tag:blogger.com,1999:blog-1522290547794177622024-03-18T18:01:55.228+01:00La voie de l'épéeStratégie et tactique. Michel Goyahttp://www.blogger.com/profile/03230946392725826708noreply@blogger.comBlogger78413tag:blogger.com,1999:blog-152229054779417762.post-20826503445847204122024-03-17T18:38:00.008+01:002024-03-17T20:47:24.841+01:00Opération Bouclier du Dniepr ?<p></p><p class="MsoNormal" style="mso-margin-bottom-alt: auto; mso-margin-top-alt: auto; text-align: justify;"></p><div class="separator" style="clear: both; font-family: "Gill Sans MT", sans-serif; font-size: 11pt; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhUx6VrP7G_JeN3iVN7mOEr6GTye_EGkZC9gJ7IiQz1j9kdKKlkxRgOiKG74SOl-8oZRafdtK3cREi2iH5QIvkblPMEtqhDaCFHuagEKPb5Lyh-NZayasgzhj-pUQmk1QtJ129Jb7cwBBWi-xW4dfXyx-lQvgd9-XCYp_SLaePDmyopAdaiLsgfCHh0xLs/s1300/5db00b2f85600a6852096597.jpg" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="745" data-original-width="1300" height="213" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhUx6VrP7G_JeN3iVN7mOEr6GTye_EGkZC9gJ7IiQz1j9kdKKlkxRgOiKG74SOl-8oZRafdtK3cREi2iH5QIvkblPMEtqhDaCFHuagEKPb5Lyh-NZayasgzhj-pUQmk1QtJ129Jb7cwBBWi-xW4dfXyx-lQvgd9-XCYp_SLaePDmyopAdaiLsgfCHh0xLs/w372-h213/5db00b2f85600a6852096597.jpg" width="372" /></a></div><span style="font-family: Gill Sans; font-size: large;"><div style="text-align: justify;">Il
existe de nombreuses possibilités d’emploi de la force armée en situation de « confrontation »
(ou de « contestation » si vous préférez le terme de doctrine), c’est-à-dire
d’affrontement sous le seuil de cette guerre ouverte et générale qu’aucun des
adversaires ne veut. L’une d’entre elles, évoquée à de nombreuses reprises sur
les plateaux de télévision, mais que l’on reprend désormais depuis que le
président de la République a déclaré qu’on ne pouvait rien exclure, consiste à
déployer rapidement des forces afin de sanctuariser une zone. C’est un procédé
à distinguer des missions d’interposition, comme les opérations sous Casques
bleus ou l’opération française <i>Licorne</i> en Côte d’Ivoire, puisqu’il s’agit
de faire face à un adversaire désigné en espérant qu’il ne devienne pas un
ennemi. Cela a été fréquemment utilisé pendant la guerre froide afin de
dissuader un adversaire de s’emparer d’une partie de son territoire ou de celui
d’un allié, mais très rarement en s’introduisant dans une zone déjà en guerre.
En fait, je n'ai que deux exemples contemporains en tête. C’est peu pour en
tirer des leçons mais intéressant tout de même.</div><o:p></o:p></span><p></p>
<p class="MsoNormal" style="mso-margin-bottom-alt: auto; mso-margin-top-alt: auto; text-align: justify;"><b><span style="font-family: Gill Sans; font-size: large;">Voile
sur le Nil<o:p></o:p></span></b></p>
<p class="MsoNormal" style="mso-margin-bottom-alt: auto; mso-margin-top-alt: auto; text-align: justify;"><span style="font-family: Gill Sans; font-size: large;">Le
premier exemple date de 1970. Nous sommes en plein dans la guerre dite d’« usure »
entre Israël et l’Egypte tout le long du canal de Suez. Le 7 janvier 1970 les
Israéliens profitent de la livraison par les Américains d’une trentaine
chasseurs-bombardiers F-4E Phantom pour lancer une campagne aérienne du
delta du Nil jusqu’au Caire. Les Israéliens espèrent que la contestation intérieure
que ces frappes provoqueront poussera Nasser à céder. On imagine même que
Nasser pourrait être renversé et remplacé par quelqu’un de plus conciliant.
Cela ne fonctionne pas du tout. Les dégâts militaires sont réels mais pas
essentiels et surtout ils n’aboutissent pas à l’érosion du soutien au Raïs,
bien au contraire. Lorsque deux frappes accidentelles très meurtrières frappent
des civils, dont une école, la population égyptienne réclame surtout vengeance.
<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="mso-margin-bottom-alt: auto; mso-margin-top-alt: auto; text-align: justify;"><span style="font-family: Gill Sans; font-size: large;">Dès
le début de cette campagne aérienne israélienne, baptisée <i>Floraison</i>,
les Soviétiques décident d’intervenir. Cet engagement, baptisé opération <i>Caucase</i>,
débute au début du mois de février avec le débarquement par surprise à Alexandrie
de la 18<sup>e</sup> division aérienne. À partir d’avril, le dispositif –
dizaines de batteries de missiles SA-2B et de SA-3, accompagnées d’un millier
de canons-mitrailleurs ZSU 23-4 et de centaines de missiles SA-7 portables -
est en place le long du Nil avec en plus au moins 70 chasseurs Mig-21. L’ensemble
représente 12 000 soldats soviétiques, 19 000 à la fin de l’année
1970. Ils sont tous en uniformes égyptiens et présentés comme conseillers, mais
le message est clair : attaquer le Nil c’est prendre le risque militaire
et politique d’affronter les Soviétiques. Les Israéliens abandonnent dès mi-avril
1970 l’opération <i>Floraison</i>, tout en suggérant en échange aux
Soviétiques de ne pas s’approcher à moins de 50 kilomètres du canal de
Suez. L’effort aérien israélien redouble en revanche dans la région du canal où
les combats atteignent un niveau de violence inégalé.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="mso-margin-bottom-alt: auto; mso-margin-top-alt: auto; text-align: justify;"><span style="font-family: Gill Sans; font-size: large;">Au
mois de juin et alors que des négociations sont en cours pour un cessez-le-feu,
les Soviétiques décident de passer outre et de faire un bond en direction du
canal. Cette fois les Israéliens ne reculent pas et poursuivent leurs frappes et
raids terrestres le long du canal. Les accrochages entre Israéliens et
Soviétiques sont de plus en plus fréquents, avec les batteries au sol d’abord
puis fin juin avec les Mig-21 qui ont également été rapprochés du front. Le 22
juin, on assiste à une première tentative d’interception soviétique. Le 29, les
Israéliens organisent en réponse une opération héliportée sur une base aérienne
occupée par les Soviétiques. En juillet, les choses s’accélèrent. Le 18, une
batterie S-3 soviétique est détruite mais abat un F-4E Phantom. Le 25 juillet,
après plusieurs tentatives infructueuses, un Mig-21 parvient à endommager un
Skyhawk israélien. Tous ces combats sont cachés au public. Alors que le
cessez-le-feu se profile, le gouvernement israélien décide d’infliger une
défaite aux Soviétiques. Le 30 juillet, un faux raid israélien attire 16 Mig-21
au-dessus du Sinaï où les attendent 12 Mirage III aux mains des meilleurs
