jeudi 28 février 2013

Surcouf


Je n’ai pas été associé aux travaux du Livre blanc. Il est vrai qu’on ne voit pas très bien ce que le directeur du domaine Nouveaux conflits de l’IRSEM, think tank institutionnel du ministère de la défense, aurait bien pu y faire. En attendant ce document fondateur pour la rénovation de nos forces armées, il m’est paru intéressant de retrouver un document qui avait suscité l’appel à l’Inquisition à son époque. C’était juste après la sortie du précédent Livre blanc et avant une des grandes défaites de l’histoire de l’armée française (perte d’un sixième des effectifs, désorganisation de l’administration, etc.). Heureusement, ce temps est révolu.

Je précise que non seulement je n'ai jamais eu aucun lien avec ce groupe (je signe toujours mes écrits de mon nom) mais aussi que je n'en partage pas tous les points de vue.

Le Figaro 18 juin 2008

Les éléments de la nouvelle politique de défense qui viennent d'être rendus publics ont été, ce qui est bien normal, présentés par leurs auteurs d'une manière très encourageante. La réalité est quelque peu différente. Personne ne peut, ou ne souhaite, à l'intérieur des armées, mettre en cause les choix politiques du jour. D'abord, ils sont incontestables par nature. Ensuite, le souhait du président de la République, chef des armées, est de disposer d'un instrument militaire plus efficace pour un moindre coût ; de raisonner en termes d'efficacité et non d'équipements de prestige ; de faire preuve de réalisme quant aux menaces ; et enfin de ne se laisser arrêter par aucun a priori dogmatique. Ce souhait ne peut rencontrer que l'approbation de tous ceux qui ont fait le choix de la carrière des armes et qui ont souffert, ces dernières années, de l'immobilisme des institutions de défense. Et, dirions-nous, plus que l'approbation, le désir, avec volonté et discipline, de faire passer ce souhait dans la réalité.

La vérité oblige à dire, cependant, qu'au-delà des déclarations, la volonté présidentielle a été largement dénaturée par ceux, politiques, militaires ou personnalités qualifiées, qui avaient la charge de la mettre en œuvre. Voici pourquoi.

Dès avant l'élection présidentielle et comme le président de la République l'avait bien vu, le système militaire français était à bout de souffle.

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dimanche 24 février 2013

Mali : Veni, Vidi, Vici ! par Hervé Pierre


    Huit bonnes raisons pour parler de victoire 

   V… comme VICTOIRE. L’action des forces armées françaises au Mali est unanimement saluée. Saluée pour la cause défendue : la libération d’un territoire que l’obscurantisme religieux porté par un terrorisme prosélyte menaçait d’occuper. Saluée pour l’efficacité dont ont fait preuve les unités engagées au combat: la situation sécuritaire, désespérée début janvier, s’est renversée en moins d’un mois. Saluée enfin pour avoir obtenu la victoire : victoire tactique contre des terroristes qui n’ont eu d’autre choix que de fuir ; victoire politique en permettant au gouvernement malien de reprendre le contrôle de la partie nord du pays.

I….comme INTERVENTION. Cette victoire mérite d’autant plus d’être soulignée qu’à l’annonce du retrait d’Afghanistan, d’aucuns – entonnant les couplets éculés de «la guerre à distance» ou de «la guerre zéro mort » – chantaient un peu rapidement la fin des interventions armées à terre. « Ce n’est pas avec des troupes au sol qu’on fait progresser un modèle de civilisation », entendait-on encore en août dernier. D’autres, plus idéalistes encore, réactivaient les vieux poncifs de la «fin de l’Histoire» à voir poindre, après les printemps arabes, l’aurore resplendissante de la paix perpétuelle…. mais, à oublier les leçons du passé, il faut se préparer à en recevoir d’autres.

C….comme CADRE D’ACTION. Or en cette période d’intense réflexion stratégique, de la cacophonie générale émergent des hypothèses d’emploi des forces armées qui, parfois, ne manquent pas de surprendre. Certes, les menaces sont pléthore: de l’expansionnisme conquérant de la Chine à l’isolationnisme inquiétant de la Corée du Nord en passant par l’irrationalité présumée de l’Iran nucléaire. Mais peut-on encore avoir peur de tout ? Car, à trop et tout évoquer, on perd l’essentiel, l’immédiat, l’évidence. L’opération au Sahel nous rappelle – s’il fallait – que l’espace méditerranéen reste dangereux : les explosions de violence s’y multiplient sans que leur caractère contagieux soit aisément prévisible.

T…..comme TERRESTRE. L’opération SERVAL c’est d’abord plusieurs milliers de soldats engagés à terre à bord de plus de 200 engins de combat, de l’hélicoptère TIGRE au char AMX 10 RC, en passant par toute la gamme des équipements blindés à roues. La manœuvre aéroterrestre est au cœur de la victoire qui se construit jour après jour à mesure que les forces amies progressent vers le nord. Cette dimension tellurique matérialise les effets concrets de la victoire : foules en liesse pour accueillir les « libérateurs », administrateurs de l’Etat malien qui reprennent possession de leurs prérogatives, réouverture de commerces….

O….comme OPERATIONS. La conquête au sol, notamment la libération des villes, s’est faite en occupant physiquement les points clefs du terrain. C’est tout l’art de la manœuvre qui combine reconnaissance blindée, hélitransport, poser d’assaut ou aérolargage avec pour objectif de contrôler l’espace dans lequel vivent les populations. L’engagement de l’armée de Terre a drastiquement inversé le rapport de forces au sol ; aux petites équipes de forces spéciales se sont substituées des compagnies de combat aux effectifs permettant de « saturer » l’adversaire. Libérées de leurs positions initiales, ces équipes ont pu être redéployées et utilisées à remplir les missions «spéciales » qui sont, comme leur nom l’indique, leur raison d’être.

I…comme INTERARMEES. Bien entendu, les opérations ne peuvent aujourd’hui n’être qu’interarmées. Le BPC DIXMUDE embarquant un groupement terrestre et disposant de moyens pour agir dans la 3ème dimension en offre une illustration modèle réduit. Sur l’immense théâtre d’opérations, cette combinaison aussi intelligente qu’efficace de l’ensemble des moyens disponibles dans les trois dimensions est parfois plus difficile à saisir. Commandos des forces spéciales, pilotes de chasses de l’armée de l’air, équipages de l’aéronavale, soldats du soutien... tous participent d’une même manœuvre, unique, fluide et dynamique.  L’éclairage médiatique est pourtant parfois sélectif et le champ de la caméra évacue nécessairement une part de réalité en cadrant son sujet : il est juste de rappeler que tous – les forces terrestres en font partie – participent pleinement du succès final.

R…. comme REACTIVITE. L’opération n’aurait pu être possible sans la réactivité avec laquelle l’armée de Terre s’est engagée: les forces prépositionnées et le dispositif  d’alerte Guépard en métropole ont démontré toute leur pertinence. En deux semaines, les forces terrestres ont projeté, en bon ordre, un effectif supérieur à celui déployé au plus fort de l’opération en Afghanistan. Sans cette réactivité - sur laquelle le ministre lui-même a récemment insisté, la brèche n’aurait sans doute pas pu être comblée : brèche spatiale, pour tenir dans la durée les accès à Bamako ; brèche temporelle entre la détérioration brutale de la situation et l’arrivée de l’EUTM ou des premières unités africaines de la MISMA.

