vendredi 22 février 2013

Théâtre de guerre


Les choses paraissaient pourtant claires. Pour une fois depuis….très longtemps, le chef des armées et son ministre de la défense avaient ouvertement annoncé que nous étions en guerre et que cela durerait le temps qu’il faudrait. Visiblement tout le monde n’a pas bien appréhendé ce que cela signifiait. 

On s’est quand même retrouvé avec une famille prenant des vacances près de la zone d’action d’un des proches alliés des gens que nous traquons dans les Ifhoras. On ne peut reprocher à un employé de Gdf-Suez de ne pas être un géopoliticien averti, ce n’est pas le cas du personnel d’ambassade de Yaoundé. Peut-être n’a-t-on pas imaginé que Boko Haram et Ansaru ne se sentiraient pas concernés par notre intervention au Mali. Peut-être a-t-on imaginé que les alliés d’AQMI agiraient comme les nôtres et ne prendraient aucun risque. 

On s’est retrouvé aussi avec quelques médias en manque de scoop et sculptant sur quelques faits saillants. Oui, il est malheureusement normal que les soldats meurent à la guerre, c’est d’ailleurs un peu pour cela que nous avons été créés. Il est heureux d’honorer nos soldats lorsqu’ils tombent, il serait maintenant heureux aussi d’honorer ceux qui vivent, se comportent avec courage et gagnent. Il n’est pas inconvenant non plus en temps de guerre de dire aussi que ceux d’en face sont morts en plus grand nombre que les notres, c’est d’ailleurs le principe premier de l’art de la guerre. Un jour proche j’espère qu’on n’essaiera pas de placer le mot « enlisement » chaque fois que les choses ne vont pas vite. J’espère surtout qu’on ne titrera plus mais « un soldat français tué au Mali » au lieu de « victoire française au sud de Tessalit » et que les seuls noms de soldats français qui apparaîtront à l’écran ne seront pas ceux des morts ou des généraux. Il serait bon par ailleurs, comme je l'ai déjà exprimé ici, que l'institution donne l'exemple d'une vraie communication de guerre. 

On a vu également quelques hommes et femmes politiques oubliant l’intérêt national et l’obligation d’ « union sacrée » au profit d’une promotion personnelle en trouvant forcément quelque chose à redire en étant dans l’opposition ou en en trouvant simplement quelque chose à dire en étant au gouvernement. Dans la guerre moderne, les mots sont des munitions et on vient de s’en tirer quelques-unes dans le pied et même dans le cœur des familles des otages. On raconte que Sun Tsu avait fait simuler la guerre aux concubines de son prince et avait fait couper la tête aux chefs des deux camps lorsqu’elles en avaient ri, histoire de montrer à tous que c’était là chose sérieuse.

Alors oui nous sommes en guerre contre  les Djihadistes et cette guerre, si elle trouve son épicentre actuel au Mali, recouvre au moins le Sahel, si ce n’est le monde. Oui, cette guerre sera longue et nous y subirons des revers et des pertes, y compris parmi la population civile. Oui, nous aurons à tuer beaucoup d’ennemis. Oui, nous devrons faire preuve d'imagination et mener le combat au delà des armes. Oui, nous devons faire taire nos querelles internes, politiques ou corporatistes, pour œuvrer vers la victoire. Oui, nous avons l’obligation de ne pas être la seule nation de l’Histoire à détruire son outil militaire au moment où elle en a le plus besoin. 

11 commentaires:

  1. Une chose sérieuse, c'est certain. Je me suis tout de même permis de rire à la lecture de votre petite phrase assassine comparant l'engagement de nos alliés et des leurs.

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    1. C'est vrai pour nos alliés, mais c'est un peu "de bonne guerre", non ?

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  2. Sur le principe, j'adhère tout à fait à votre point de vue lorsque vous dites "j'éspère que les seuls noms de soldats français qui apparaîtront à l’écran ne seront pas ceux des morts ou des généraux". Mais comment peut-on concilier celà avec le besoin de protéger l'identité des combattants, dont la familles pourraient être un jour menacées ?

