Le danger qui guette toute armée est d’avoir une guerre de retard. Alors que nos armées françaises sont marquées jusque dans leur chair par l’expérience afghane, le paradigme de la guerre contre-insurrectionnelle est en passe de s’imposer dans la culture militaire française actuelle. Elle a quelque chose de vivifiant par la saine remise en cause de tous les présupposés qui marquent inévitablement une armée ; elle porte aussi en elle le risque de s’ériger en nouvelle école de pensée dominante au détriment d’autres réalités.
La culture militaire –entendue comme l’état d’esprit qui imprègne l’institution militaire- crée un environnement plus ou moins favorable à l’innovation. L’entre-deux-guerres nous l’enseigne à propos de la préparation de la guerre suivante. Le Royaume-Uni, dont l’Army créa la première brigade blindée permanente de l’histoire en 1931, n’a pas été capable de porter ce projet révolutionnaire plus avant ; projet repris et développé ensuite par l’Allemagne nazie et par l’armée Rouge. Sa culture militaire était majoritairement résistante voire hostile à ce changement. Parallèlement en France, l’école doctrinale née d’enseignements sélectionnés de la Grande Guerre avait développé un type de bataille coordonnée qui laissait peu de place à l’initiative. Alliée à une stratégie devenue exclusivement défensive avec le temps, elle devint une pensée officielle qu’il était interdit de contredire et qui créa un état d’esprit à la source de la défaite de 1940.
Le risque est de créer un mythe pour échapper à la réalité, à cause notamment du paradoxe inhérent à l’organisation militaire : du fait de la discipline indispensable à la conduite des opérations, une armée est naturellement peu disposée au changement alors que les défis de la guerre exigent imagination et créativité. L’indispensable rigueur peut se muer en conformisme de la pensée, et mener subrepticement à un immobilisme rendant l’institution finalement peu encline à l’exploration de concepts novateurs. La culture d’une armée peut se laisser inconsciemment enfermer dans sa vision préférentielle de la menace. Le risque est de se focaliser sur un type unique de menaces en s’aveuglant sur la réalité plus complexe ou différente ; les Ardennes étaient infranchissables, n’est-ce pas ? L’expérience afghane va durablement marquer notre culture militaire. Or, comme l’explique Williamson Murray, « il y a peu d’organisations militaires possédant une culture qui encourage l’étude minutieuse des évènements mêmes récents. La plupart des organisations militaires développent rapidement des mythes qui permettent d’échapper à la vérité désagréable. » Sans dévaloriser l’action de l’armée française en Afghanistan, ne laissons pas se créer un mythe des Afghansty.
On peut entrevoir trois pistes pour résoudre cet antagonisme naturel. D’abord les choix stratégiques nationaux peuvent tirer une culture militaire de sa résistance au changement. En effet, c’est le choix stratégique de la défensive « à outrance » qui a empêché le développement d’une manœuvre des chars en France ; pour le Royaume-Uni, c’est le mythe d’une défense de son Empire hors du continent européen qui a fait rejeter le développement de l’arme blindée. Idéalement, est-il possible aujourd’hui de définir une stratégie pour garder l’éventail des capacités, à un niveau de maîtrise et de technologie suffisant, sans négliger d’explorer les nouveaux domaines conflictuels comme les espaces stratégiques communs (Global Commons) ?
Une autre piste est de favoriser l’activité intellectuelle des officiers pour qu’elle innerve la culture militaire. L’interdiction de publier faite aux officiers par le généralissime de l’époque, britannique ou français, n’est pas étrangère à la débâcle de 1940. Le général Cavan, chef d’état-major impérial de 1922 à 1926, s’opposait à la publication d’ouvrages sur des sujets militaires par des officiers ; en France le général Gamelin interdit en 1937 toute publication non validée par son état-major. Cette attitude au plus haut niveau incitait donc les officiers à éviter toute considération hors la ligne officielle. Certaines anecdotes actuelles autorisent à s’interroger si cette tendance n’a pas toujours des survivances en France. Or le foisonnement d’idées né de la renaissance du combat de contre-rébellion devrait ouvrir la voie à une saine remise en cause des idées reçues.