E….comme EXCELLENCE. Enfin, « j’interviens en premier donc je suis! » écrivait récemment fort justement un journaliste. Si d’aucuns, à l’occasion des travaux de préparation du nouveau Livre blanc, n’hésitaient pas à s’interroger sur la nécessité de  conserver les capacités d’entrée en premier et d’être « nation cadre », les évènements ont répondu à leurs questions. L’opération Serval a confirmé l’aptitude à ouvrir un nouveau théâtre, dans l’urgence, avec une entrée en premier et dans un cadre pour l’instant (presque) strictement national. Condition de l’excellence, « l’entrée en premier » est un gage de crédibilité vis-à-vis de nos alliés, la reconnaissance explicite qu’il faut toujours compter avec la puissance française.

vendredi 22 février 2013

Théâtre de guerre


Les choses paraissaient pourtant claires. Pour une fois depuis….très longtemps, le chef des armées et son ministre de la défense avaient ouvertement annoncé que nous étions en guerre et que cela durerait le temps qu’il faudrait. Visiblement tout le monde n’a pas bien appréhendé ce que cela signifiait. 

On s’est quand même retrouvé avec une famille prenant des vacances près de la zone d’action d’un des proches alliés des gens que nous traquons dans les Ifhoras. On ne peut reprocher à un employé de Gdf-Suez de ne pas être un géopoliticien averti, ce n’est pas le cas du personnel d’ambassade de Yaoundé. Peut-être n’a-t-on pas imaginé que Boko Haram et Ansaru ne se sentiraient pas concernés par notre intervention au Mali. Peut-être a-t-on imaginé que les alliés d’AQMI agiraient comme les nôtres et ne prendraient aucun risque. 

On s’est retrouvé aussi avec quelques médias en manque de scoop et sculptant sur quelques faits saillants. Oui, il est malheureusement normal que les soldats meurent à la guerre, c’est d’ailleurs un peu pour cela que nous avons été créés. Il est heureux d’honorer nos soldats lorsqu’ils tombent, il serait maintenant heureux aussi d’honorer ceux qui vivent, se comportent avec courage et gagnent. Il n’est pas inconvenant non plus en temps de guerre de dire aussi que ceux d’en face sont morts en plus grand nombre que les notres, c’est d’ailleurs le principe premier de l’art de la guerre. Un jour proche j’espère qu’on n’essaiera pas de placer le mot « enlisement » chaque fois que les choses ne vont pas vite. J’espère surtout qu’on ne titrera plus mais « un soldat français tué au Mali » au lieu de « victoire française au sud de Tessalit » et que les seuls noms de soldats français qui apparaîtront à l’écran ne seront pas ceux des morts ou des généraux. Il serait bon par ailleurs, comme je l'ai déjà exprimé ici, que l'institution donne l'exemple d'une vraie communication de guerre. 

On a vu également quelques hommes et femmes politiques oubliant l’intérêt national et l’obligation d’ « union sacrée » au profit d’une promotion personnelle en trouvant forcément quelque chose à redire en étant dans l’opposition ou en en trouvant simplement quelque chose à dire en étant au gouvernement. Dans la guerre moderne, les mots sont des munitions et on vient de s’en tirer quelques-unes dans le pied et même dans le cœur des familles des otages. On raconte que Sun Tsu avait fait simuler la guerre aux concubines de son prince et avait fait couper la tête aux chefs des deux camps lorsqu’elles en avaient ri, histoire de montrer à tous que c’était là chose sérieuse.

Alors oui nous sommes en guerre contre  les Djihadistes et cette guerre, si elle trouve son épicentre actuel au Mali, recouvre au moins le Sahel, si ce n’est le monde. Oui, cette guerre sera longue et nous y subirons des revers et des pertes, y compris parmi la population civile. Oui, nous aurons à tuer beaucoup d’ennemis. Oui, nous devrons faire preuve d'imagination et mener le combat au delà des armes. Oui, nous devons faire taire nos querelles internes, politiques ou corporatistes, pour œuvrer vers la victoire. Oui, nous avons l’obligation de ne pas être la seule nation de l’Histoire à détruire son outil militaire au moment où elle en a le plus besoin. 