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    1. Leur famille pourrait être menacée !? ça alors ! Vous m'étonnez... Mais comment, voyons ? C'est inimaginable. Nos frontières sont parfaitement contrôlées et surveillées ; les gendarmes et les policiers assurent une sécurité parfaite aux Français. Les procureurs de la république et les juges sont très vigilants. Ce serait très-très difficile pour des islamistes d'entrer en grand nombre sur notre territoire, de s'y installer, et d'oser menacer la vie des membres de la famille de glorieux soldats français. Non, non, vous n'y êtes pas du tout.

      Le fait de cacher le nom des soldats français est simplement dû à l'humilité et à la modestie dont les soldats français font preuve : voilà l'explication. Ce n'est pas par peur que sa femme et ses enfants se fassent égorger par leurs voisins ; mais non ! Quelle imagination déplacée vous pouvez avoir, mon cher Anonyme ; c'est par modestie, voire, parfois, il faut le reconnaitre, par timidité.

      Tout va très bien en France, je vous assure. Il n'y a aucun problème, si ce n'est parfois un excès de modestie de la part de certains militaires français.

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    2. La France d'en bas s'en fout!
      Ce ne sont pas leurs enfants qui se feront tuer ou seront blessés ,l'armée ne les concerne pas,les "antimilitaristes roses" disent tout haut; qu'"elle ne sert à rien sinon qu'à bouffer leurs impôtset et ruiner le pays"... Grattons encore les os de ses structures avec le RGPP!
      Voyez le résultat d'une diminution de la Défense ...On fait appel à tout le monde , on voit ce que celà donne!...
      Soldats soyez fiers et forts de votre Nation ... vous allez pouvoir crever en paix !

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    3. Essayez de faire commme moi, mon cher Anonyme : essayez de prendre cela à la légère, avec dérision ; oui, je sais, c'est difficile, on a envie de se révolter... et nous sommes tous indignés. Mais le régime et la société dans laquelle nous sommes contraints de vivre ne permet pour encore aujourd'hui de faire autre chose que de tenter de faire un peu d'ironie à propos de ces sujets gravissimes...

      Bien à vous

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  3. Ce n'est pas la première fois que l'armée française est détruite par ceux qui sont censés la vivifier ; il y a au moins deux précédents : 1) ce qui s'est passé entre 1899 et la veille de la Grande guerre ; 2) et l'aveuglement des politiciens français devant le réarmement allemand, qui aboutit à la Débâcle de 1940.

    Concernant la période de 1899-1914, voir les premières pages du livre "Les conditions de la victoire", paru en 1916, téléchargeable depuis http://archive.org/details/lesconditionsdel01maur (à gauche de l'écran, format P.D.F. notamment). Le rappel est saisissant et fait froid dans le dos lorsqu'il est comparé à la situation actuelle.

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  4. Lecteur assidu de ce blog et de certains autres, je suis une fois de plus surpris qu'il faille rappeller des évidences du type "la guerre tue" ou "n'allez pas vous faire un pique nique famillial dans une zone de guerre" sans oublier le grand classique: "pour faire la guerre (et espérer la gagner) il faut des soldats et des moyens"...
    Je ne m'apesantirai pas sur le "quand on sait pas on ferme sa g..." (variante du fameux "matériel inconnu...")qui pourrait s'appliquer à tellement de gens en matière d'affaires militaires ces derniers jours...
    Merci pour votre blog qui aide aussi à remplir les blancs pour les profanes

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  5. @ Michel Goya,

    Verbatim: "Il serait bon par ailleurs, comme je l'ai déjà exprimé ici, que l'institution donne l'exemple d'une vraie communication de guerre. "

    Bien d'accord. Mais qu'est-ce-que c'est?

    Dans la communication de crise on parle de sincérité de l'information: une information ne doit pas être donnée dans une intention fallacieuse. Quand on n'a que le choix entre ne rien dire et mentir, alors on ne dit rien.

    C'est une règle de base. Intérêt de la règle: préserver la confiance légitime du public en ses institutions, surtout au moment d'une crise. C'est un facteur de force, donc à préserver prioritairement.

    Transposée dans le domaine de la guerre, cette règle est déjà problématique (par ex le "bourrage de crâne")...