Finalement, le défi pour les armées est de demeurer une institution apprenante. Des mécanismes institutionnels y participent déjà comme le « retex » ou les départements de doctrine. Mais au-delà de ces mécanismes, c’est bien à la surprise et au choc qu’il faut mentalement se préparer, puisque par définition, nous serons contournés par un ennemi intelligent. Aujourd’hui en France, n’ayant plus d’ennemi à nos frontières, nous sommes en situation d’insularité stratégique, à l’instar du Royaume-Uni. Notre armée, qui n’est d’ailleurs pas construite pour défendre seule son territoire national avec ses effectifs de corps expéditionnaire supplétif, ne sera probablement pas engagée demain dans un conflit symétrique. Aussi va-t-elle probablement développer ses compétences sur son expérience afghane, être appelée à intervenir de manière plus ponctuelle, sur le mode des récentes interventions sahéliennes, en cherchant une efficacité stratégique par le levier d’une action tactique doublée de missions d’assistance et de formation. Mais le développement d’un nouveau type d’intervention militaire qui va naître de la conjonction de l’expérience afghane et de la nouvelle donne stratégique au sud de la Méditerranée ne devra pas être érigé en absolu. Car nul ne sait la menace à nos intérêts vitaux que constituera une puissance orientale émergente dans une génération ou moins.
Obtenir une culture militaire qui prépare à faire face à l’imprévu quel qu’il soit est un impératif vital. Puissions-nous conserver de notre expérience afghane la flexibilité d’esprit qui nous a permis d’évoluer face à ce type de conflit, tout en nous interdisant d’ériger en principes les préceptes qui en ont été tirés, de peur que ceux-ci nous empêchent d’évoluer à nouveau au prochain choc. Entraînons-nous à réagir à l’inimaginable.
Prochaine révolution militaire, l'usage intensif des drones pour se battre. Ils peuvent aller plus vite, sont plus opérationnels que les soldats humains.
RépondreSupprimerDans une guerre toujours plus rapide, plus brutale et destructrice, ils sont devenus indispensables. Aux USA on recrute plus de pilotes de drones que de pilotes de chasse.
Les problèmes c'est l'énergie à fournir, les pièces détachées et l'intelligence artificielle ainsi que les communications avec le commandement.
Malheureusement la France a déjà une guerre de retard sur les drones...
Comme le dit fort justement Michel Goya, il faut commencer par définier une stratégie puis en tirer les conséquences. La question des drones est une question technique qui permet, à partir d'une besoin identifié, de fournir une réponse plus efficace. Il ne faut donc pas mettre les choses à l'envers. Des drones sont probablement nécessaires voire indispensables pour agir efficacement mais on ne construit pas une stratégie sur des considérations techniques. Elle se conçoit à partir de ce que l'on veut obtenir en considérant le champ des possibles. Trépigner en hurlant qu'on n'a pas le dernier jouet à la mode n'a jamais attiré que des claques aux enfants. Réfléchissons, puis agissons.
SupprimerPour des drones aériens c'est normal que ceux ci soient plus rapides que des soldats humains qui combattent à pied et/ou en blindé.
RépondreSupprimerIl a déjà été démontré que l'appui feu par les drones est beaucoup moins efficace et utile que celui apporté par des hélicoptères ou des avions de combat.
Cependant, je pense qu'il est primordial d'avoir des drones de reconnaissance qui ont prouvé toute leur efficacité et la France va dans le bon sens (même si certains pays ont une forte avance).
il convient de preciser dans votre très bon post que la strategie est normalement élaborée conjointement au plus du politique et du militaire,et il me semble a cet égard que les echelons inferieurs appliquent des tactiques issue de la strategie decidée au plus haut et le mauvais emploi de l'arme blindée en 1940 est une faute strategique des politiques et l'etat major alors que les allemands sous l'impulsion de Guderian employait la strategie de l'armée blindée de masse appuyée par les Stukas a partir de la la messe est dite
RépondreSupprimerpour le premier commentaire a CREECH AFB dans le Nevada on ne forme pas des pilotes de drones mais des ucav operator,d'autre part sans etre pilote ou rio de combat il y a deux filieres pour devenir operateur et la troisieme qui provient des pilotes debarques de f16 F15 A 10 suite a la reduction du parc avions de l'usaf,d'autre part il n'y a pas d'helico ou avion de combat qui reste 24 h en vol,le mq9 reaper avec 8 hellfires le fait, sauf que les drones c'est tres bien contre les pays sans aviation ou 3a ,dans le cas contraire il suffit de visiter le musée de Belgrade ou figure quelques predator abattu ,non armé a cet époque
Intéressant cette comparaison que l'on peut faire entre l'armée américaine au Viêtnam, qui développe la contre-insurrection et la maîtrise relativement bien en 1969 après le Tête, et l'armée américaine aujourd'hui où la contre-insurrection s'impose également... alors que dans les deux cas la nature de la guerre change (plus conventionnelle au Viêtnam après 1969). Le paradigme a l'air cependant de s'effriter un peu.
RépondreSupprimerCordialement.