jeudi 21 février 2013

La transition stratégique américaine, par Maya Kandel

Cet article a été publié également dans la Lettre de l'Irsem
La réélection de Barack Obama à la présidence des Etats-Unis donne une portée et une validité nouvelles à la directive stratégique de défense (Defense Strategic Guidance ou DSG 2012) parue en janvier 2012, et qui aurait pu disparaître dans les oubliettes de l’histoire en cas de victoire de Mitt Romney. Les Etats-Unis entrent à présent dans une année décisive avec l’élaboration de la prochaine revue stratégique de défense (Quadriennal Defense Review ou QDR), exigence légale quadriennale dont le rapport doit être soumis au Congrès en février 2014. Or la DSG 2012 marquait une rupture avec la dernière QDR, parue en 2010, en tranchant un certain nombre de points que cette dernière avait laissés en suspens.
Autre résultat des élections américaines de novembre 2012, le Congrès demeure divisé entre le Sénat démocrate et la Chambre où les Républicains ont conservé leur majorité. Cette configuration garantit de nouveaux affrontements budgétaires, le premier étant déjà prévu pour mars prochain (relèvement du plafond de la dette, expiration de la loi budgétaire provisoire de six mois), avec le département de la Défense désormais clairement en ligne de mire.
En effet, l’état des forces au Congrès et surtout l’évolution récente du débat au sein de la majorité républicaine (les républicains étant traditionnellement les plus opposés à la baisse des dépenses militaires) montre que le rapport de force entre fiscal hawks (les « faucons du déficit », pour qui l’équilibre des comptes de l’Etat prime sur toute autre considération) et military hawks (les « faucons militaires », hostiles à toute atteinte au budget défense) devient de plus en plus favorable à ceux qui entendent tailler dans le budget fédéral à tout prix. Il est donc possible que le Pentagone fasse les frais du prochain bras-de-fer entre les deux partis et doive absorber environ 40 milliards de coupes supplémentaires sur les six mois restant de l’année fiscale 2013.
La transition stratégique américaine est donc confirmée et engagée. Quelles en seront les incidences sur la posture militaire globale des Etats-Unis ? Quel en sera l’impact sur les doctrines outre-Atlantique ? Sans attendre la publication de la prochaine QDR en 2014, on peut déjà émettre un certain nombre d’hypothèses.
Le tournant de la directive 2012 confirmé
La directive stratégique de janvier 2012 traduisait d’abord l’analyse de l’administration démocrate et particulièrement du président Obama de l’évolution du contexte international, avec le déplacement du centre de gravité du monde vers l’Asie. La « bascule », ou pivot, vers l’Asie, propos principal de la DSG 2012, devrait donc se poursuivre. Elle exprime en effet les préférences de cette administration, mises en avant dès 2009 par le président Obama lui-même (« l’Amérique nation du Pacifique ») – or de nombreux auteurs ont illustré à quel point la politique de sécurité nationale de cette administration est pilotée depuis la Maison Blanche, Obama étant son principal conseiller. Par ailleurs, le pivot vers l’Asie a l’avantage de faire l’objet d’un large consensus bipartisan, une denrée rare à Washington par les temps qui courent.
Mais la directive stratégique était aussi une stratégie répondant à un budget, ou plutôt à une révision de la contrainte budgétaire. La revue stratégique qui a produit le document, et dans laquelle le président s’est impliqué de manière significative et même inhabituelle, a été lancée en septembre 2011, juste après la crise fiscale de l’été 2011 autour du relèvement du plafond de la dette (que les Républicains refusaient en l’absence d’engagements sur une réduction du déficit). Cette crise, rappelons-le, a été résolue par le vote du Budget Control Act d’août 2011, incluant 487 milliards de dollars de baisse sur le budget du département de la Défense, et potentiellement jusqu’à 1000 milliard de dollars de réduction (sur 10 ans).
Les choix présidentiels pour les départements d’Etat et de la Défense confirment ces orientations. Le sénateur John Kerry a déjà insisté lors de son audition de confirmation au Sénat sur l’importance des outils non militaires de l’action internationale des Etats-Unis. Quant à l’ancien sénateur Chuck Hagel, il a fermement pris position pour condamner les excès et la mauvaise gestion au Pentagone, justification de son appui à une réduction du budget du département de la Défense. Celui qui serait, s’il est confirmé par le Sénat, le premier militaire à diriger le Pentagone, n’est pas issu du sérail des experts défense (civils) de Washington, en général plus prompts à défendre un budget défense élevé. Il est même membre du groupe « Global Zero », partisans de l’initiative d’Obama du même nom – ce qui pourrait ouvrir soit dit en passant un nouveau et vaste champ d’économies potentielles si la triade nucléaire américaine devait être remise en cause.
Au-delà du budget et des préférences personnelles d’Obama, les contraintes intérieures ont également pesé sur plusieurs autres éléments déterminants de DSG 2012 :
Les officiels américains s’accordent pour dire que la Chine ne sera pas une menace militaire directe pour les Etats-Unis avant quatre ou cinq décennies. Dans un premier temps, le pivot doit traduire le réinvestissement américain en Asie, avant tout dans les organisations multilatérales régionales (East Asian Summit notamment), auprès de ses alliés traditionnels (Japon, Australie, Corée du Sud) ou renouvelés (Philippines), et par quelques gestes symboliques (2500 Marines à Darwin) ; c’est ce qui explique que le département d’Etat ait été dès 2009 aux avant-postes de sa mise en œuvre. Il permet aussi de sauvegarder la Navy et l’Air Force des restructurations de forces, qui affecteront en priorité l’Army et les Marines. Enfin, il exige la définition de nouveaux concepts doctrinaux, en particulier Air Sea Battle et les stratégies A2AD, qui peuvent servir contre l’autre adversaire étatique potentiel, l’Iran.
Le pivot doit aussi être vu comme la justification positive de plusieurs autres choix essentiels de la stratégie Obama, choix qui risquaient sinon d’être associés au qualificatif moins glorieux de « retrait » :
-          le désengagement d’Irak et d’Afghanistan, deux guerres perdues par l’Amérique,
-          mais aussi, vingt ans après la fin de la Guerre froide, l’accélération du désengagement du continent européen.
Ces retraits répondent aux préoccupations d’une population américaine fatiguée des guerres et de leur coût, et où le sentiment isolationniste n’a jamais été aussi élevé depuis plus d’un demi-siècle ; tous les sondages de ces dernières années montrent des Américains majoritairement opposés à la poursuite de la guerre en Afghanistan par exemple, et majoritairement favorables à une baisse du budget défense. Grâce au pivot, l’Amérique ne se retire pas, elle tourne son regard dans une autre direction.
Conséquence mais en réalité tout autant condition du pivot, l’annonce, toujours dans la DSG 2012, de la fin des grandes opérations terrestres type nation-building et son corollaire, le choix d’une stratégie d’empreinte légère (light footprint), reposant sur l’emploi privilégié des forces spéciales, du renseignement et des frappes de drones. Ces éléments ont en effet l’avantage de se dérouler loin du regard des médias et donc de l’opinion, et, atout supplémentaire, ils permettent de limiter les interférences du Congrès, aspect décisif pour Obama en ces temps de polarisation maximale.
Enfin, derniers éléments essentiels de la DSG 2012, l’insistance sur les partenariats et le transfert d’une partie du fardeau sécuritaire sur les alliés, que ce soit pour des opérations en particulier – à l’image du leading from behind américain en Libye, ou pour les dépenses de défense en général – voir les renégociations en cours en Asie avec le Japon et la Corée du Sud notamment, ou encore le retrait des deux brigades d’Europe et l’insistance sur la smart defense, autre nom du pooling and sharing, censée obliger les alliés à mettre fin à leur dépendance à l’égard de Washington, et si possible à acheter américain dans la foulée.
Le poids des contraintes intérieures
En général, la meilleure garantie contre toute atteinte au budget du Pentagone se trouve au Congrès, chez les nombreux parlementaires directement intéressés par les installations et/ou les programmes du Pentagone dans leur district et auprès de leurs électeurs – ce qu’on appelle le complexe militaro-industrialo-parlementaire (pour une analyse détaillée voir Cahier Irsem sur le Congrès ). Parmi eux, les Républicains sont prépondérants, par idéologie avant tout, mais aussi parce qu’ils sont majoritaires dans les districts et Etats du sud des Etats-Unis, où les industries de défense représentent souvent une part significative de l’économie locale.
Or cette fois les choses pourraient bien se passer différemment. Dès le départ d’ailleurs, la pression sur le budget du Pentagone est venue (indirectement) des Républicains de la Chambre : en reprenant la majorité suite aux midterms 2010, ils ont en effet réussi à imposer à Washington un agenda politique centré sur les questions budgétaires et fiscales. Les Démocrates ont alors exigé et obtenu (pendant les négociations de l’été 2011) que la défense soit mise à contribution au même titre que les autres postes budgétaires, avec une parité entre économies à réaliser sur les dépenses militaires et sur les autres dépenses publiques.
Obama a réaffirmé avec force lors de sa deuxième inauguration (discours du 21 janvier 2013) qu’il défendrait les dépenses sociales. Chez les Républicains, qui ne contrôlent après tout qu’une moitié d’une moitié du pouvoir, de plus en plus de conservateurs fiscaux semblent se résigner à des coupes sur la défense, faute de mieux, pour lutter contre l’augmentation des dépenses de l’Etat – y compris et jusqu’au leadership républicain, puisque le speaker John Boehner multiplie les prises de position en ce sens, secondé ces derniers jours par Paul Ryan. On pourrait même voir des alliances de circonstance entre les plus conservateurs des Républicains, en particulier les partisans isolationnistes de Ron Paul, et les plus libéraux des Démocrates, hostiles à la dimension militaire de la politique extérieure américaine.
Si l’on en croit le vote du 1er janvier 2013 pour éviter la falaise fiscale (American Tax Payer Relief Act), les plus conservateurs et les plus intransigeants des Républicains représenteraient près des deux-tiers du groupe républicain à la Chambre. Ces parlementaires, souvent rattachés à la mouvance Tea Party (ou qui craignent la menace d’un challenger sur leur droite aux prochaines primaires), sont de plus en plus nombreux à admettre que la séquestration constitue leur dernier levier pour lutter contre le déficit budgétaire et sont prêts à imposer des restrictions au Pentagone s’il faut en passer par là.
Il faut bien comprendre que le problème primordial pour eux n’est pas tant la taille du déficit que la taille du budget fédéral. Or la séquestration contient aussi des coupes sur les dépenses sociales, que ce groupe vise en priorité (son objectif est de diminuer la taille du gouvernement). Cette position est dominante au sein du House Republican Study Committee, fief des Tea Party et fraction majoritaire du groupe républicain à la Chambre : on y trouve une coalition d’extrémistes prêts à faire sauter les Etats-Unis (et le système financier mondial) du haut de la «falaise fiscale », et, plus prosaïquement mais plus important aussi peut-être, menace permanente sur le leadership actuel, en particulier le Speaker John Boehner, qui en semble prisonnier.
Il faut également souligner deux faits notables : le renouvellement très important cette année chez les parlementaires spécialisés sur la défense, avec le départ de plusieurs poids lourds notamment John Kyl et Joe Lieberman au Sénat, deux ardents défenseurs du Pentagone ; et le plus important renouvellement au sein de la Commission des forces armées à la Chambre. Les nouveaux-venus auront nécessairement moins d’expertise, et donc peut-être moins de capacités pour protéger le Pentagone. Autre élément révélateur, deux sénateurs ont déjà décliné la présidence de la plus puissante des sous-commissions budgétaires du Sénat, celle de la Défense justement : un fait politique inédit, et qui semble indiquer que les parlementaires eux-mêmes considèrent les coupes inévitables (d’où une moindre incitation à présider la sous-commission, d’ordinaire l’une des plus prisées car responsable d’un budget de plus de 500 milliards de dollars). Le sénateur Dick Durbin, qui va finalement la présider, vient de confirmer qu’il fallait s’attendre à des coupes, « très bientôt ».
Enfin, le Pentagone a entamé la planification des coupes prévues par la « séquestration » : or tous les observateurs américains reconnaissent que le fait de planifier prend souvent valeur de prophétie auto-réalisatrice à Washington.