pilotes israéliens. C’est le plus grand combat aérien du Moyen-Orient, là
encore caché de tous. Cinq Mig-21 sont abattus et un endommagé, pour un Mirage
III endommagé. Deux pilotes soviétiques sont tués. Le lendemain et une semaine
après Nasser, le gouvernement israélien accepte le cessez-le-feu. Le plan
américain Rogers, à l’origine de ce cessez-le-feu, prévoyait une
démilitarisation du canal de Suez d’armes lourdes. Égyptiens et Soviétiques ne
le respectent en rien puisqu’au lieu du retrait, ils renforcent encore plus le
dispositif de défense sur le canal. Trois frégates armées de missiles SA-N-6
sont mises en place également à Port-Saïd. Les Israéliens sont tentés un moment
de reprendre les hostilités mais ils y renoncent, soulagés d’en finir après
dix-huit mois de combats. <o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="mso-margin-bottom-alt: auto; mso-margin-top-alt: auto; text-align: justify;"><b><span style="font-family: Gill Sans; font-size: large;">Une
Manta dans le désert<o:p></o:p></span></b></p>
<p class="MsoNormal" style="mso-margin-bottom-alt: auto; mso-margin-top-alt: auto; text-align: justify;"><span style="font-family: Gill Sans; font-size: large;">Au début du mois d’août 1983, le Tchad est en proie à
une nouvelle guerre civile où le gouvernement de N’Djamena, dirigé par Hissène
Habré, s’oppose à l’ancien Gouvernement d’union nationale tchadienne (GUNT), soutenu
par la Libye du Colonel Kadhafi. Les Libyens occupent déjà la bande d’Aouzou à
l’extrême nord du pays, sont sur le point de s’emparer de Faya-Largeau et
menacent d’attaquer la capitale. Hissène Habré demande l’aide de la France. <o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="mso-margin-bottom-alt: auto; mso-margin-top-alt: auto; text-align: justify;"><span style="font-family: Gill Sans; font-size: large;">Le 9 août, François Mitterrand accepte le principe d’une
opération de dissuasion face aux Libyens et d’appui aux Forces armées
nationales tchadiennes (FANT) baptisée <i>Manta</i>. À cet effet, les points
clés au centre du pays, Moussoro et Abéché en une semaine puis Ati en fin
d’année sont occupés chacun un groupement tactique interarmes français. Dans le
même temps, la diplomatie française désigne ouvertement le 15e parallèle,
au nord de ces points clés, comme une « ligne rouge » dont le franchissement
susciterait automatiquement une réaction forte. Derrière le bouclier des GTIA, une
force aérienne de plus de 50 appareils de tout type est déployé à N’Djamena et
Bangui tandis que le Groupe aéronaval oscille entre les côtes du Liban et de
Libye. Avec le détachement d’assistance militaire mis en place pour assister et parfois
accompagner discrètement les FANT et le détachement de 31 hélicoptères de <span style="mso-bidi-font-style: italic;">l’Aviation légère de l’armée de Terre (ALAT)
</span>on se trouve en présence du corps expéditionnaire le complet et le plus
puissant déployé par la France depuis 1962.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="mso-hyphenate: auto; mso-margin-bottom-alt: auto; mso-margin-top-alt: auto; text-align: justify;"><span style="font-family: Gill Sans; font-size: large;">La Libye, qui ne
veut pas d’une guerre ouverte avec la France, riposte de manière indirecte en
organisant des attentats à N’Djamena et en soutenant les indépendantistes
néo-calédoniens. En janvier 1984, les Libyens et le GUNT testent la
détermination française en lançant une attaque au sud du 15<sup>e</sup> parallèle.
Les rebelles se replient avec deux otages civils français. Les Français lancent
un raid aérien à sa poursuite, mais les atermoiements du processus de décision politique
sont tels qu’un Jaguar est finalement abattu et son pilote tué. Pour compenser
cet échec, la ligne rouge est placée au niveau du 16<sup>e</sup> parallèle,
les effectifs français renforcés jusqu’à 3 500 hommes et les conditions d’ouverture du feu plus décentralisées.
Le colonel Kadhafi finit par céder et accepte de retirer ses forces du Tchad en
échange de la réciprocité française. C’est en réalité une manœuvre diplomatique
et une tromperie. Le dispositif français est effectivement retiré en novembre
1984, mais au mépris des accords les Libyens continuent de construire une
grande base à Ouadi Doum dans le nord du Tchad. Les hostilités reprennent en
février 1986 avec une nouvelle offensive rebelle et libyenne qui franchit 16<sup>e</sup> parallèle.
La France réagit par un raid frappant la base de Ouadi Doum depuis Bangui. La
Libye répond à son tour par le raid d’un bombardier sur N’Djamena, qui fait peu
de dégâts et s’écrase au retour. Un nouveau dispositif militaire français,
limité cette fois à un dispositif aérien et antiaérien, est mis en place au
Tchad. Il est baptisé <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Épervier</i>. <o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="mso-hyphenate: auto; mso-margin-bottom-alt: auto; mso-margin-top-alt: auto; text-align: justify;"><span style="font-family: Gill Sans; font-size: large;">Le déblocage de
la situation intervient en octobre 1986 lorsque les rebelles du GUNT se
rallient au gouvernement tchadien. Celui-ci est alors assez fort pour lancer en
janvier 1987, une vaste offensive de reconquête discrètement appuyée par la
France avec les « soldats fantômes » du service Action de la DGSE et plus ouvertement par
des frappes aériennes revendiquées ou non. Les forces tchadiennes coalisées
s’emparent successivement de toutes les bases libyennes. Le 7 septembre,
trois bombardiers libyens sont lancés en réaction contre N’Djamena et Abéché.
L’un d’entre eux est abattu par un missile antiaérien français. <o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="mso-hyphenate: auto; mso-margin-bottom-alt: auto; mso-margin-top-alt: auto; text-align: justify;"><span style="font-family: Gill Sans; font-size: large;">Le
11 septembre 1987, un premier cessez-le-feu est déclaré et des
négociations commencent qui aboutissent à un accord de paix en mars 1988. Le
31 août 1989, la signature de l’accord d’Alger entre le Tchad et la Libye
met fin au conflit. Les hostilités ouvertes cessent, mais le dispositif
militaire français reste sur place. Le 19 septembre 1989, les services secrets
libyens organisent la destruction d’un avion long-courrier au-dessus du Niger
qui fait 170 victimes, dont 54 Français. Comme lors des attentats
d’origine iranienne, la « non attribution » de l’attaque permet de justifier de ne rien faire.
