L’ours
et le renard
est née d’une idée de Jean Lopez, qui après le succès de La conduite de la
guerre écrit avec Benoist Bihan, m’a proposé en septembre dernier d’utiliser
la formule du dialogue pour parler du conflit ukrainien. Comment refuser ?
J’étais un fan du « Rendez-vous avec X » de France Inter et je
trouvais que cette manière de procéder était finalement à la fois la plus
didactique qui soit et la plus agréable à lire alors que l’on parle de choses somme toutes complexes. Après avoir songé à compiler les articles de ce blog consacré à la guerre
en Ukraine, à la manière d’Olivier Kempf et de ses chroniques hebdomadaires, c’était
sans doute aussi la seule manière possible d’écrire un essai un peu complet sur un sujet
aussi vaste en aussi peu de temps.
Nous
avons donc commencé aussitôt un jeu de questions-réponses quasi quotidien pour accoucher
d’une histoire, car les historiens, comme leur nom l’indique, sont d’abord des
gens qui racontent des histoires. Et en bons historiens, nous avons commencé par
le début et finit par la fin selon le bon conseil que l’on trouve dans Alice
au pays des merveilles. Bien entendu, comme l’écriture du manuscrit a commencé
en septembre, il a fallu faire un premier bond dans le temps pour expliquer les
racines politiques longues du conflit jusqu’à la guerre de 2014-2015, que l’on
peut considérer aussi comme la première phase de la guerre russo-ukrainienne.
Cela a été alors l’occasion d’entrer en peu dans la machinerie militaire tactique (la
manière de mener les combats) et opérationnelle (la manière de combiner une
série de combats pour approcher de l’objectif stratégique). Il a fallu décrire
ensuite les évolutions militaires entre 2015 et 2022, jusqu’à la position et la
forme des « pièces au départ du coup » en février 2022. Je mesurais
une nouvelle fois à cette occasion qu’à condition d’avoir un peu plus travaillé
cette période au préalable, il aurait été possible de moins se tromper sur les
débuts du conflit.
L’Histoire immédiate ne commence en fait qu’à la page 125 et au passage « Histoire immédiate » n’est pas un oxymore. Il s’est bien agi à ce moment-là d’analyser des faits récents avec suffisamment de sources et d’informations disponibles (le militaire parlera plutôt de « renseignements ») pour faire une analyse approfondie en cours d’action. Il aurait été impossible pour un historien de faire un tel travail il y a quelques dizaines d’années par manque justement d’informations disponibles. Maintenant c'est possible et il faut comprendre « Histoire immédiate » comme Histoire comme pouvant se faire avec des sources immédiatement disponibles. Comme avec Le Logrus du cycle des Princes d’Ambre chacun peut faire venir à soi de l’information en masse pour simplement se renseigner sur quelque chose, sélectionner ce qui corrobore nos opinions pour les militants et enfin faire un travail scientifique pour ceux qui ont le temps, l’envie et la méthode,
Pour
ma part, j’ai commencé à faire de l’analyse de conflits - de la guerre du feu à
la guerre en Ukraine - en 2004 en étant doctorant en Histoire et après été
breveté de l’Ecole de guerre, car au passage le militaire n’est pas seulement
un spécialiste du combat comme j’ai pu le lire, mais aussi un spécialiste des
opérations, et doit être capable aussi de réflexion stratégique, même s’il n’en
a pas le monopole évidemment. Ce n’est pas une certitude d’infaillibilité, mais
simplement une assurance pour que - si possible – les prévisions tombent juste
à 70 %. Les vatniks (ceux qui gobent la propagande du Kremlin depuis l’Union soviétique)
s’acharneront évidemment comme des piranhas sur les 30 % restants. Si l’un d’entre
eux fait l’effort de lire L’ours et le renard, ce qui est peu probable, il pourra collecter des éléments (quitte à les déformer un peu ou simplement
les décontextualiser) susceptibles de nourrir les autres.
Avoir
pris le temps d’analyser les choses par écrit régulièrement sur ce blog m’a permis de répondre aux questions et aux
commentaires de Jean à temps. Cela m’a permis aussi de m’auto-analyser rétrospectivement,
un exercice toujours salutaire, et de voir si je m’approchais de la norme de 70
%. Quand ce n’était pas le cas, je me suis efforcé de rester dans l’esprit du
moment pour comprendre il y avait eu erreur. A cet égard, l’intérêt d’un blog
réside aussi dans les commentaires et que s’il ne m’est pas possible de les
lire tous et encore moins d’y répondre, constitue quand même une source inestimable
d’informations brutes ou simplement de ressentis, ce qui constitue aussi des informations.
Il appartiendra aux historiens du futur, peut-être Jean et moi d’ailleurs, de compléter
et de corriger cette histoire immédiate grâce à l’accès à d’autres sources, ou
simplement en allant sur le terrain des combats.
Entre
temps, la forme de cette guerre scandée en périodes assez différenciées de
quelques semaines à quelques mois a permis de chapitrer assez facilement le
livre : blitzkrieg, première
offensive du Donbass, contre-offensive ukrainienne, seconde offensive du
Donbass. La seule (petite) difficulté comme souvent aura été de concilier la
description d’opérations séquentielles au sol et celle des opérations pointillistes
et quasi permanentes dans les espaces dits « communs ». On a résolu
le problème comme d’habitude en insérant un chapitre spécifique entre deux chapitres
d’opérations terrestres.
Si
le point de départ était à peu près clair, il a fallu déterminer ensuite où s’arrête
ce qui suffit selon un vieux précepte bouddhiste. Cette fin nous l’avons
finalement fixé au 6 avril 2023, avec évidemment le risque d’un décalage avec
les évènements au moment de la publication le 25 mai. Le hasard des guerres a
fait que finalement le livre ne se trouve pas dépassé dès sa sortie. Si le livre
rencontre un public, et il semble que ce soit le cas, il y aura forcément un
numéro deux. Nous sommes donc preneurs de remarques et corrections qui
permettront de faire mieux la prochaine fois.
Dernier point : en voyant le titre proposé, je me suis immédiatement demandé qui était l’ours et qui était le renard entre Jean Lopez et moi. J’endosse volontiers le rôle de l’ours.
Michel Goya, Jean Lopez, L'ours et le renard,
Perrin, 2023, 346 p.