La nouvelle posture militaire américaine
En somme, les Etats-Unis entament une transition stratégique, déterminée en grande partie par des contraintes intérieures, notamment (mais pas seulement) budgétaires, et qui devrait se traduire par :
-        le début d’un nouveau cycle décennal de décroissance du budget défense (voir l’évolution des dépenses de défense américaine depuis la Seconde Guerre mondiale) ;
-        une posture militaire globale marquée par un certain désengagement américain, ou du moins un engagement plus mesuré (retrenchment) - cf. Libye, Mali ;
-        la confirmation de l’abandon du paradigme des deux guerres majeures simultanées, avec une baisse en conséquence des effectifs de l’Army et des Marines ;
-        le maintien d’une double capacité, en revanche, pour faire face aussi bien :
o   aux guerres régulières ou interétatiques, avec un accent sur la Navy et l’Air Force et un approfondissement doctrinal sur Air Sea Battle et les stratégies pour lutter contre le déni d’accès (A2AD) ;
o   aux guerres « irrégulières » contre des acteurs non-étatiques terroristes, avec l’abandon de la contre-insurrection et du nation-building en faveur d’une stratégie anti-terroriste « à l’israélienne » marquée par l’usage des forces spéciales, des drones et d’une CIA de plus en plus paramilitarisée (contre les acteurs non-étatiques autres que terroristes en réseaux, le DoD privilégie la formation des armées locales, avec une efficacité qui reste à évaluer – cf. Mali) ;
-          enfin, l’insistance sur les alliés et plus largement les « partenariats » pour faire face à des problèmes de sécurité régionale, insistance qui rappelle la doctrine Nixon.
Ces éléments devraient commencer à se traduire par une redéfinition des priorités budgétaires dès mars 2013, si toutefois les parlementaires parviennent à voter un budget en bonne et due forme (ce qui n’est pas gagné, bien qu’ils risquent désormais leur salaire en cas d’échec). Dans le cas contraire, il faudra attendre la QDR 2014 pour voir ces choix confirmés de manière crédible (ou non).
Il est sans doute un peu tôt pour évaluer tout l’impact de cette transition stratégique sur la relation transatlantique. Pour certains comme Barry Posen, elle devrait aller jusqu’au départ des Etats-Unis du commandement militaire intégré de l’OTAN, qui, toujours selon Posen, serait alors transféré à l’UE. Une proposition qui peut paraître prématurée pour l’instant, mais qui surgit par intermittence ces derniers temps à Washington. Quoi qu’il en soit, le tournant exprimé par la DSG 2012 vers des Européens « producteurs de leur propre sécurité » est déjà largement engagé.
Maya Kandel
chargée d’études Etats-Unis / Relations transatlantiques à l’IRSEM

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Livre blanc


On commence à connaitre la conclusion du Livre blanc de la défense : le monde est de plus en plus dangereux dont il faut réduire drastiquement les moyens des forces armées.

samedi 16 février 2013

Dans la langue de mon ennemi… et de mon ami, par François Dickes


« L’apprentissage des langues est aussi important que la maîtrise des armes ».
Général Stanley McChrystal, commandant de l’ISAF de 2009 à 2010.


Depuis 2001, une image s’est répandue à travers le monde, s’affichant sur les écrans de télévision ou en couverture des magazines. C’est celle d’un homme en uniforme, souvent lourdement armé et recouvert d’une carapace de protections balistiques, arpentant une contrée visiblement bien loin de la sienne. Bien souvent, il est flanqué d’un compagnon de voyage à la tenue panachée et au visage parfois dissimulé : son interprète. Cette paire improbable est devenue si familière dans le panorama opérationnel que nous n’y prêtons plus guère d’attention. Elle est néanmoins le symptôme d’une maladie grave qui gangrène les armées occidentales : l’ethnocentrisme. Des conflits tels que l’Irak ou l’Afghanistan l’ont mise en lumière depuis dix ans, en vain. Nous persistons à nous penser en centre du monde, en modèle de pensée universel et universaliste… pourtant, parmi les plus de sept milliards d’humains qui peuplent la planète se trouvent nos ennemis. Ils ne parlent, pour la plupart, ni Français, ni Anglais. Leurs langues natales ont modelé leurs modes de pensée, leur façon de combattre. Nous avons étudié sur des organigrammes et des cartes ce que nous croyons  être l’organisation de leurs forces. Nous avons lu des rapports sur leur doctrine,  leur stratégie. Cela nous donne l’impression de les connaître, voire même pour certains, d’en être des experts. Comment expliquer, alors, que nous ne les ayons pas encore vaincus ?

Toute guerre est une guerre de perception. Or la perception que nous avons de notre ennemi est trop souvent binaire, cartésienne. Dans l’image que nous nous faisons de lui, nous oublions qu’il ne pense pas dans notre langue mais bien dans la sienne et que celle-ci influence la façon dont se structure sa pensée. Cette perception floue ou incomplète fausse les raisonnements. Elle favorise la prise de décisions inappropriées voire même fatales. Les récents conflits d’Irak et d’Afghanistan ont en ce sens confirmé les tendances générales de l’Histoire. Il n’y a cependant là aucune fatalité : de récentes initiatives pour inverser cette tendance  se sont multipliées outre-Atlantique, démonstration d’une prise de conscience et d’une nouvelle approche du rapport à l’ennemi… mais aussi au partenaire.