La confrontation contre la Libye aura donc coûté à la France toutes ces
victimes civiles et 13 soldats tués, dont 12 par accident.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="mso-margin-bottom-alt: auto; mso-margin-top-alt: auto; text-align: justify;"><b><span style="font-family: Gill Sans; font-size: large;">Et rien en Ukraine<o:p></o:p></span></b></p>
<p class="MsoNormal" style="mso-margin-bottom-alt: auto; mso-margin-top-alt: auto; text-align: justify;"><span style="font-family: Gill Sans; font-size: large;">Ce
qu’il faut retenir de ces exemples est qu’une opération de sanctuarisation en
pleine guerre est un exercice délicat qui suppose d’abord d’avoir bien anticipé
la réaction de l’adversaire et donc de bien le connaître, d’être ensuite très rapide
afin de déjouer les contre-mesures éventuelles et enfin d’être suffisamment
fort et clair pour être dissuasif. En admettant que la dissuasion réussisse, ce
qui a été le cas dans les deux exemples, il faut néanmoins s’attendre à la
possibilité d’accrochages, ces morsures sur le seuil de la guerre ouverte, et
donc des pertes ainsi qu’un accroissement sensible du stress de l’opinion
publique. Il faut surtout que cette opération risquée ait un intérêt stratégique
et change véritablement le cours de la guerre en protégeant son allié d’une
grave menace à laquelle il ne peut faire face tout seul. <o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="mso-margin-bottom-alt: auto; mso-margin-top-alt: auto; text-align: justify;"><span style="font-family: Gill Sans; font-size: large;">Tous
ces éléments ne sont pas réunis dans la guerre en Ukraine. Il n’y a pour l’instant
pas de menace existentielle pour le pays, et on notera au passage que lorsque l’Ukraine
était beaucoup plus en danger au printemps 2022 personne n’avait envisagé de prendre
le risque de sanctuariser quoi que ce soit. Un tel engagement, sur le Dniepr ou
aux abords de Kiev et d’Odessa sur les lignes claires, pourrait éventuellement
permettre de soulager un peu l’armée ukrainienne qui pourrait ainsi consacrer
plus de forces dans le Donbass. Ce n’est cependant évidemment pas avec les 15 000
hommes déployables par la France que l’on aurait la possibilité de tenir unr ligne
très longue. L’opération de sanctuarisation ne peut être crédible et efficace
qu’avec une masse critique de moyens, très supérieure à celle de <i>Manta</i>
et même de <i>Caucase</i>, et nécessiterait donc une coalition de pays un peu
courageux. On n’y trouvera donc ni les neutres, ni guère de pays d’Europe occidentale
hors le Royaume-Uni et la France ou peut-être encore les Pays-Bas. Avec la Pologne,
les pays baltes et scandinaves ainsi que la Tchéquie, on peut atteindre cette
force crédible. Avec les Etats-Unis, on doublerait sans doute tout de suite de moyens,
mais les Etats-Unis accepteraient-ils de prendre de tels risques ? C’est
peu probable. Ajoutons ensuite cette évidence que si on a les moyens
matériels, dont des munitions, pour constituer une grande coalition militaire,
même entre Européens seulement, on pourrait aussi fournir ces moyens directement
à l’armée ukrainienne. Dans tous les cas, cela se ferait dans une grande
cacophonie politique où les Russes actionnerait tous leurs alliés sur le thème « plutôt
céder à Poutine que mort », et avec suffisamment de délais pour tuer toute
surprise. Dès le déploiement de cette force éventuelle, les Russes ne
manqueraient pas de la tester et la frappant « accidentellement » par
exemple, afin de stresser encore plus les opinions et de jauger la volonté des
un et des autres. <o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="mso-margin-bottom-alt: auto; mso-margin-top-alt: auto; text-align: justify;"><span style="font-family: Gill Sans; font-size: large;">Est-ce
que cette opération réussirait en dissuadant les Russes d’aller jusqu’à Kiev et
Odessa, en admettant encore une fois qu’ils battent l’armée ukrainienne dans le
Donbass ou qu’ils décident de reporter leur effort vers Kharkiv et Kiev à partir
de la Russie ou la Biélorussie ? On ne sait pas. La vraie dissuasion réside
dans le fait que tout le monde redoute que le franchissement du seuil de la
guerre ouverte et générale entre puissances nucléaires entraine une escalade rapide
vers cet autre seuil que personne ne veut aborder, celui de l’affrontement
atomique. Or, le franchissement du seuil de la guerre ouverte contre un corps
expéditionnaire en Ukraine signifierait-il automatiquement cette escalade
interdite ? C’est ce qu’on laissera entendre dans les opinions publiques européennes
afin de les apeurer mais en réalité rien n’est moins sûr. Même en invoquant la
désormais fameuse « ambiguïté stratégique », l’Ukraine ne fait
incontestablement pas partie des enjeux vitaux français et britanniques, qui
justifieraient l’emploi en premier de l’arme atomique, synonyme de riposte de
même nature, et c’est la même chose pour la Russie. Autrement-dit, les Russes pourraient
vraiment saisir l’occasion d’essayer vaincre un contingent de l’OTAN, surtout
si les Américains n’en font pas partie, et ce sans que personne n’ose utiliser
d’armes nucléaires. Y parviendraient-ils ? c’est une autre question. <o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="mso-margin-bottom-alt: auto; mso-margin-top-alt: auto; text-align: justify;"><span style="font-family: Gill Sans; font-size: large;">En
conclusion, une opération de sanctuarisation au cœur de l'Ukraine est à l’heure
actuelle une chimère. Cela aurait pu éventuellement être efficace avant la
guerre avec un déploiement rapide de forces de l’OTAN, y compris américaines, à
la frontière de l’Ukraine et de la Russie. Que n’aurait-on entendu sur « l’agressivité
de l’OTAN et les plans machiavéliques américains face à la gentille Russie qui ne
fait que se défendre et n’a aucune intention belliqueuse », mais cela
aurait pu, peut-être, effectivement dissuader la Russie d’engager la guerre…si on
avait la volonté et les moyens. Nous Européens et nous Français, avions en fait
détruit depuis longtemps les moyens nous permettant de réaliser une telle
opération sauf avec quelques centaines de soldats français, quelques milliers
tout au plus en coalition européenne. L’urgence est pour l’instant de reconstituer
ces moyens perdus tout en aidant l’Ukraine autant que possible, y compris éventuellement avec des soldats ou des civils en soutien, et puis de renforcer militairement le
flanc Est de l’Europe comme avait pu l’être la République fédérale allemande
durant la guerre froide. Il sera alors temps de voir.</span></p><p></p>Michel Goyahttp://www.blogger.com/profile/03230946392725826708noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-152229054779417762.post-46999198444801652992024-03-13T22:05:00.009+01:002024-03-14T09:05:43.601+01:00L'embrasement<p></p><p class="MsoNormal" style="mso-margin-bottom-alt: auto; mso-margin-top-alt: auto; text-align: justify;"></p><div class="separator" style="clear: both; font-family: "Gill Sans MT", sans-serif; font-size: 11pt; text-align: center;"><br /></div><span style="font-family: Gill Sans; font-size: large;"><div style="text-align: justify;"><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjO-LkxWniSc0qFOBOg-4MI0vfq4oU8H5bcBARtrWRXHCFLYXa3TqTaWL3K4odzWMhSxRw78LmHDjZGmGCksls8SOSKW2lEzTLvfFz0t8Ck7S1mQ5TYKs0bUBreextDYhWlzNAYC9HWX9Nto-lnuqcwIs4ioGUeSZHE_47CS5q4YHcIeYVIg8gT1IYjQ1w/s1185/L'embrasement.jpg" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="1185" data-original-width="800" height="505" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjO-LkxWniSc0qFOBOg-4MI0vfq4oU8H5bcBARtrWRXHCFLYXa3TqTaWL3K4odzWMhSxRw78LmHDjZGmGCksls8SOSKW2lEzTLvfFz0t8Ck7S1mQ5TYKs0bUBreextDYhWlzNAYC9HWX9Nto-lnuqcwIs4ioGUeSZHE_47CS5q4YHcIeYVIg8gT1IYjQ1w/w342-h505/L'embrasement.jpg" width="342" /></a></div>J’ai
pris pour habitude de présenter la genèse de mes livres au moment de leur
publication. Cet exercice me paraît d’autant plus nécessaire que le sujet est
sensible. Je m’attends donc à perdre des amis, ce qui est dommage, ou, c’est
moins grave, me faire insulter par des militants qui jugeront que je suis trop
complaisant avec Israël et l’action de son armée ou inversement que je suis
trop critique. L’expérience du commentaire de la guerre en Ukraine m’a
d’ailleurs appris que ces insultes totalement contradictoires pouvaient
survenir simultanément. <i>L’embrasement</i> n’est pas un livre militant et je
n’y soutiens pas vraiment de thèse politique. J’y fais simplement ce que je
fais depuis vingt ans, c’est-à-dire de l’analyse opérationnelle dans un cadre
dit politico-stratégique.</div><o:p></o:p></span><p></p>
<p class="MsoNormal" style="mso-margin-bottom-alt: auto; mso-margin-top-alt: auto; text-align: justify;"><span style="font-family: Gill Sans; font-size: large;">Vingt
ans, cela correspond au premier travail qui m’a été demandé de faire en 2004
alors que je prenais mes fonctions d’officier en charge d’analyser toutes les
opérations en Asie et plus particulièrement au Moyen-Orient. Je faisais le
retour d’expérience de nos propres engagements dans la région, à l’époque au
Liban et en Afghanistan, mais le plus gros de mon travail consistait à étudier
les « guerres d’Israël » d’un côté et celles des Américains en Irak
et en Afghanistan. Depuis je n'ai jamais cessé de le faire à travers mes
affectations suivantes, au cabinet du chef d’état-major des armées et comme
directeur de domaine à l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole
militaire. J’avais déjà eu l’occasion de réunir dans des livres mes travaux sur
la guerre en Irak de 2003 à 2008 (<i>Irak-Les armées du chaos</i>, chez
Economica) puis sur la guerre de 2006 entre Israël et le Hezbollah (<i>Israël
contre le Hezbollah</i>, aux Editions du Rocher) mais pas encore sur le conflit
entre Israël et les organisations palestiniennes, et particulièrement le Hamas.