    L'autre règle de base de l'information en temps de crise: ne diffuser que des informations précises et vérifiées. Intérêt de la règle: ne pas participer à la diffusion des rumeurs.

    Transposée dans le domaine de la guerre, cette règle est encore problématique: en voulant stopper la rumeur, on peut être contraint de lâcher une info qu'on voulait garder.

    Par exemple, telle rumeur: deux hélicos ont été détruits.

    Stopper la rumeur: ben non, tenez regardez, l'effectif est au complet. Et là, l'ennemi compte. Ah zut!

    Donc on ne peut qu'opposer un démenti, ce qui suppose d'avoir respecté la règle précédente si on veut être cru, puisqu'en fait la communication du temps de crise est une logique en poupée gigogne.

    Autre règle de base de la communication du temps de crise: maîtriser le tempo en donnant les bonnes informations au bon moment. Intérêt de la règle: c'est un moyen de lutter contre la confusion, qui a tendance à s'installer dans la crise comme chez elle, en mettant en valeur le caractère pratique ou utile d'une information et en renforçant le sentiment que le cours de l'action est dirigée.

    Transposition à la guerre: parfois l'ennemi reprend l'initiative, donc impose son tempo dans le flux des infos. Pour masquer cela, on est alors tenté de gaver préventivement les journaliste comme des oies en leur donnant une dose quotidienne d'infos sans réelle valeur, au mépris des règles 1 et 2 (ex: les fameuses conférences de presse pendant les deux dernières guerres du Golfe où l'armée US refilait à la presse de l'info spectacle, histoire de créer un flux continu d'infos pour que les journalistes ne puissent pas déceler les ruptures de tempo).

    Et tout le reste est à l'avenant. Je ne connais rien des principes de base de la communication du temps de crise qui soit transposable dans la communication du temps de guerre, tel que.

    Et je ne sais pas comment vous faites, vous, les militaires, pour penser le problème.

    Peut être que la comparaison avec la communication du temps de crise n'est pas le bon parallèle à faire? On pourrait ainsi poser que la communication du temps de guerre se pense en elle-même, de façon autonome et compte tenu des spécificités de la matière. D'après ce que j'en perçois, j'ai d'ailleurs le sentiment qu'elle est ainsi conçue et qu'en bonne logique militaire, ses principes de base sont eux-mêmes tenus secrets...

    Et là, on voit toute la difficulté du problème: pour comprendre un langage il faut connaître sa grammaire, au moins de façon intuitive. Si même la grammaire devient mystérieuse, on ne comprend plus rien. Dans ce cas, pourquoi communiquer?

    D'ailleurs, c'est une question qui se pose: pourquoi (voire pour quoi) communiquer?