Chez l’être humain, le langage est une fonction qui s’exprime de façon élaborée principalement par des sons (la parole) mais aussi par des symboles (l’écriture). Cette fonction demeure pour une large part un mystère et suscite encore des querelles d’experts. Sans se perdre dans des explications théoriques qui font toujours débat, il est possible de faire plusieurs remarques soulignant l’impact du langage dans notre quotidien. 1. Le langage est un vecteur permettant de véhiculer des messages, d’exprimer des idées. 2. En cela il permet de transmettre et d’acquérir des connaissances : il est donc un outil d’apprentissage. 3. Il diffère selon la localisation géographique : des milieux et des contraintes variables expliqueraient une évolution différente du langage d’un point à l’autre du globe. Cette grande richesse développée de façon indépendante par l’humanité n’est pas sans conséquences : une idée exprimée dans une langue a parfois du mal à être transcrite dans une autre. De même, l’association idée/son/image varie d’une langue à l’autre. Des expériences comparatives mesurant l’activité cérébrale de deux sujets parlant des langues distinctes et auxquels l’on demandait d’écrire un même mot ont donné des résultats différents. En conséquence, si la langue a une influence sur la structure de la pensée, mieux vaut avoir une idée de la façon dont s’exprime l’autre pour mieux comprendre comment il pense. Cette idée trouve très tôt une application militaire et stratégique dans les luttes de pouvoir entre Etats. En Chine, dès la période des Printemps et Automne (722-481 avant JC), des espions talentueux infiltrent la cour de principautés rivales parce qu’ils parlent parfaitement la langue de leur ennemi. Dans certains cas, ce talent leur donne un accès direct au prince dont ils saisissent la subtilité du parler, mais aussi de la pensée. Plus près de notre époque, la langue rare est devenue un moyen de codage : ne pas la connaître prive d’accès à la compréhension des plans de l’ennemi. L’utilisation du dialecte Navajo par l’armée américaine pendant la Guerre du Pacifique est désormais célébrée au cinéma. D’autres exemples plus récents d’utilisation de dialectes montagnards montrent que cette méthode simple n’est pas dépassée. Malgré ces signaux forts de l’Histoire, le début du XXIème siècle a montré de graves carences dans la prise en compte du facteur linguistique et en particulier de son volet humain dans les problématiques de Défense.

Les attentats du 11 septembre 2001 et les évènements qui suivirent en ont fourni la plus terrible illustration. La faillite du renseignement dénoncée par les rapports officiels publiés au lendemain des attentats s’explique en partie par une carence en linguistes. Un tiers des conversations liées aux attaques du 11 septembre et interceptées par les services américains ne purent être traduites en temps utile. Selon le chercheur Benoit Dupont, Washington avait prioritairement investi dans des outils technologiques permettant de collecter des données mais pas dans les traducteurs susceptibles de les déchiffrer. Cette information fut confirmée par un ancien cadre du FBI : à la veille du 11 septembre, alors que la menace terroriste jihaddiste était une priorité du service, l’appareil fédéral ne comptait qu’une quarantaine d’arabisants et moins d’une trentaine de persanophones. L’agent spécial Ali Soufan, qui travaillait alors à la cellule antiterroriste du FBI, explique que les agents de son service capables de comprendre l’Arabe se comptaient sur les doigts d’une main. Dans son ouvrage The black banners, il décrit comment des prisonniers de premier ordre tels qu’Abu Zubaydah furent confiés à des interrogateurs ne parlant pas l’Arabe ou n’ayant aucune connaissance du Moyen-Orient ni de l’Islam. L’intervention de 2003 en Irak montre des carences similaires. Pendant la majeure partie de la guerre, du fait du manque de personnel formé, les forces américaines ne purent relever le défi de la barrière de la langue, ce qui eut des conséquences dramatiques sur le déroulement de la campagne. Selon l’ancien ministre de la Défense irakien Ali Allawi, même les officiers de la coalition présentés comme bilingues peinaient à se faire comprendre. L’utilisation d’interprètes devint indispensable. Le recrutement local d’un certain nombre d’entre eux eut parfois des effets contre-productifs et des suites inattendues : ainsi, lors du retrait de ses troupes d’Irak, le Danemark dut, pour des raisons de sécurité, donner l’asile à 700 traducteurs irakiens, c'est-à-dire autant que le nombre de militaires que comptait le contingent danois.

Dans les rangs américains, ces échecs ne sont pas restés sans suite. Sous l’impulsion de chefs militaires sensibilisés à la nécessité de prendre en compte le facteur culturel et linguistique, une nouvelle approche s’est imposée. Après des années de tâtonnement, le Département de la Défense a adapté les outils déjà existants à ses besoins et s’est doté de nouveaux programmes en vue de limiter les effets des lacunes culturelle et linguistique de ses militaires. Les projections en Irak ou en Afghanistan sont désormais précédées d’une initiation sanctionnée par un test de compétence. Le niveau est mis en adéquation avec la fonction tenue. L’un des acteurs majeurs de cette nouvelle approche est un organisme interarmées, l’Institut des langues de la Défense de Monterey en Californie. Véritable université linguistique des armées, Monterey dispose d’un vaste choix de formations, dont des enseignements à distance et répond même à des demandes sur court préavis comme ce fut le cas lors des derniers séismes au Japon. De son côté, le corps des Marines s’est doté d’un outil sur mesure, le Center for Advanced Operational Culture Learning ou CAOCL, qui prend en compte tant le facteur culturel que linguistique. Les zones d’intérêt de ces deux organismes dépassent désormais l’Irak et l’Afghanistan et prennent en compte des espaces tels que l’Afrique subsaharienne francophone et bien au-delà. Les promotions issues de ces deux établissements ont d’ores et déjà été engagées en opération. Elles ont en partie armé les contingents de l’initiative Afghan Hands voulue par le Général Stanley McChrystal lorsqu’il commandait la force internationale d’assistance à la sécurité en Afghanistan. Mis en œuvre en 2010, le programme Afghan Hands, également connu sous l’acronyme AfPak Hands, a l’ambition de former des interfaces humaines entre les autorités Afghanes (civiles et militaires) et la coalition internationale. Instruits en langue Dari ou Pashto et sur la culture afghane, les Afghan Hands ont vocation à occuper sur le long terme (plusieurs années) des emplois réservés en relation avec l’Afghanistan. Immergés dans un environnement non-américain, parlant la langue de leurs partenaires, ils sont l’expression de la compréhension de l’importance du facteur linguistique dans la préparation et la conduite des opérations.

Souvent négligé, le facteur linguistique a prouvé qu’il pouvait de façon inattendue se révéler crucial. Il suffit de constater certaines incompréhensions autour de l’Anglais entre alliés de l’OTAN en opérations pour en être convaincu. Outil de puissance tourné vers l’outre-mer, l’armée française a très longtemps pris en compte les langues rares et a formé son personnel en vue du contact avec les populations. Avec la disparition inéluctable de l’empire colonial, une partie de cet héritage s’est perdu. Il n’y a pas là motif à se morfondre dans la nostalgie mais à regarder une certaine réalité en face : malgré la vision critique que nous avons parfois de nos alliés, nous ne sommes pas à l’abri d’être confronté à ce que d’autres ont payé cher pour en avoir fait abstraction. Notre ennemi ne pense pas dans notre langue, mais bien dans la sienne. Tout comme notre ami…

Sources :
Ralph D. Sawyer, The Tao of Spycraft-  intelligence theory and practice in traditional China , Westview, 2004.
Ali H. Soufan & Daniel Freedman, The Black Banners, W.W. Norton & Co. 2011.
Ali A. Allawi, The occupation of Iraq, winning the war, losing the peace, Yale University Press, 2007.
 Mathieu Guidère, Irak in Translation ou de l’art de perdre une guerre sans connaître la langue de son adversaire, Editions Jacob-Duvernet, 2008.
François Dickes, Les langues au service de l’opérationnel, l’exemple de l’institut de Monterey.

mardi 12 février 2013

Nos héros réussiront-ils à retrouver leur ami mystérieusement disparu en Afrique ?


Avertissement : ce billet contient de l'ironie.

« A quoi sert-il de gagner des batailles si l’univers ne le sait pas ? »
Général de Lattre de Tassigny, Hanoï, 1951.

Vous êtes sans doute, comme moi, saturés de ce flot d’images venues du Mali.