Je me suis engagé dans cet exercice à l’occasion de la nouvelle guerre déclenchée
par l’horrible attaque terroriste du 7 octobre. Ce qu’il faut retenir c’est qu’il
s’agit d’une analyse militaire et non d’un pamphlet politique et je dis ça
surtout pour tout ceux qui vont m’interviewer en espérant qu’ils ne se
contenteront pas de me demander si j’ai une solution aux conflits dans le monde
arabo-musulman, façon OSS 117. <o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="mso-margin-bottom-alt: auto; mso-margin-top-alt: auto; text-align: justify;"><span style="font-family: Gill Sans; font-size: large;">Pour
expliquer maintenant comment j’ai procédé, je reprends maintenant largement le
propos introductif du livre. Je me suis d’abord posé la question du cadrage du
propos. Il paraissait difficile de de se contenter de décrire la série de
conflits entre Israël et le proto-Etat Hamas depuis 2005 sans décrire les
racines et le contexte à l’origine de l’esprit et des méthodes de chaque camp.
Pour bien expliquer les choses, il faut même remonter bien avant l’existence du
Hamas. Concrètement, dès sa création Israël a dû faire face à deux types
d’ennemis : les États voisins et des organisations armées que l’on
qualifiera d’« irrégulières », depuis les groupes plus ou moins
organisés de <i>fedayin</i> dans les années 1950-1960, groupes de
l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) puis groupes islamistes. Ces
deux types d’ennemis sont très différents, mais comme Israël n’a pas les moyens
de s’offrir deux armées différentes cela a nécessité de trouver une pratique,
c’est-à-dire des capacités militaires et un mode d’emploi, compatibles avec les
deux menaces. La menace des États arabes étant d’abord prédominante, c’est
d’abord elle qui a engagé la culture stratégique israélienne dans une voie dont
il a été de plus en plus difficile de sortir avec le temps, </span><span style="font-family: Gill Sans; font-size: large;">d’autant plus qu’elle a été souvent accompagnée de succès.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="mso-margin-bottom-alt: auto; mso-margin-top-alt: auto; text-align: justify;"><span style="font-family: Gill Sans; font-size: large;">Pour
faire simple, les groupes palestiniens feront les frais dès les années 1940
d’une vision des choses où il apparaît indispensable aux Israéliens menacés sur
un petit territoire de frapper l’ennemi très vite et très fort, avant même si
possible la concrétisation de la menace. Il ne s’agissait pas de détruire les
États arabes, ni de les obliger à négocier une paix impossible, mais de les
dissuader de recommencer.<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>Comme me
l’expliquait un officier israélien « Quand on ne croit pas à la paix, on
est obligé de croire en la sécurité ». Plus exactement, la paix
israélienne a coïncidé avec le fait de ne pas être attaqué ou même menacé.
Israël a finalement fait la paix avec plusieurs États arabes, mais a continué à
appliquer cette vision des choses aux organisations armées qui lui faisaient
face, d’abord en périphérie puis à l’intérieur des territoires occupés. Tout cela
fait l’objet des deux premiers chapitres, <i>Laboratoire du chaos</i> et <i>Intifada</i>.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="mso-margin-bottom-alt: auto; mso-margin-top-alt: auto; text-align: justify;"><span style="font-family: Gill Sans; font-size: large;">Et
puis est apparu un phénomène nouveau avec l’effacement des États et la montée en
puissance d’organisations armées territorialisées. Les deux phénomènes sont
liés. Le Hezbollah s’est développé en opposition à l’occupant israélien au sein
d’un Liban faible, mais pour beaucoup d’Israéliens c’est aussi un État affaibli
ou faible devant les États-Unis qui a accepté la territorialisation en Cisjordanie
et à Gaza de l’OLP sous forme d’Autorité palestinienne, entité politique à la
fois opposante et partenaire. Dans cette situation complexe, l’État israélien décide
de sortir du bourbier libanais mais aussi de Gaza, en croyant maintenir la
menace à distance grâce à la barrière de défense et une puissante force de
frappe. Ce faisant les Israéliens ont échangé des bourbiers contre un destin de
Sisyphe condamné à recommencer éternellement la même petite guerre. Les
chapitres <i>Pluies d’été</i>, <i>Tondre le gazon</i>, <i>Nouveau round</i>, <i>Le
retour des combats</i> et <i>Neuf ans</i>, sont comme autant de rochers portés
au sommet par un Sisyphe israélien et retombant toujours en bas de la colline
dans la foulée. La différence avec le mythe grec est qu’Israël se sentait
suffisamment fort pour pouvoir faire cela éternellement sans trop en souffrir.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="mso-margin-bottom-alt: auto; mso-margin-top-alt: auto; text-align: justify;"><span style="font-family: Gill Sans; font-size: large;">Cet
exercice que l’on croyait établi pour l’éternité, cette sécurité minimale au
lieu de la paix, n’a finalement duré que dix-sept ans, et s’il y a bien une
première leçon stratégique à apprendre est bien que les périodes stratégiques,
ces moments où les règles du jeu international sont bien connues et respectées,
durent rarement plus d’une génération et qu’elles ont souvent une fin brutale.
