assurée car les Israéliens, qui ont vaincu les Egyptiens tant de fois,
refusaient de croire qu’ils soient capables de mener une telle opération.
Quelques semaines avant la guerre, le Premier ministre Golda Meir déclarait
encore que l’idée d’un franchissement du canal par l’armée égyptienne était
« une insulte à l’intelligence ».
(à suivre)
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