Certes, vous avez frémi en sautant, en direct et caméra au casque, au-dessus de Tombouctou avec les légionnaires ;  vous vous êtes sentis angoissés lors du poser d’assaut sur Gao, coincés entre deux paras prêts à bondir du Transall pour s’emparer de la piste de Gao ; vous avez souffert avec les marsouins de la « croisière noire » remontant le long du Niger ; vous avez été émus par les « vive la France » et les drapeaux tricolores des Maliens alignés le long des pistes ; vous avez été impressionnés par la puissance qui se dégage du Tigre et par les innombrables images de frappes aériennes, de carcasses de pick-up ou de sites détruits avec précision.

Certes, ce n’est pas tous les jours que la France « tient son rang » et  libère des populations entières d’une tyrannie imbécile ; ce n’est pas tous les jours non plus que l’armée française peut témoigner de son audace, de sa réactivité et de sa souplesse manœuvrière face, par exemple, à des Américains qui en seraient encore à créer un « camp » pour accueillir 250 hélicoptères d’assaut. Le French bashing en a pris un bon coup chez nos alliés éblouis.

Certes, l’occasion était trop belle à nos armées pour démontrer au reste de la nation française que l’argent investi en elles ne l’avait pas été en vain et qu’alors que nous sommes, avec le Royaume-Uni, la seule nation européenne à encore avoir le courage de faire la guerre quand il le faut, il serait dangereux de baisser la garde.

Certes, certes…mais trop c’est trop. Plus possible d’ouvrir la télé sans tomber sur les journalistes embarqués dans les sections-com, ces unités de combat dédiées à l’accompagnement et à la protection des journalistes au plus près des combats. Pas un pas sur Internet sans tomber sur des documents valorisant nos soldats, expliquant la position de la France dans toutes les langues et noyant d’images positives les chasseurs de scandale. Les points clés de Google, You tube et autres réseaux sociaux ont été occupés dès le premier jour de l’opération Serval par le groupement tactique-Internet et ses innombrables geeks-réservistes. Difficile dans ces conditions d’avoir des images discordantes. J’ai entendu parler d’une photo d’un soldat portant un masque avec une tête de mort. Elle a eu une durée de vie d’une minute. Un pseudo reportage sur de soi-disant exactions à Sévaré a été démonté en cinq minutes.

Il faut saluer malgré tout et pour conclure une campagne de communications bien pensée, imitant ce qui se fait de mieux dans le monde. On notera notamment la manœuvre subtile consistant à associer la communication institutionnelle et les francs-tireurs selon le vieux principe du levier qui veut que plus on paraît à la fois loin et compétent et plus sa parole a de la force. Pas un jour sans que je ne reçoive discrètement des informations, des messages à faire passer ou des idées de slogan. On montre ainsi que les militaires sont encore les meilleurs experts de leur propre métier face aux poly-spécialistes de plateaux.  On m’a proposé de m’aider à écrire un livre mais je n’ai pas le temps et puis j’attends impatiemment le récit exhaustif qui sera fait par l’équipe d’historiens-militaires qui accompagne les forces sur place. J’ai appris aussi qu’un wargame, deux romans et huit documentaires étaient en préparation avec l’aide du ministère. Plusieurs producteurs de cinéma ont été également accueillis à bras ouverts.

….

J'ironise bien sûr. Tout cela est dans mes rêves. La « manoeuvre de la communication » est loin d'être à la hauteur de la manoeuvre opérationnelle. Bigeard est bien mort et moi j’attends à tout moment une nouvelle fatwa de l’EMA

dimanche 10 février 2013

Gagner une guerre aujourd'hui- Colonel Stéphane Chalmin (dir.)


Gagner une guerre aujourd'hui est la réunion des réflexions de dix-neuf praticiens et experts, civils et militaires, Français ou étrangers, sur le thème du rapport entre les démocraties modernes, la France en particulier, et la guerre dans le monde de l’après-Guerre froide. Ce travail de longue haleine est l’œuvre du colonel Stéphane Chalmin, actuel chef de corps du Centre militaire de formation professionnelle de Fontenay-le-Comte, et dont il faut saluer la persévérance.

Le projet du colonel Chalmin, était « d'analyser un paradoxe : les armées gagnent des batailles mais les résultats diffèrent des objectifs fixés par les différentes parties. C'est une façon de questionner le rôle de l'Etat qui dispose d'un outil mais dont la volonté finale reste fluctuante. Pour qui, pourquoi nous battons-nous? Au final, les guerres donnent l'impression de ne pas pouvoir être gagnées ».

Le résultat, comme il est possible de le constater en lisant le sommaire, est riche et varié. Il précède évidemment l’opération actuelle au Mali dont le contraste avec la manière dont les opérations étaient conduites depuis la fin de la guerre froide témoigne justement du bien-fondé des doutes qui y sont souvent exprimés.

Ce qui me font l’amitié de me lire sur ce blog reconnaîtront les idées que j’y expose dans un article qui reprend une conférence donnée il y a deux ans et qui m’avait valu les foudres de ma très haute-hiérarchie. J’osais dire, à l’époque, que les réformes en cours dans les armées avaient un objet purement  économique et qu’elles pouvaient engendrer des coûts humains qui compenseraient sans doute les quelques gains budgétaires obtenus en supprimant des dizaines de milliers de postes et en « rationalisant» à tous crins.  

A lire de toute urgence.
Gagner une guerre aujourd'hui, Economica, 192 pages, 23 €.

Introduction générale
L’impuissance de la puissance militaire
Préambule du Général Vincent Desportes
Les forces morales, Alain de Benoist.
La France peut-elle encore gagner une guerre ?, Colonel Michel Goya

La nature des opérations a profondément changé
La place des guerres urbaines, Antonin Tisseron
La place du droit dans les guerres, Michel Deyra
Les limites de l’approche globale en Afghanistan, Olivier Hubac

Un environnement bouleversé
Les défis d’un monde polycentrique et déséquilibré. De l’Europe à
l’Occident, Jean-Sylvestre Mongrenier
La société civile et la guerre, Jean-Jacques Roche
De la guerre à l’intervention, de la victoire au succès, Christophe
Wasinski

Une légitimité remise en question
L’avenir de la guerre et des armées, Dominique Venner
Le Front moral de la guerre, Louis Gautier
Armée et démocratie : le réquisit d’une raison éthique consolidée,
Cynthia Fleury
Le « déni de la mort » dans les sociétés modernes occidentales et ses
conséquences sur la vision de la guerre, Frédéric Coste

Les acteurs doivent s’adapter pour obtenir la victoire
Gagner par l’artefact ? Le rôle de la technique dans la victoire, Joseph
Henrotin
Agir militairement en Afrique, GCA Jean-Paul Thonier
La régénération des nations. Schwitzer werden - la voie suisse –
Swissbollah, Bernard Wicht
L’introuvable patrie, Raymond Boudon
La force des démocraties, Élie Baranets
Les démocraties savent-elles encore gagner les guerres ?, Jacques Sapir

jeudi 7 février 2013

Enduring Serval

Version modifiée le 9 février 2013

Le voyage du Président de la République au Mali, le 2 février, a marqué symboliquement la fin de la phase de reconquête des villes du fleuve Niger et la scission de l’opération française en deux directions nettement séparées : stabilisation et, faute de meilleur qualitatif, contre-terrorisme, dans deux cadres géographiques séparés. Ces deux nouvelles opérations comportent des risques spécifiques et des logiques différentes qui peuvent par ailleurs se contredire.

