IBM a longtemps été l’entreprise la plus admirée au monde pour la dévotion de son personnel, qui n’avait rien à envier à celle des sociétés japonaises. Mais IBM fonctionnait aussi comme un mastodonte exploitant rationnellement quelques produits phares comme le mythique IBM 360 dans les années 1960 ou le Personal Computer de la fin des années 1970. Les années 1980 ont changé la donne en privilégiant les entreprises plus innovantes comme Microsoft ou Intel. Empêtrée dans sa bureaucratie (au début des années 1990, IBM compte 128 directeurs des technologies de l’information, 266 systèmes de comptabilité et 155 centres de données), ralentie par l’obsession perfectionniste de ses laboratoires qui mettent des années à sortir un nouveau produit, oublieuse de ses clients (qui peuvent attendre deux mois une réponse à un problème technique), IBM perd pied. Le pachyderme n’est plus capable de fabriquer l’intégralité des composants de ses PC et doit passer commande de circuits intégrés et de logiciels à d’autres entreprises. Les bénéfices s’érodent inexorablement jusqu’à disparaître à la fin des années 1980.
Face à cette crise, la direction réagit en tentant une nouvelle organisation et en supprimant 100 000 postes. Ces deux approches sont des échecs. Les nouvelles divisions mises en place, sans simplification des structures de commandement, ne font finalement qu’ajouter à la complexité en créant des « fiefs » locaux. Les protocoles d’accord entre divisions sont si ardus qu’ils nécessitent des stages spécifiques pour les comprendre. De son côté, la réduction du personnel, traumatisante dans une entreprise qui pratiquait l’emploi à vie, s’est effectuée sur la base de l’incitation financière, ce qui a eu tendance à faire partir les meilleurs, et de la sanction, ce qui a eu tendance à tuer toute initiative. La réduction en quelques années d’un quart du personnel ne pouvait pas non plus ne pas augmenter la pression sur ceux qui restaient.
L’IBM de la fin des années 1980 est alors devenue ainsi une organisation de méfiance. Une coupure nette est apparue entre une direction plus zélée à obéir aux intérêts des actionnaires qu’à ceux de ses employés. Tenter quelque chose et échouer ou même simplement soulever un problème, c’est donner un prétexte à un licenciement. De plus, la chasse aux coûts à réduit aussi considérablement les petits surplus (slack) qui permettait à certains d’expérimenter des idées personnelles. La réforme rigidifie IBM alors que le monde et les concurrents ont tendance à évoluer à grande vitesse. Ce décalage rend d’ailleurs l’entreprise moins attrayante pour les jeunes talents et le niveau général du personnel décline, entraînant IBM dans une spirale de médiocrité.
Dès son arrivée à la tête d’IBM en 1993, Lou Gerstner met en place une nouvelle politique fondée sur les hommes. Un surplus financier est formé en vendant des actifs non essentiels à l’entreprise. Ce surplus est utilisé pour investir dans les nouvelles technologies et surtout dans les hommes. Les rapides et les innovants reçoivent des bonus et tout le monde est associé aux résultats globaux d’IBM. La formation interne est remise en honneur et les bureaux d’étude retrouvent des financements. Un nouveau système d’évaluation (dite à 360°) est mis en place qui privilégie la compétence réelle sur le diplôme. IBM redevient une entreprise qui attire les talents. Gerstner passe la moitié de son temps sur le terrain et martèle qu’il ne veut entendre que la vérité. Lui-même donne l’exemple en refusant la langue de bois et en jouant la transparence totale. Pour améliorer encore la circulation de l’information, les états-majors sont réduits et la structure matricielle est abolie au profit d’une pyramide classique dans laquelle tout le monde se retrouve. La plupart des task forces et autres modules sont également supprimés. Ces hommes et ce système sont mis au service d’un projet bien plus mobilisateur que les simples économies financières : le détachement de la fonction de constructeur d’unités centrales d’ordinateurs pour se réorienter vers les services informatiques (IBM Global Services et e-business). Lorsqu’il quitte IBM en mars 2002, Gerstner laisse derrière lui une entreprise florissante.
Résumé d’une fiche au chef d’état-major des armées, avril 2008.
Intéressant.
RépondreSupprimerDonc, la communication interpersonnelle à courte distance (pas de langue de bois) prime sur la structure. L'orga matricielle dont on fait grand cas en management serait moins efficace que la classique pyramide si la communication interpersonnelle ne fonctionne pas.
En résumé, mieux vaut pouvoir s'exprimer librement et comprendre sa place que d'avoir un mode d'organisation moderne mais vide de sens.