Avec près de 60 000 hommes tués ou blessés pour 26 divisions britanniques engagées, le 1er juillet 1916, premier jour de la bataille de la Somme, est le plus meurtrier de l’histoire militaire du Royaume-Uni. On oublie généralement que 14 divisions françaises ont également été lancées à l’assaut ce jour-là face aux mêmes défenses allemandes, et que non seulement elles ont parfaitement réalisées leur mission mais elles n’ont perdu pour cela « que » 7 000 hommes, soit un taux de pertes 4 fois inférieur par unité engagée.
Comme toutes les innovations précédentes dans les technologies de l’armement (à poudre au moins), les armes à tir rapide puis à tir courbe apparues en 1914 et 1915, ont provoqué plusieurs dilatations du cadre espace-temps de la puissance de feux. Ces dilatations ont imposé en retour autant d’adaptations afin de maintenir une manœuvre cohérente au cœur même de la zone de feux. Pour continuer à combattre dans les conditions modernes, chaque armée a fallu faire évoluer très vite son système opérationnel en combinant les nouveaux armements avec de nouvelles structures et méthodes jouant surtout sur la décentralisation du commandement, la dispersion, le camouflage et la coordination des feux. Cela suppose l’apprentissage d’une multitude de savoir-faire nouveaux jusqu’au plus bas échelon. Cet apprentissage s’effectue en grande partie au sein même de l’expérience individuelle et collective des cellules de combat mais aussi dans le réseau de centres d’instruction et de camps d’entraînement qui s’installe en parallèle à l’arrière des réseaux défensifs de plus en plus sophistiqués. Lorsque les Français se lancent à l’assaut, ils combattent dans les tranchées depuis plus d’un an, alors que beaucoup de Britanniques sont des « volontaires Kichener » à l’expérience beaucoup plus neuve. Alors que les pertes des Français et des Allemands s’équilibrent, les Britanniques vont payer très cher leur retard d’apprentissage de quelques mois.
Il apparaît ainsi qu’en faisant confiance aux hommes et leur capacité d’apprentissage, une unité militaire peut s’adapter à tout nouvel accroissement de la létalité du champ de bataille. Cet effort humain donne souvent des résultats spectaculaires. Lors de la bataille de la Haye-du-Puits en juillet 1944 en Normandie, trois divisions américaines ont été engagées dans des conditions tactiques similaires, à cette différence près que l’une d’entre elles, la 82e division aéroportée, disposait de deux fois moins d’hommes et d’artillerie que la mieux dotée, la 90e division d’infanterie. Les résultats ont été exactement l’inverse de ceux que pouvaient laisser anticiper le simple examen des moyens disponibles. La 82e division a été presque deux fois plus rapide dans la conquête du terrain tout en subissant deux fois moins de pertes que la 90e.
Mieux encore, l’Institute for Defense Analyses a effectué en 1992 une série de simulations sur la bataille de 73 Easting qui a opposé le VIIe corps américain et la Garde républicaine irakienne lors de l’opération Desert storm. Le résultat de ces simulations fut que si les deux adversaires avaient été dotés des mêmes équipements mais en conservant les mêmes compétences, les pertes américaines auraient été dix fois supérieures à ce qu’elles furent en réalité. En conservant les équipements originaux mais en égalisant le niveau de compétences, les pertes américaines auraient été vingt fois supérieures.
L’investissement humain est toujours le plus rentable et il donne les résultats les plus spectaculaires.
Hommage à mon grand-père, sergent au 7e Colonial, qui m'a raconté l'attaque du 1er juillet 1916 et comment il s'est emparé, seul avec un capitaine, du village de Biaches, faisant 114 prisonniers. Sa description des sapeurs d'assaut allemands profitant du brouillard pour se glisser le long d'un canal et tenter de reprendre le village au lance-flammes reste ancrée dans ma mémoire. Il a été blessé après vingt jours ininterrompus de combat.