La journée du 7 octobre 2023 est donc une coupure épistémologique, une rupture,
une surprise stratégique, comme on veut pourvu que l’on comprenne que les
règles du jeu ont changé d’un coup. L’ouvrage bascule alors dans le commentaire
de l’histoire immédiate en revenant bien sûr sur <i>Le choc du 7 octobre 2023</i>
et en décrivant les premières réactions israéliennes, <i>Fureur</i>, puis la
campagne de conquête toujours en cours en cette toute fin d’année 2023, <i>Le
fer de l’épée.</i> On y verra que quand on ne sait pas quoi faire on se
contente de faire ce que l’on sait faire parfois seulement en augmentant les
doses. On change d’ailleurs d’autant moins que l’on a un peu contribué à
l’apparition des problèmes que l’on doit résoudre, comme Benjamin Netanyahou au
pouvoir presque sans interruption de 2009 à aujourd’hui, non que ce soit le
gouvernement israélien qui ait créé le monstre du Hamas, mais que celui-ci par
la détestation qu’il suscitait dans le monde et sa rivalité avec le Fatah
paralysait le mouvement palestinien. <i>L’embrasement</i> se conclut avec un <i>Bilan
et absence de perspectives</i> aussi mince que ces dernières. Un historien est
excellent pour prédire le passé, mais comme tout le monde ne peut pas faire
grand-chose surtout pour une chose aussi complexe que la guerre, l’affaire
humaine sans doute la plus incertain par ses interactions multiples et
violentes.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="mso-margin-bottom-alt: auto; mso-margin-top-alt: auto; text-align: justify;"><span style="font-family: Gill Sans; font-size: large;">Comme
disait Paul Veyne, un historien est d’abord quelqu’un qui raconte une histoire
en commençant par le début et en finissant par la fin selon les bons conseils
du Roi dans Alice au pays des merveilles, c’est-à-dire chronologiquement. Un
militaire est quelqu’un qui analyse les choses de son métier le plus froidement
possible alors qu’il est surtout question de morts et de souffrances. En
combinant les deux, il s’agit d’abord dans cette suite de chapitres d’une
description de l’évolution des pratiques des uns et des autres, et même des uns
en opposition des autres. Il est donc nécessaire d’introduire au fil de
l’histoire des concepts – la pratique militaire, la distinction guerre-police,
les niveaux tactiques, le courbe de stress organisationnel, etc. – permettant
de mieux appréhender cette évolution. Elle permet aussi de couper les montées
et descentes sinon toujours identiques de Sisyphe. Ces évolutions militaires
sont, on le verra, largement spécifiques à ce théâtre d’opérations, mais
souffrent parfois de comparaisons utiles avec des situations techniquement
comparables, comme les guerres en Irak et en Afghanistan.<span style="mso-spacerun: yes;"> </span><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="mso-margin-bottom-alt: auto; mso-margin-top-alt: auto; text-align: justify;"><span style="font-family: Gill Sans; font-size: large;">La
guerre est aussi chose politique, et c’est même ce qui le différencie de la
mission de police, l’autre emploi possible de la force légitime. On ne peut
donc déconnecter complètement l’action militaire de son contexte politique ne
serait-ce que par cette action militaire a pour but justement et normalement de
changer ce contexte politique. Je dis bien normalement, car s’il s’agit au
contraire de ne pas changer de contexte politique on se trouve plutôt et on y
revient dans la recherche de la sécurité et donc au bout du compte une mission
de police. On parlera donc de politique en amont et en aval de l’action
militaire, le cœur du sujet, pour remarquer combien celle-ci dans les deux
camps est au moins autant une politique intérieure où il faut tenter résoudre
des tensions internes par une crise externe. Henri Kissinger disait qu’Israël
n’avait pas de politique extérieure mais seulement une politique intérieure. On
verra combien cela est vrai, surtout depuis qu’Israël est passé de David à
Goliath, et on sait que Goliath derrière sa force herculéenne souffrait aussi
de maux internes dus à son acromégalie, dont une très mauvaise vue. Mais cela
est vrai aussi pour les organisations palestiniennes, souvent corrompues, en conflit permanent pour
le leadership entre elles et même à l’intérieur de chacune d’elle. Rien qui
puisse contribuer à la stabilité de ce monde. Tous sont condamnés comme dans
une tragédie grecque ou comme dans la série israélienne <i>Fauda</i> (chaos) à
s’affronter pour des raisons aussi valables qu’incompatibles au cœur d’une
arène dont personne ne peut sortir.</span></p><p></p>Michel Goyahttp://www.blogger.com/profile/03230946392725826708noreply@blogger.com3tag:blogger.com,1999:blog-152229054779417762.post-55527371090229436412024-03-05T19:31:00.009+01:002024-03-08T19:29:26.193+01:00L'art de la guerre dans Dune<p class="MsoNormal" style="mso-margin-bottom-alt: auto; mso-margin-top-alt: auto; text-align: justify;"><span lang="FR-CA" style="font-family: "Georgia",serif; font-size: 11pt; mso-ansi-language: FR-CA; mso-bidi-font-weight: bold;"></span></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://1.bp.blogspot.com/-Dg99FNhmfBc/YUYhUJ0fsvI/AAAAAAAAK3w/xhuJPKMDp10hU6CkA0F79D5j88H2DHJSwCLcBGAsYHQ/s1469/ad18dgzvagd71.png" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="1081" data-original-width="1469" height="277" src="https://1.bp.blogspot.com/-Dg99FNhmfBc/YUYhUJ0fsvI/AAAAAAAAK3w/xhuJPKMDp10hU6CkA0F79D5j88H2DHJSwCLcBGAsYHQ/w378-h277/ad18dgzvagd71.png" width="378" /></a></div><span style="font-family: Gill Sans;"><div style="text-align: right;"><span style="font-size: medium;">Version agrandie et actualisé de l'article du Mook que l'on peut trouver <a href="https://www.cestplusquedelasf.com/mook-dune/chroniques">ici</a><br /></span></div><div style="font-size: x-large; text-align: right;"><span face=""Gill Sans MT", sans-serif"><br /></span></div><div style="text-align: justify;"><p class="MsoNormal"><span style="font-size: large;">L’univers
du roman <i>Dune</i> de Frank Herbert est d’une grande richesse,
mélangeant dans un ensemble baroque, mais très cohérent des éléments de
sociétés humaines passées et des éléments de pure imagination. La guerre s’y
exerce de manière particulière, mais elle reste la guerre avec sa grammaire
propre.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-size: large;"><b>Comment
détruire une Grande Maison</b><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-size: large;">Le
système politique de <i>Dune</i> en 10 191 AG (après la
Guilde) est issu d’une grande convention qui régit les rapports entre la
Maison impériale, les grands féodaux réunis dans l’assemblée du Landsraad et la
Guilde des navigateurs qui dispose du monopole du vol spatial. S’y ajoutent
d’autres acteurs à peine évoqués dans le premier livre, comme le Combinat des
honnêtes ober marchands (CHOM) qui gère en commun les échanges économiques
interplanétaires, le Bene Tleilax maître de la génétique ou les planètes industrielles
Ix et Richèse. Il y a surtout l’ordre politico-mystique féminin du Bene
Gesserit. Dans cet ensemble complexe, seules les Maisons féodales disposent du
monopole de l’emploi de la force afin de régler leurs différends. Les autres
acteurs n’en ont pas besoin pour assurer leur protection et leurs desseins
politiques. S’il faut faire une analogie, l’univers de <i>Dune</i> est assez
proche du système de relations des grands États européens du moyen-âge central
ou du Japon des époques Kamakura-Morumashi, le CHOM faisant grossièrement
office de pouvoir économique bourgeois et le Bene Gesserit d’Église catholique
ou d’école bouddhiste. <o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-size: large;">La
guerre, entre Maisons donc, est régulée par plusieurs facteurs politiques,
culturels et matériels. Le premier est la fragmentation des pouvoirs et le
souci de maintenir un équilibre entre eux. Si l’Empereur dispose d’un prestige
et d’une autorité certaine, personne ne souhaite le voir devenir hégémonique,
comme d’ailleurs sans doute n’importe quel autre acteur. C’est pourtant
apparemment le projet de Shaddam IV qui trouve devant lui le duc Léto
Atréides, champion et modèle de la noblesse conservatrice. Abattre les Atréides
permettrait de changer significativement le rapport de forces en sa faveur et
d’imposer plus facilement un pouvoir absolu. Une attaque directe trop puissante
de l’Empereur contre une Maison susciterait cependant une forte réaction de
l’ensemble de la noblesse. Aussi l’Empereur envisage-t-il une opération par
procuration en faisant appel aux Harkonnens. Les Harkonnens constituent la
famille impure de l’univers de <i>Dune</i>, considérée par tous comme de lâches
et brutaux parvenus anoblis par l’argent et non le mérite. Leur monde, Giedi
Prime, est une version nazie de la <i>Stahlstadt</i> des<i> Cinq
Cents Millions de la Bégum</i> de Jules Verne et une préfiguration de
l’Apokolips dans l’œuvre dessinée de Jack Kirby publiée quelques années seulement
après <i>Dune</i>. Les Harkonnens sont cependant riches, surtout après reçu le
droit de récolter l’épice d’Arrakis pendant 80 ans, sans aucun respect des
conventions féodales, et surtout ils détestent les Atréides, leur parfait
inverse. <o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-size: large;">Ce
sont donc des alliés idéaux pour l’Empereur. Retenons ce point :
l’Empereur veut détruire les équilibres féodaux immémoriaux et progresser vers
un régime absolutiste en s’appuyant sur la haine d’une Maison contre une autre,
à la manière des Armagnacs et des Bourguignons au début du XV<sup>e</sup> siècle
en France. Un pouvoir absolu va effectivement survenir par la faute de
Shaddam IV mais pas du tout celui qui était prévu.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-size: large;">Derrière
les freins politiques et culturels, il y a de nombreux facteurs matériels qui
compliquent les choses. Si <i>Dune</i> est l’Europe médiévale, il
faut imaginer les fiefs séparés par des mers que contrôlerait une compagnie
maritime unique et neutre. Par simplification, les fiefs ou les sièges des
sociétés diverses sont des planètes entières qui pour communiquer entre elles
et donc se combattre sont obligées de passer par la Guilde des navigateurs. Pas
de batailles spatiales donc dans <i>Dune</i> mais des raids chez les
planètes ennemies, et beaucoup plus rarement des grandes batailles rangées. Là,
encore on est largement sur un art de la guerre très médiéval.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-size: large;">Premier
problème : c’est très coûteux. Les puissances de <i>Dune</i> sont comme
celles de l’Europe médiévale toujours à la recherche de financements ou de
remboursements pour leurs campagnes militaires. Le second problème, lié au
premier, est comme pendant la guerre de Cent Ans, que l’on ne peut projeter via
la Guilde que des armées réduites, quelques centaines de milliers de
combattants au maximum, alors que l’on parle de guerres entre mondes entiers.