Plus qu’avec les expériences en Bosnie et au Kosovo, où une longue phase de stabilisation sans ennemi succédait à une courte phase de combat, la situation ressemble plus à celle de l’Afghanistan au-début de 2002 lorsque les Américains, et quelques troupes alliées, poursuivaient le combat le long de la frontière avec le Pakistan tandis que se constituait à Kaboul la Force internationale d’assistance et de sécurité. La situation apparaissait alors également comme une belle victoire américaine, au moins partielle, et l’avenir s’annonçait favorable jusqu’à ce que plusieurs erreurs stratégiques soient commises.

La première fut d’avoir confondu l’hôte et le parasite, c’est-à-dire les Taliban et Al Qaïda, et d’avoir continué à combattre les premiers tandis que les seconds avaient quitté le pays et continuaient à agir en réseau transnational. L’organisation, locale, des Taliban, renforcée par le Pakistan et la présence même de la Coalition, s’est finalement réimplantée dans les provinces pashtounes jusqu’à engluer les forces étrangères. La seconde erreur fut d’avoir engagé un projet très ambitieux de transformation du pays tout en le faisant reposer sur des bases fragiles comme l’alliance initiale avec les seigneurs de guerre ou la mise en place d’une constitution à l’américaine paralysante. L’aide économique, à la fois massive et dispersée, a ensuite autant permis le développement de la corruption (et donc rendue encore plus séduisants l’offre administrative talibane « honnête ») que de celui des services sociaux ou éducatifs. La compensation de ces erreurs initiales a alors imposé un engagement croissant de ressources afin de tenter de dépasser les effets négatifs que cette même fuite en avant engendrait. Cette spirale afghane est actuellement dans l’esprit de tous même si personne ne l’évoque ouvertement pour le Mali.

Le scénario prévu au Mali est celui d’une relève rapide des forces françaises par les quatre bataillons de la Mission internationale de soutien au Mali (MISMA) afin d’assurer la sécurité des villes le long du fleuve Niger au moins jusqu’à la tenue des élections prévue en juillet prochain, première étape vers une normalisation politique. Ce scénario présente de nombreuses inconnues comme les délais de mise en place et l’efficacité de la MISMA puis de l’armée malienne, la capacité locale à mettre en place des institutions et une culture politique stables ou encore la possibilité d’une paix durable avec les Touaregs. Ce processus est également à considérer dans un ensemble régional tourmenté par des lignes de fracture anciennes mais aussi les effets de la mondialisation (affaiblissement des Etats et des services publics),  des évolutions climatiques (désertification) et politico-idéologiques du monde arabe ou l’importance croissante du commerce de la drogue. La stabilisation du Mali et plus largement du Sahel est une œuvre de longue haleine, peut-être même une œuvre de Sisyphe.

Dans ce processus, plusieurs types d’adversaires armés peuvent apparaître. Face aux forces françaises ou à des forces africaines cohérentes, c’est-à-dire probablement aidées par les Français, les organisations djihadistes peuvent difficilement mener des attaques classiques sans être détruites. Elles peuvent en revanche pratiquer une stratégie de harcèlement contre des objectifs militaires ou civils, à l’aide de procédés asymétriques classiques comme les attaques suicides, les engins explosifs, le sniping ou les tirs de roquettes ou autres à inventer. A plus long terme, la persistance simultanée de la présence française et du désordre peut engendrer des anticorps nationalistes comme le toujours influent capitaine Sanogo, organisateur du coup d’état du 22 mars, et opposant à la fois à la présence française et à une classe politique locale parmi les plus corrompus d’Afrique. On ne peut exclure non plus que les djihadistes ou radicaux islamiques locaux ne trouvent des soutiens dans les protestataires « à peaux noires » jusqu’à former de nouvelles organisations armées à assise locale. Il ne faut pas oublier enfin les organisations armées touaregs toujours promptes à la rébellion. La réponse française à ces menaces réside sans doute à réduire la prise locale aux différentes sources d’hostilité par une présence réelle mais légère et une organisation en réseau transnational à partir de nos bases et points d’appui régionaux, de nos équipes de conseillers et d’éléments d’intervention de forme et de taille variable, civils et militaires.

Pendant ce temps la guerre « contre le terrorisme » se poursuit dans l’extrême nord du Mali avec des critères de victoire plus flous que pour la libération des villes de la boucle du Niger. Le combat s’arrêtera-t-il lorsque les otages seront libérés ? Les mouvements touaregs amenés à la paix ? Les organisations djihadistes détruites ? Rien n’a été précisé et c’est sans doute mieux car ainsi on ne se lie pas à des objectifs ambitieux dont la non-réalisation pourrait passer pour une défaite. Pour autant, à moins de se lancer dans une guerre éternelle, il faudra bien justifier positivement un jour l’arrêt de cette opération.

Ces deux opérations sont désormais disjointes mais elles ne peuvent manquer de s’influencer. La stratégie d’étouffement des rebelles dans le Nord s’effectue pour l’instant avec un remarquable « complexe reconnaissance-frappe » frappant les indispensables nœuds logistiques (les dépôts de carburant) et les transmissions tout  en empêchant tout mouvement important. Cette paralysie par le ciel doit cependant s’accompagner d’un étouffement par le sol, notamment en cloisonnant les massifs de Timetrine, très isolés, et surtout du nord des Ifoghas face au Hoggar algérien, par l’occupation des vallées de l’Azawak et du Tilemsi. C’est sans doute, aidés de conseilleurs et de forces légères française, le rôle prévu pour les 1 800 soldats tchadiens arrivés à Kidal mais la vraie interrogation est celle de l’alliance avec les Touaregs.

L’intérêt opérationnel de cette alliance est évident puisqu’en ne confondant pas l’hôte et la parasite, on ne se lancerait pas dans une guerre difficile. Elle permettrait aussi d’isoler encore plus AQMI et le MUJAO et de disposer d’auxiliaires très précieux pour barrer la frontière et aider à aller chercher les djihadistes dans les vallées encaissées et les grottes. Ce serait cependant remettre en selle ceux-là même qui ont déclenché la crise du début de 2012 et accepté la présence des djihadistes au Mali. Bien entendu une telle alliance avec les « hommes bleus », et l’exclusion de l’armée malienne de la région Nord ne peut que susciter de fortes réticences de la part de tout gouvernement malien ainsi que d’une bonne partie des populations locales et nourrir le ressentiment. 

Les deux opérations menées en parallèle sont condamnées à la réussite, et à la réussite rapide si possible. Que l’une d’elle échoue ou tarde à produire des résultats et c’est l’ensemble qui risque d’en pâtir. La victoire au Mali se joue dans les mois qui viennent.

Merci à Paul-Pierre Valli, grand connaisseur de la guerre nomade et de l'Adrar des Ifhogas.

vendredi 1 février 2013

Obama et Bamako-L’implication discrète mais croissante des Etats-Unis en Afrique-par Maya Kandel


L’Afrique subsaharienne est longtemps restée absente, ou bonne dernière, des priorités stratégiques américaines. Il faut attendre les attentats de 1998 contre les ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie, puis surtout les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, pour voir l’Afrique figurer parmi les intérêts américains en devenant un front de la « guerre globale contre la terreur ». Cette évolution est entérinée en 2007 avec la création d’un commandement militaire pour l’Afrique, pour la première fois dans l’histoire américaine, AFRICOM.