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    1. Bonjour,

      Questions pertinentes et passionnantes que vous posez là. Ayant eu l'occasion de pratiquer un peu dans les domaines que vous décrivez, j'avoue que ma réflexion est particulièrement stimulée... mais que je n'ai pour le moment pas de réponses bien précises et structurées.
      Ce que je crois, c'est que le "temps de guerre" n'est pas en soi un temps permanent de communication de crise. La guerre est bien une crise, mais il y a des crises au sein de la crise (je ne sais pas si je suis très clair): remise en cause de notre légitimité, de nos buts, de nos procédures, de certaines de nos actions, "dérapages" de certains individus, etc. Et ces moments-là appellent plus particulièrement des méthodes de communication de crise.
      Fervent adepte du "benchmarking", pour reprendre ces mots anglais censés faire plus sérieux et dont parfois professionnels de la com et du marketing aiment à se gargariser, je constate que les règles qui prévalent pour la communication de crise sur la viande de cheval sont à peu près les mêmes que celles qui sont applicables pour les crises en temps de guerre. Avec quelques contraintes particulières, qui rendent l'exercice singulièrement compliqué : la dimension politique (arma cedant togae) et son agenda parfois contradictoire au regard des visées strictement militaires ; l'ennemi qui lui aussi communique (mais là, on se rapproche des offensives de certaines ONG contre des entreprises, par exemple) ; les alliés avec lesquels nous sommes souvent engagés, qui ont leur propre perception ; le décalage impressionnant entre une société qui considère la paix comme un acquis définitif, habituée au principe de précaution à tout va, qui rejette toute idée de mort (et quelques fois le mot lui-même), qui voit des "drames", des "victimes" et des "gens sous le choc" partout, et une institution qui vient cruellement lui rappeler la fragilité de ces concepts, etc.
      Ce dont je suis sûr, c'est que, comme dans toute communication de crise d'une entreprise ou d'une institution, la réputation, l'image initiales des armées joue pour beaucoup au moment où la crise survient.
      Pourquoi, pour quoi communiquer ? Parce que si nous ne le faisons pas, d'autres le feront à notre place ; parce que, n'en déplaise à certains experts en chambre qui font à l'occasion leur auto-promotion sur tous les médias, nous avons aussi une légitimité à parler de notre métier (ça ne les empêche pas de s'exprimer, mais nous ne devons pas les laisser se substituer à nous, ils doivent rester simplement un point de vue supplémentaire) ; parce que nos concitoyens-contribuables ont le droit de savoir comment et pourquoi nous dépensons leur argent (après, à eux de juger, mais au moins avec quelques données autres que les élucubrations épidermiques et péremptoires de certains internautes commentateurs d'articles) ; parce que nos soldats ont besoin de sentir qu'ils ne sont pas un quelconque corps expéditionnaire ignoré, voire méprisé (cf. le syndrome indochinois). Ma liste est totalement subjective et incomplète, mais je vous laisse compléter à votre gré.
      Désolé de n'être pas plus pertinent, pour l'instant. J'espère simplement que ces quelques éléments alimenteront votre réflexion, tout comme vous avez alimenté la mienne. Et je vous en remercie beaucoup, car je n'ai pas fini de me questionner, ce qui ne peut que m'amener à progresser !

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  6. Je suis en désaccord avec la proposition « oui nous sommes en guerre contre les Djihadistes ». On ne gagne pas une guerre contre un concept. C'est le cas de la « guerre contre le terrorisme » tout autant que de la « guerre contre le djihadisme ».

    Le djihadisme est un concept qui est aussi ancien que l'Islam. Le concept de djihad a été utilisé par Abdelkader et son père dans leur lutte contre l'invasion française de 1832 à 1847. La France a gagné la guerre contre Abdelkader, mais elle n'a pas gagné la guerre contre le djihadisme.

    Jean Dominique Merchet a défini le djihadisme dans son article du 14 Janvier 2013 (1) comme des gens qui « se battent à découvert, à la loyale ». Cette définition ne peut donc pas s'utiliser contre des preneurs d'otages civils.

    En imputant l'enlèvement des Français à « Boko Haram et Ansaru » sans le moindre élément de preuve, vous prenez le risque de vous décrédibiliser comme analyste. Boko Haram est la forme récente d'un mouvement de résistance au christianisme qui est aussi ancien que l'histoire du Nigéria. Boko Haram est une « curiosité locale » du Nigéria et du bassin du Tchad qui n'a pas grand chose à voir avec les rébellions touarègues et les contestations islamistes au pouvoir algérien. Marc-Antoine Pérouse de Montclos indiquait l'an dernier que « la doctrine de Boko Haram ne correspond pas vraiment au modèle wahhabite: c'est une secte qui endoctrine et a recours à la magie. Certains fidèles de Boko Haram portent des grigris, cela ne ressemble pas vraiment à Al-Qaeda » (2).

    Les touristes ont très bien pu être enlevés par de simples bandits dans une région où les enlèvements d'adultes et surtout d'enfants sont endémiques (3).

    (1) http://www.marianne.net/La-guerre-contre-le-terrorisme--version-Francois-Hollande_a225780.html
    (2) http://www.liberation.fr/monde/01012383436-le-nigeria-est-tres-loin-de-la-guerre-civile
    (3) voir Saibou Issa « La prise d’otages aux confins du Cameroun, de la Centrafrique et du Tchad une nouvelle modalité du banditisme transfrontalier » http://www.polis.sciencespobordeaux.fr/vol13n1-2/issa.pdf

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