Toutes les Maisons connaissant sensiblement les mêmes problèmes de financement,
les forces en présence sont plutôt équilibrées. Les troupes qui débarquent
doivent également faire face aux grands champs de force Holtzman, que l’on peut
comparer aux murailles des châteaux forts, qui protègent les villes et les
grandes bases. La défense l’emporte dès lors nettement sur l’attaque. On peut
imaginer de grandes opérations de siège, mais qui dit siège dit longue durée
avec toutes les conséquences logistiques que cela peut impliquer et puis il y a
les atomiques. <o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-size: large;">Le
dernier facteur est en effet qu’il faut imaginer toutes ces Grandes Maisons
médiévales dotées d’armes nucléaires. L’emploi de celles-ci est prohibé par la
Convention, mais, contrairement aux machines pensantes, pas leur possession.
Les Grandes Maisons disposent donc depuis des millénaires d’un stock d’« atomiques »
mystérieusement entretenu. Il y a un grand tabou sur l’emploi en premier de ce
type d’armes et la famille qui s’y risquerait provoquerait sa mise au ban par
toutes les autres. Aussi l’emploi des atomiques n’est-il réellement
envisageable qu’en second ou, plus probablement, comme <i>ultima ratio</i> avant
la possibilité d’une destruction totale, les fameux « intérêts vitaux » proclamés sans
plus de précision par la doctrine française. Point particulier, dans <i>Dune</i> frapper
une planète ennemie ne peut se faire en quelques minutes comme actuellement
entre les puissances nucléaires à l’aide de missiles balistiques. Encore une
fois, il faut en passer par un transport spatial et donc la complicité peu
évidente de la Guilde, sauf si elle-même se trouve en danger mortel. Il faudra
donc probablement les employer sur son propre sol et les seuls objectifs ne
peuvent être que les forces ennemies. Notons que si ces forces d’invasion n’ont
pas amené d’armes atomiques avec elles, elles ne pourront pas riposter de cette
façon. <o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-size: large;">La
guerre est donc à la fois probable entre toutes ces puissances à l’éthos très
guerrier mais également difficile à organiser. Bien souvent, il s’agira plus de
confrontation, ou de « guerre des
assassins », utilisant
tous les moyens de pression — sabotages économiques, corruption, pression
diplomatique, raids sur les stocks d’épice, assassinats, etc. — que de guerre
ouverte et de grandes batailles. Et si cette guerre ouverte survient, elle
n’aura probablement pas le temps de s’achever par la destruction de
l’adversaire, du fait des rétroactions des environnements stratégiques à
plusieurs puissances rivales. Une famille qui engage toutes ses forces pour en
vaincre une autre se trouve à la limite de la banqueroute et surtout se rend
elle-même vulnérable à une attaque tierce.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-size: large;">La
seule solution est donc de foudroyer l’adversaire par une attaque suffisamment
rapide et massive pour obtenir un résultat décisif avant que des décisions
contraires, l’emploi d’armes atomiques ou l’intervention d’autres acteurs,
puissent survenir. C’était le scénario d’engagement dans la « marge d’erreur » de la
dissuasion que décrivait le général britannique Hackett en 1979 dans <i>La
troisième guerre mondiale</i> en imaginant l’invasion de la République
fédérale allemande par les Soviétiques en deux jours. C’est évidemment le
choix qui est fait par le baron Vladimir Harkonnens et l’Empereur
Shaddam IV. L’attaque sera menée par les Harkonnens mais appuyée par des
légions de Sardaukars, les soldats d’élite de l’Empereur camouflés pour
l’occasion en Harkonnens, afin d’obtenir un rapport de forces écrasant. Elle
sera grandement facilitée par l’action d’une « cinquième colonne » à l’intérieur
du camp ennemie qui en sapera les défenses. Un cheval de Troie, mais cette fois
opposé aux Atréides, descendants du roi Agamemnon vainqueur de Troie.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-size: large;">L’offensive
pourrait se dérouler sur Caladan, le fief-planète des Atréides, mais l’Empereur
préfère déplacer les Atréides sur la planète Arrakis qui leur est confiée en
fief à la suite des Harkonnens. Les déracinés y seront croît-on plus faibles et
les Harkonnens auront eu le temps préparer le terrain. Une stratégie à court
terme qui va s’avérer désastreuse à long terme. Arrakis est une planète très
particulière, qui recèle en son sol, le produit, l’épice, indispensable au
fonctionnement de toute la civilisation ne serait-ce qu’en autorisant seule le
voyage spatial, mais aussi la plus puissante armée de l’univers connu :
les Fremen. L’alliance envisagée des Atréides avec les Fremen rend l’attaque
d’autant plus urgente. Tout pousserait à ce qu’Arrakis soit maintenue dans la
plus grande stabilité au profit de tous, les plans de Shaddam IV et de
Vladimir Harkonnens vont y introduire un cocktail explosif d’autant plus
dangereux que la politique du Bene Gesserit a aussi fait en sorte d’y
introduire, plus ou moins volontairement, un individu détonateur.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-size: large;"><b>Achille
et Holtzman</b><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-size: large;">Au
niveau tactique, il y a des engins de tout type dans <i>Dune</i> comme
les ornithoptère à ailes battantes, mais peu de machines de combat, la faute en
grande partie à l’existence des boucliers de champs de force Holtzman
invulnérables à tous les projectiles sauf les plus lents. Inutile donc de leur
envoyer des balles ou des obus, même si ou pourrait imaginer que le souffle des
explosions puisse avoir quelques effets. Il est possible d’y utiliser des armes
à faisceaux laser, une arme d’avenir évidente à l’époque où écrit Herbert. Le
problème est que la rencontre entre un faisceau laser et un bouclier produit
des effets indésirables pour le tireur, pouvant aller jusqu’à une petite
explosion atomique d’une kilotonne. Cela pourrait donner naissance à des
tactiques suicide, un combattant forcé à la manière Harkonnen ou un volontaire
venant tirer au laser contre les grands boucliers protecteurs jusqu’à
l’explosion, mais cela paraît très aléatoire. Les lasers sont donc peu
utilisés, leur emploi très surveillé et les véhicules servent surtout au
transport d’une troupe qui est presque entièrement composée de fantassins.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-size: large;">Les
champs de force Holtzman, apparemment peu coûteux et faciles d’emploi, sont
très courants. Leur principale faiblesse est de pouvoir être percés par des
armes blanches utilisées avec lenteur ou éventuellement des objets particuliers
comme les chercheurs-tueurs ou les projectiles à faible vitesse des pistolets
maula. La haute technologie impose donc paradoxalement de revenir à des formes
ancestrales d’affrontement. Herbert exclut les tactiques collectives de type
phalange, qui devraient pourtant être possibles, au profit d’un combat purement
homérique fait d’une collection d’affrontements individuels ou en petites
équipes. Le combat dans <i>Dune</i> oblige à l’excellence
individuelle obtenue par un mélange de courage et de maîtrise de l’escrime.