Le positionnement militaire américain en Afrique repose sur la coopération avec les pays partenaires (la quasi-totalité des Etats africains), à travers des programmes régionaux et des accords bilatéraux. L’objectif principal est d’aider les armées locales à développer leurs capacités. Les effectifs américains déployés en Afrique représentent environ 5000 hommes, avec des variations en fonction des opérations en cours. L’essentiel de ces moyens est déployé à Djibouti sur la base de Camp Lemonnier (2500 hommes), également la principale base de drones américains (il en existe aussi aux Seychelles et en Ethiopie ; d’autres bases plus « classiques » pourraient accueillir des drones dans l’avenir). Mais le continent africain est également parsemé de « mini-bases » que l’on retrouve dans un grand nombre d’Etats africains, en particulier dans la zone qui va du Golfe de Guinée à la Corne de l’Afrique. Emblématiques du changement d’époque, d’adversaire et de conflit que nous vivons actuellement, elles se résument le plus souvent à un hangar quelconque, une poignée de soldats et quelques petits avions de tourisme truffés d’électronique. Le Pentagone a baptisé ces nouveaux avant-postes de la présence américaine globale de « lily-pads », nénuphars – un doux nom qui en dit long, si l’on songe qu’en général, quand il y a des nénuphars, il y en a beaucoup et ils finissent par tout recouvrir.

La mission principale du Pentagone en Afrique est la lutte contre les groupes terroristes islamistes de la Corne de l’Afrique (Somalie) et de la péninsule arabique (Yemen), à travers deux types d’actions : formation et entraînement des forces africaines locales et actions directes des forces américaines par l’emploi des drones armés et des forces spéciales. Le Sahel est également un enjeu depuis 2002 : le Trans-Sahara Counter-Terrorism Partnership, sous la bannière de l’opération Enduring Freedom, vise à combattre et défaire les organisations terroristes opérant au Maghreb et au Sahel, en partenariat avec une dizaine de pays de la région (Mali, Tchad, Niger, Mauritanie, Algérie, Burkina Faso, Maroc, Nigeria, Sénégal, Tunisie), pour un budget annuel d’environ 100 millions de dollars ; le Mali constituait jusqu’en 2012 une pièce maîtresse de ce dispositif. Par ailleurs, le programme américain IMET (International Military Education and Training) forme les militaires des pays partenaires dans les académies américaines : le Mali en a bénéficié, y compris l’auteur du coup d’Etat de l’an passé, le Capitaine Amadou Sanogo, fait abondamment relevé dans les médias.

Washington est l’un des plus importants donateurs d’aide bilatérale au Mali, notamment (mais pas seulement) militaire, assistance interrompue depuis le coup d’Etat de mars 2012 en vertu d’une loi du Congrès (247 millions de dollars d’assistance bilatérale américaine au Mali suspendus, 119 millions d’aide humanitaire versés). Officiellement toute assistance militaire américaine à Bamako a cessé depuis. Mais pendant l’été 2012, un accident sur le fleuve Niger a provoqué la mort de trois militaires américains, au profil très « forces spéciales » et dont la présence au Mali n’a pas réellement été expliquée par Washington. Toujours pendant l’été, une frappe (de drones ?) aurait provoqué la mort de plusieurs djihadistes dans le nord du pays. Une réunion « secrète » a d’ailleurs eu lieu à la Maison Blanche à l’automne 2012 pour envisager des frappes contre AQMI au nord Mali, alors qu’au même moment Susan Rice qualifiait de « crap » (« foutaises ») les propositions françaises pour le Mali à l’ONU.

Au début de l’opération Serval (François Hollande a informé Barack Obama la veille du début des opérations), le soutien américain a d’abord été qualifié de « minimal » des deux côtés. Certes, le secrétaire à la Défense d’alors, Leon Panetta, a fermement déclaré dès le début de l’opération française qu’il était « de la responsabilité américaine de soutenir la France dans sa lutte contre les islamistes ». Et au Congrès, plusieurs voix, notamment républicaines et non des moindres (en l’occurrence les présidents des puissantes commissions du renseignement et des affaires étrangères), se sont élevées pour appeler à un soutien plus ferme de la France et condamner l’attitude jugée trop timorée de la Maison Blanche. Mais le frein est venu de la Maison Blanche avec en particulier l’interdiction faite à Panetta de faire escale à Paris en janvier, alors même qu’il était en tournée en Europe, de peur que ce passage ne soit interprété comme un soutien américain trop appuyé à la France. Au-delà de l’argument légal mis en avant par le département d’Etat (en raison du gouvernement non légitime à Bamako car issu d’un coup d’Etat), la réticence américaine est celle du président Obama, qui n’entend pas engager militairement l’Amérique dans un nouveau conflit, alors que le retrait d’Afghanistan est à peine engagé (plus de 60 000 soldats américains sont encore sur place) et que le président a déclaré avec force lors de son discours d’inauguration en janvier 2013 « qu’une décennie de guerre allait prendre fin ».

Le faux-pas de la non-visite de Panetta a été réparé par le vice-président Joe Biden, venu le 3 février à Paris féliciter le président Hollande pour son « action décisive » au Mali, et réaffirmer le soutien de Washington à l’opération Serval (ravitailleurs, carburant, avions espion, renseignement). Depuis, le nouveau secrétaire d’Etat John Kerry s’est également rendu deux fois à Paris pour évoquer, entre autres sujets, la question du Mali. Entre-temps aussi, la prise d’otages d’In Amenas en Algérie a conduit à une réévaluation de la menace d’AQMI outre-Atlantique, et les auditions se sont multipliées au Congrès sur les questions de sécurité africaine. L’ex-secrétaire d’Etat Hillary Clinton a ainsi déclaré aux sénateurs américains qu’il « devenait nécessaire d’accorder beaucoup plus d’attention à AFRICOM et aux capacités en Afrique ».

Il est évident que Français et Américains ont des objectifs communs objectifs au Mali et au Sahel. Derrière le flottement initial, il faut surtout voir le souci américain de ne pas apparaître au grand jour comme un « cobelligérant » dans le conflit malien. Le soutien des Etats-Unis à la France n’en est pas moins conséquent, en particulier dans le domaine du renseignement avec la mise à disposition de drones non armés (Reapers) opérés depuis la nouvelle base américaine installée au Niger ; les installations américaines au Burkina Faso jouant très certainement aussi un rôle actif. Les Américains étant avant tout des gens très pragmatiques, ils cherchent maintenant à juger de l’efficacité de la « French way of war » combinée à leur propre préférence actuelle pour une approche indirecte, minimisant la présence américaine sur place, d’une crise qui les concerne aussi. En ce sens, le conflit malien ouvre de nouvelles voies de coopération franco-américaine.

Vous pouvez suivre Maya Kandel sur Twitter : mayakandel_

Sources :
Lauren Ploch, Africa Command: U.S. Strategic Interests and the Role of the U.S. Military in Africa, Congressional Research Service (CRS), July 2011.
Lauren Ploch, Countering Terrorism in East Africa: The U.S. Response, Congressional Research Service (CRS), Novembre 2010.
Alexis Arieff, Crisis in Mali, Congressional Research Service (CRS), January 2013.
Craig Whitlock, “U.S. expands secret intelligence operations in Africa”, The Washington Post, June 14, 2012 et Craig Whitlock, “Mysterious fatal crash offers rare look at U.S. commando presence in Mali”, The Washington Post, July 9, 2012.
Greg Miller and Craig Whitlock, “White House secret meetings examine al-Qaeda threat in North Africa”, The Washington Post, October 01, 2012.
Adam Entous, Julian E. Barnes, Drew Hishaw, “Mali Exposes Flaws in West's Security Plans”, The Wall Street Journal, January 23, 2013.
David E. Sanger, Confront and Conceal: Obama’s Secret Wars and Surprising Use of American Power, New York: Crown Publishers, 2012.
Steven Erlanger, “The French Way of War”, The New York Times, January 19, 2013.