samedi 13 juillet 2013

A la sortie du danger

La dépense d’énergie que réclame à chaque pas la progression sous le feu, l’effort pour éviter le danger à tout instant tout en cherchant à accomplir sa mission mettent l’individu dans une tension extrême. Par contrecoup, la fin du danger, même provisoire, entraîne une décompression lorsque le système nerveux parasympathique reprend le dessus. Le sommeil, le dégoût de tuer ou même le rire font leur apparition comme lorsque après un furieux combat pour s’emparer d’une tranchée, et alors que la situation est encore très incertaine, un soldat du lieutenant Rommel provoque l’hilarité générale en découvrant des sous-vêtements féminins.

Si les cas d'endormissement en plein combat ne sont pas rares, c'est surtout le soir de la bataille et alors que tout danger est écarté, que l’effort fourni écrase l’homme. Après l’attaque du 21 mars 1918, Ernst Jünger s’effondre « et un voile descend sur la plénitude d’images colorées, terribles et merveilleuses de cette bataille qui, comme un rêve aux couleurs de sang sombre et de feu pourpre, avait soumis le cœur aux épreuves de l’abîme. » Dans le camp adverse, le caporal Gaudy ressent les mêmes choses : « Dans cette heure de calme, tout notre accablement, secoué par l’énervement des combats nous revenait d’une façon terrible. Nous nous sentions à bout de souffle, exténués. »

Comme à la sortie d’un cauchemar, les combattants ont le plus grand mal à reconstituer dans le monde réel ce qui s’est passé dans la bulle de violence maintenant disparue. Chenu admire ses « camarades qui parlent de la bataille comme s’ils l’avaient comprise».  Marc Bloch, sergent dans l’infanterie, se rappelle les combats comme « une série discontinue d’images, bien vivantes mais mal reliées, comme une bobine de film qui aurait des trous ici et là et dont certaines scènes seraient inversées. » Pour Galtier-Boissière :

Le soir d’un engagement, quel réconfort de retrouver des faces familières autour d’une flambée de sarments ! de causer avec des copains de sa classe, d’échanger des impressions, de se rappeler, à tête reposée, les dangers auxquels on est encore tout ahuri d’avoir échappé ! Chacun raconte avec simplicité sa propre aventure dans la grande bagarre. Les récits se complètent et, peu à peu, on se fait une idée d’ensemble de la bataille, dont chaque homme n’aperçoit qu’un coin minuscule. 

Avec le temps les choses désagréables s’effacent, au moins en apparence, jusqu’à ce que parfois il ne reste plus que des détails minuscules. Dans Acts of war, Richard Holmes décrit un vétéran canadien de l’opération de Dieppe en 1942 qui se rappelait seulement avoir perdu son pantalon pendant le débarquement ou ce parachutiste anglais qui ne souvenait que du morceau de musique qu’il se repassait dans sa tête lors des combats de Goose Green dans les Falklands en 1983.

Après l’assaut sur le pont de Verbanja, le lieutenant Héluin, a demandé que les cloisons séparant les hommes de la section dans le Groupement médico-chirurgical soient retirées pour permettre aux 17 blessés qui étaient là de mettre en commun les morceaux de puzzle du chaos. Chacun comprend alors son rôle dans la pièce tragique qui vient d’être joué et c’est parfois à ce moment là que l’on comprend que l’on a été remarquable là où on s’estimait battu, lâche et responsables de la mort de camarades.

Pour Héluin, il faut trois à quatre jours pour évacuer le combat. Certains n’ont pas cette possibilité. Dès le lendemain, il leur faut replonger dans une nouvelle bulle de violence. 

6 commentaires:

  1. Je me demande combien de temps, à Verdun, une unité devait passer en première ligne avant d'être relevée ?

    RépondreSupprimer
  2. Merci encore pour cette série d’articles qui éclaire pour moi la nature du combat individuelle et en petites unités. Ça m’était toujours apparu nébuleux, et notamment les phénomènes psychologiques qui sont pourtant tellement essentiels à une compréhension autre que livresque de la bataille, et par extension de la guerre.

    J’attends la suite, et je ne suis certainement pas le seul.

    RépondreSupprimer
  3. Monsieur,
    Lecteur assidu de votre blog, passionné d'histoire mais sans aucune expérience militaire, je me permets de formuler quelques question sur votre série très intéressante « sous le feu », espérant contribuer un peu à votre réflexion, sans que cela appelle une réponse détaillée de votre part :
    1°) les caractéristiques spécifiques des conflits que vous évoquez, la forme de mobilisation des soldats (guerre nationale ou civile, conflit mené par des professionnels ou des conscrits, conflits visant à la défense du territoire ou guerre de conquête, endoctrinement des combattants...) n'ont-elles aucun impact sur le comportement des combattants ?
    2°) les évolutions intervenues sur le champ de bataille (puissance ou précision des armes, combats urbains...) n’ont-elles pas eu une influence sur la manière d'engager les hommes au combat et, partant, sur leur comportement "sous le feu" ?
    3°) le choix de privilégier des exemples portant essentiellement sur les combats de 1914 à nos jours ne conduit-il pas à restreindre les invariants à la période contemporaine alors que le champ de bataille est un lieu de terreur plus ancien ? Une approche chronologique aurait-t-elle un sens sur ce sujet ?
    Au delà de ces quelques observations, et de quelques autres non formulées ici (notamment au sujet des sources et de la critique de ces sources), je tiens en tout cas à vous remercier pour la qualité de votre blog et de la revue Guerres et histoire, dont je suis aussi un lecteur assidu. Cordialement












    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci à vous pour ces réflexions st ce mots gentils.
      Pour des raisons pratiques, je me suis limité à ce qui ressemblait le plus à ce que je connaissais, c'est-à-dire le combat terrestre (et même plutôt fantasso-centré) contemporain et occidental. Les aspects culturels aussi sont essentiels (les Japonais de la Seconde Guerre mondiale se battent assez différemment des Ivoiriens actuels, pourquoi ?)mais tout cela m'amènerait trop loin surtout si je dois les mettre en perspectives historiques. Le combat interroge la plupart des champs des sciences humaines et il y en a peu où je sûr de moi. Je me contente donc de prendre un peu par ailleurs ce qui peut aider à éclairer certains points.
      Bien cordialement.

      Supprimer
  4. Merci beaucoup d'avoir pris le temps de me répondre et de m'éclairer sur ces différents points.
    Dans l'attente de lire votre ouvrage,
    Bien cordialement

    RépondreSupprimer
  5. Mon colonel,

    Juste une réflexion en passant. Il me semble que les nouvelles technologies (caméras portées sur les casques par exemple) permettent à de nombreux soldats de reconstruire le fil des combats. Il n'est pas rare, après les engagements, de voir les soldats se réunir autour des ordinateurs pour comparer leurs points de vues.

    Cet apport de la technologie dans l'appréhension des combats ne doit pas être oublié. Il pose d'ailleurs à l'historien, la question de l'utilisation de ces sources, conservées par les témoins, et susceptibles d'être versées ensuite comme témoignage.

    respectueusement,

    christophe lafaye

    RépondreSupprimer