L’acquisition de cette excellence demande du temps et impose une
professionnalisation de fait ainsi que la constitution d’une aristocratie
guerrière. Cette aristocratie développe ensuite une culture spécifique qui lui
assure le monopole de la violence, ce qui explique peut-être en retour le refus
de toute tactique de masse, mais la rend également vulnérable à l’apparition de
cette même masse sur le champ de bataille. Les civils-amateurs sont exclus
culturellement d’un champ de bataille où ils n’ont aucune chance de survie,
mais aussi largement des guerres elles-mêmes.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-size: large;">Dans
l’Illiade, il y a les héros, qui ont un nom, et les guerriers anonymes qui
servent de faire valoir aux premiers. Dans l’esprit de l’époque où Frank
Herbert écrit, ces héros sont en fait des surhommes ayant pu accéder à des capacités
supérieures à la normale grâce à un entrainement intensif dans des écoles spécialisées,
mentats, sœurs du Bene Gesserit, école d’escrime du Ginaz, ou simplement l’éducation
dans une famille noble. Cet entrainement exigeant est soutenu par des substances
stimulantes comme l’épice, le jus de Sapho ou l’Eau de Vie, qui permettant d’accéder
à des perceptions extra-sensorielles, sans l’usage de machines. Une Grande Maison
dispose de nobles très éduqués et formés, d’un mentat, « ordinateur humain »
remplaçant tout un état-major, et de champions-escrimeurs comme Duncan Idaho,
Gurney Halleck ou Hasimir Fenring. Face à des duellistes de très haut niveau
les soldats ordinaires, comme ceux des Harkonnens, ne sont que des chairs à
épée. Duncan Idaho peut ainsi se vanter d’en avoir tué plus de 300 pour le
compte du Duc Léto. <o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-size: large;">Ces
héros sont cependant rares et s’ils sont flamboyants ils ne font guère la
différence au sein de batailles qui sont des agrégations de milliers de
microcombats. Pour faire la différence dans les batailles, Frank Herbert
introduit donc une catégorie intermédiaire qui associe le nombre et la
qualité : les combattants d’élite, comme les Sardaukars, les Fremen et les
Atréides. Les Fremen ont les plus rudes, les Atréides sont d’excellents
techniciens et les Sardaukars associent les deux caractéristiques dans des
proportions moindres. Chacun de ces hommes est capable de vaincre plusieurs
soldats ordinaires du Landsraad et leur présence décide du sort des batailles.
C’est tout l’intérêt de la présence des Sardaukars dans la force d’attaque
déployée par Vladimir Harkonnen contre les Atréides, avec cette crainte
toutefois que ces quelques brigades puissent être utilisées par l’Empereur
contre le baron. L’intérêt de ces combattants d’élite, évident au niveau
tactique, est encore plus flagrant au niveau opératif lorsqu’on considère le
coût de projection interplanétaire d’un seul homme.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-size: large;">Au
passage, Frank Herbert insiste beaucoup sur l’importance des milieux extrêmes
comme le désert d’Arrakis ou l’oppression de la planète prison Salusa Secundus,
pour développer des qualités guerrières. Il pense certainement aux bédouins
arabes du VII<sup>e</sup> siècle ou de la révolte arabe de 1916 contre les
Ottomans (le film <i>Lawrence d’Arabie</i> est sorti trois ans
avant <i>Dune</i>) qui constituent son modèle pour les Fremen. Cette
théorie, qu’il reprend dans <i>Dosadi</i>, est très discutable, les
milieux physiques extrêmes sécrétant surtout des sociétés adaptées… à leur
milieu, mais souvent figées, voire piégées. Les Inuits ou les Indiens
d’Amazonie n’ont par exemple jamais constitué d’armées de conquérants. En
creux, cette théorie suppose aussi que les sociétés riches et agréables sont
amollissantes et que leurs armées sont faibles. L’Histoire montre que les
choses sont nettement plus complexes. La création d’une force militaire est
d’abord un phénomène social. Les Atréides échappent à cette théorie sans que l’on
sache trop comment leur excellence de masse a été atteinte. <o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-size: large;">Les
Fremen constituent un cas particulier dans l’univers militaire de <i>Dune</i>
puisqu’ils sont à la fois parfaitement adaptés à leur milieu, très durs au
combat et nombreux. Ils introduisent ainsi la masse à une échelle inconnue dans
l’équation. L’attaque Harkonnen, considérée comme considérable, a mobilisé
10 légions soit quelques centaines de milliers d’hommes, là où le mentat
Thufir Hawat s’attendait à un raid d’au maximum quelques dizaines de milliers,
ce qui semblait constituer la norme des batailles. Tous ces chiffres paraissent
par ailleurs assez faibles dès lors qu’il s’agit de contrôler une planète
entière, mais il est vrai que les populations ne semblent pas considérables non
plus. Avec une population de culture guerrière de dix millions de Fremen, on
passe à un potentiel de deux à trois millions de combattants adultes. Cela
change évidemment la donne comme l’arrivée des piquiers suisses dans la
deuxième moitié du XV<sup>e</sup> siècle ou la levée en masse révolutionnaire
de 1792 ont changé le visage de la guerre menée jusque-là en Europe avec de
petites armées professionnelles. On peut penser aussi aux contingents
professionnels occidentaux face aux 10 millions de Pashtounes en âge de
porter les armes en Afghanistan ou au Pakistan. L’attitude et l’allégeance des
Fremen constituent donc une donnée essentielle de la géopolitique de l’Empire.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-size: large;"><b>COIN
sur Arrakis</b><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-size: large;">L’offensive
Harkonnens-Sardaukars est un modèle d’offensive éclair. Tout lui réussit, avec
il faut bien le dire un peu de chance. La double action décisive du docteur
Yueh, la levée du bouclier défensif et la neutralisation du duc Léto,
facilitent évidemment considérablement les choses alors que sa réussite n’était
pas si évidente. Si Yueh avait échoué, l’opération aurait sans doute réussi au
regard du rapport de forces mais aurait connu des évolutions plus compliquées.
Cet « effet majeur » atteint, le
destin de l’attaque qui bénéficie d’une énorme supériorité numérique et de la
surprise ne fait plus aucun doute. Les Atréides sont submergés. Pour autant, il
y a comme dans tous les plans complexes quelques grains de sable : Dame
Jessica et Paul Atréides parviennent à s’enfuir dans le désert à la suite d’une
erreur grossière de Vladimir Harkonnen. Ils retrouveront ensuite les quelques Atréides
qui auront survécu, comme Gurney Halleck, mais aussi, atout essentiel et raté
incroyable des Harkonnens, les atomiques de famille. Ce n’est pas tout.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-size: large;">Hormis
les cas, très rares, d’extermination de l’ennemi, une victoire militaire ne
devient victoire politique que s’il y a acceptation de la défaite par celui qui
a perdu le duel des armes. Dans le schéma trinitaire clausewitzien, c’est le
pouvoir politique qui constate la défaite et accepte la paix, le peuple ne
pouvant que suivre les décisions de son gouvernement. Si l’action militaire ne
se contente pas de vaincre l’armée adverse, mais a également pour effet de
détruire le pouvoir politique, on se prive d’un interlocuteur et on prend le
risque d’en voir apparaître un ou plusieurs autres qui vont continuer la guerre
d’une autre manière. Les Américains ne sont pas les Harkonnens (mais la Maison
impériale peut-être) et Paul Muad’Dib n’est ni Oussama Ben Laden, le mollah
Omar ou Saddam Hussein, mais la situation sur Arrakis en 10 191 après la
prise d’Arrakeen présente quelques similitudes avec celle de l’Afghanistan en
2001 et surtout de l’Irak en 2003, mais un Irak qui serait le seul producteur
au monde de pétrole.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-size: large;">La
guerre ne se termine pas en effet avec la mort du duc Léto, elle se transforme
simplement. Les survivants Atréides se joignent à la guérilla endémique des
Fremen contre les Harkonnens, qu’ils détestent, pour constituer une forme très
efficace de « combat couplé » entre une
puissance extérieure et des combattants locaux. Les Fremen apportent le nombre,
leurs qualités de combattants et leur parfaite adaptation au milieu désertique ; les Atréides
apportent les atomiques de famille, une « assistance militaire technique » pour la
formation tactique et surtout un leader charismatique fruit des
manipulations du Bene Gesserit, mélange de Lawrence d’Arabie, de Prophète
Mahomet et de Mahdi soudanais. Ce n’est plus une réaction d’anticorps à une
présence étrangère hostile, mais un véritable jihad.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-size: large;">Face
à cette opposition qui se développe progressivement, se pose systématiquement
le problème du diagnostic initial avec presque toujours la tentation de le
minimiser et de le modeler en fonction de ses besoins. Pour le gouvernement
français de 1954, les attentats de la Toussaint rouge en Algérie sont le fait
de bandits et pour le commandement américain de 2003, les attaques de guérilla
qui apparaissent dans le triangle sunnite irakien en mai-juin sont les derniers
feux du régime déchu et de son leader en fuite. Cette appréciation initiale
conditionne une réponse dont il est difficile par la suite de s’affranchir.
S’écartant de la politique traditionnelle de pure exploitation économique de la
planète Arrakis, et peu gênés par des considérations humanitaires qui
n’existent, au mieux, que dans le cadre des signataires de la Grande
Convention, les Harkonnens et les Impériaux qui reprennent le contrôle
d’Arrakis voient les Fremen comme une nuisance dont ils sous-estiment par
ailleurs l’importance et qu’il faut éliminer par l’extermination.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-size: large;">Tactiquement,
on se trouve là encore dans le cas classique d’une force de technologie
supérieure face à une guérilla protégée par son adaptation à un milieu
particulier et protecteur (jungle, montagne, population locale des rizières ou
des cités de l’Euphrate en Irak). Ce milieu est d’autant plus favorable que
l’emploi des boucliers Holtzman y est très délicat car ils ont la particularité
d’énerver les vers des sables, ce qui n’est jamais une bonne idée. Les Fremen
pratiquent donc une escrime normale, là où leurs adversaires sont habitués à
une escrime de champ de force très différente. Ils sont par ailleurs beaucoup
plus nombreux que leurs adversaires, à l’inverse de tous les abaques de
contre-guérilla. L’armée de Rabban la bête même aidée des Sardaukars n’a tout
simplement pas les effectifs suffisants pour faire face à une guérilla d’un tel
volume, d’autant plus que grâce à la maîtrise du « transport par
vers » la mobilité
opérative des Fremen est équivalente à celle de leurs ennemis et de leurs
ornithoptères.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-size: large;">La
tentation est alors forte pour les Harkonnens de limiter les risques en
utilisant la maîtrise de l’air pour traquer l’ennemi à l’aide de machines
volantes transformées en bombardiers en essayant si possible de décapiter
l’ennemi par la mort de Paul Muad’Dib. Les Fremen y répondent par les méthodes
classiques de dissimulation à une force aérienne, association au milieu,
dispersion, enterrement, etc. À cette stratégie d’attrition des Harkonnens, par
ailleurs peu efficace, ne serait-ce que par le manque de moyens, les Fremen
coordonnés par Paul Atréides, transformé en surhomme prescient – le Kwisatz
Haderach – par l’absorption de l’ Eau de Vie, répondent par une stratégie
de pression économique en empêchant l’ennemi d’exploiter l’épice. Les
moissonneuses d’épices sont semble-t-il plus faciles à trouver et détruire que
les nombreux sietchs Fremen. Les Sardaukars quittent finalement le front sur
décision de l'Empereur, mais les Harkonnens ne changent pas de stratégie. Ils
n’envisagent pas une seule seconde de négocier, ni même de faire l’effort de
former des combattants adaptés au désert. Rabban la bête n’est clairement pas
un fin stratège et il n’a même pas de mentat à ses côtés. Celui du baron,
Thufir Hawat retourné contre son gré après la mort de Piter de Vries,
n’influence en rien les évènements. Il est très probable que selon un schéma
classique dans les dictatures, la réalité de la situation sur le terrain reste
masquée au sommet de l’organisation jusqu’à la catastrophe.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-size: large;">Au
bout de cinq ans, la stratégie de Paul Atréides permet de contrôler la majeure
partie de la planète et de provoquer une accélération des évènements. La menace
enfin évidente sur la production d’épice provoque la formation d’une coalition
de toutes les Maisons et d’une expédition sur le sol même d’Arrakis menée par
l’Empereur en personne. On atteint ainsi le stade final de la guerre populaire
telle que la décrivait Mao Tsé-Toung après la mobilisation et la guérilla. La
bataille finale contre l’Empereur est l’équivalent en 10 196 AG de
celle de Diên Biên Phu en 1954. <o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-size: large;">Le
problème tactique majeur qui se pose à nouveau est celui de l’élimination du
bouclier de défense de l’Empereur. Le mode d’action utilisé est une grande
tempête de sable dont on sait que l’électricité statique va saturer le champ de
force. Il faut pour cela détruire auparavant les montagnes qui empêchent son
passage et c’est là que les atomiques interviennent. Le tabou atomique est donc
brisé, il est vrai de manière indirecte par un emploi sur un obstacle naturel,
pour permettre la pénétration dans le camp adverse. Avec la supériorité
numérique des Fremen et l’emploi surprise des vers des sables, la suite du
combat ne fait plus alors aucun doute. Étrangement le combat se termine par un
duel entre Paul Atréides et Feyd-Rautha Harkonnen, héritage des pratiques
féodales, risque considérable tant la personne de Muad’Dib est importante, qui
ne se justifie pas stratégiquement. Il aurait suffi que le comte Fenring,
peut-être le meilleur escrimeur de l'Empire, accepte de combattre à la place de
Feyd-Rautha pour changer le cours de l'Histoire, mais Fenrig refuse, ce qui en
fait d’un seul coup un personnage très intrigant. <o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-size: large;">Paul
Atréides/Muad’Dib l’emporte donc. La Guilde est obligée de lui obéir, car il
dispose désormais du monopole de l’épice, un peu comme si Lawrence d’Arabie avait
pris le contrôle de toute la production mondiale du pétrole. La Guilde n’est
plus neutre et réserve ses long-courriers aux Fremen. Les Maisons sont donc isolées
et obligées d’attendre les assauts des légions de Fremen qui peuvent les
attaquer en masse et les soumettre, sans que l’on sache trop pourquoi les armes
atomiques ne sont pas utilisées. Le jihad se répand dans l’univers connu et
impose le pouvoir absolu du Mahdi. Le
jeu dangereux de l’Empereur a entraîné la fin d’une ère stratégique cohérente
et le début d’une nouvelle époque.</span><span face=""Gill Sans MT", sans-serif" style="font-size: 11pt;"><o:p></o:p></span></p></div></span><p></p>Michel Goyahttp://www.blogger.com/profile/03230946392725826708noreply@blogger.com20