mercredi 17 octobre 2012

Les conséquences stratégiques des élections américaines (2/2)-Maya Kandel

2e partie : Contrainte fiscale et budget militaire

Déficit budgétaire, crise de la dette, séquestration, quelques rappels et quelques chiffres s’imposent : ils clarifient les contraintes sur le budget défense des Etats-Unis et illustrent pourquoi cette élection est une élection-choix de société.

Déficit budgétaire et dette publique

Le déficit budgétaire américain est supérieur à 8% du PIB, la dette atteint 100%. Concernant le déficit, même s’il a été élevé sous Reagan (jusqu’à 6% en 1983), les seuls moments historiques avec un tel niveau correspondent à la guerre de Sécession et aux deux guerres mondiales. Pour la dette, ce niveau a été atteint aussi pendant la Seconde Guerre mondiale, suivi d’une décroissance ensuite, pour repartir à la hausse sous Reagan, puis sous Bush fils (Clinton avait fini son second mandat sur un surplus budgétaire).
Le problème, c’est l’aspect structurel du déficit : les dépenses publiques sont à 24% du PIB, les recettes à 17%, soit dans les deux cas des niveaux historiquement haut et bas respectivement. Ces chiffres expriment deux problèmes majeurs : l’augmentation en partie structurelle des dépenses « sociales » alors que les prélèvements obligatoires ont atteint un niveau historiquement bas et représentent aujourd’hui 24% PIB (l’un des plus bas niveaux de l’OCDE). Les économistes s’accordent pour penser qu’il faut réduire ce déficit.
Le budget de la défense se situe aux environs de 4% du PIB, suivant que l’on prend en compte le budget opérations ou non, ce qui paraît soutenable. Cela représente entre 15 et 20% du budget fédéral. Mais, et c’est là le problème et ce qui explique qu’il soit devenu une « variable d’ajustement », il représente la moitié des dépenses discrétionnaires, soit les dépenses votées chaque année par le Congrès.
Un bref rappel sur la structure du budget et des dépenses fédérales : les Américains distinguent deux types de dépenses,
- les dépenses obligatoires ou automatiques (retraites, sécurité sociale pour les plus âgés et les plus pauvres, programmes d’aide de l’Etat comme les food stamps) dépendent de lois existantes et sont reconduites chaque année de manière automatique. Elles sont en augmentation structurelle pour des raisons démographiques et de coûts des traitements médicaux. Aujourd’hui ces dépenses représentent plus de 60% du budget de l’Etat fédéral ;
- il reste donc 40% pour les dépenses discrétionnaires, celles dont les niveaux sont fixés chaque année par les lois de budget (« appropriations ») votées par les parlementaires du Congrès. Elles concernent donc la défense (la moitié de ces dépenses), mais aussi la diplomatie, l’aide extérieure, l’éducation, la justice, la recherche etc.

Le budget défense en perspective :

Il a doublé sur la décennie 2000.
En dollars constants 2012 et en comptant le budget opérations (coût des guerres), il a dépassé dès 2005 le maximum post-1945 qui correspondait à la guerre de Corée.
En points de PIB, la moyenne post-9/11 est de 4,1% donc faible historiquement pour les Etats-Unis (on était à près de 10% à la fin des années 1960 au moment du Vietnam).
La décroissance engagée par Obama est aussi à relativiser, car elle doit provenir pour beaucoup de la baisse du budget opérations, de la réduction des effectifs de 100 000 hommes, ainsi que de l’arrêt de quelques programmes, et de l’espoir de gains d’efficacité sur le fonctionnement du premier employeur des Etats-Unis, le Pentagone. Il est prévu une baisse de 8% du budget de base de 2012 à 2013 (pour l’instant on est encore sur une reconduction du budget 2012 pour 6 mois car les parlementaires ne se sont pas mis d’accord à temps), suivie à partir de 2013 d’une augmentation à un rythme légèrement supérieur à l’inflation. Surtout, sont préservés la recherche, les opérations spéciales, les drones, le cyber, mais aussi la Navy et l’Air Force. On est en réalité dans un rythme de décroissance inférieur à d'autres fins de guerre y compris les guerres de Corée et du Vietnam.
Il faut tout de même noter que le plan Obama tend finalement vers un budget défense à 3% du PIB, alors que Romney vise un budget à 4% du PIB, c’est du moins dans son programme.

Quel choix de société ?

Pour revenir à ce qui était évoqué plus haut, en quoi est-ce une élection choix de société ?
Parce que démocrates et républicains n’ont pas la même perspective sur la manière de lutter contre le déficit. Les démocrates veulent un mix entre réductions des dépenses publiques (sociales, militaires) et augmentation des revenus par une réforme fiscale y compris des hausses d’impôts (sur les plus aisés). Les républicains refusent toute hausse d’impôts même par suppression des niches et autres déductions qui sont pléthores aux Etats-Unis. Du coup, les démocrates refusent de s’attaquer à la réforme des dépenses publiques obligatoires. D’où le blocage actuel et cette pratique de la politique « au bord du gouffre » qui caractérise les Etats-Unis depuis quelques années. La fin de cette année devrait en donner une nouvelle illustration.
Il y a là un vrai blocage idéologique, qui illustre aussi une différence culturelle profonde entre les deux rives de l’Atlantique : ce qui pose problème aux Etats-Unis, c’est la taille du gouvernement plus encore que la taille du déficit. Les républicains en particulier veulent réduire non pas tant la taille du déficit que celle du budget fédéral, c’est-à-dire du gouvernement. L’essentiel des dépenses publiques sont considérées comme pouvant relever du privé avec plus d’efficacité, sauf la défense dont la Constitution fait l’une des missions essentielles de l’Etat. Le plan Ryan (du nom du colistier de Romney) a pour objectif de ramener les dépenses publiques à 16% du PIB en 2050, en réduisant l’ensemble des dépenses publiques à l’exception de la défense et en poursuivant la baisse de la fiscalité.
On a bien là deux visions de la société américaine qui s’affrontent, avec Romney/Ryan poursuivant la révolution reaganienne et remettant en cause l’Amérique des classes moyennes née du New Deal de Roosevelt et de la Grande société de Johnson. Visions irréconciliables et qui expliquent comment on en est arrivé à cette menace de « séquestration » sur le budget militaire notamment.
C’est aussi l’un des grands enjeux des élections au Congrès qui ont lieu en même temps que l’élection du prochain président. Car la fin 2012 est aussi le moment de toutes les échéances, l’arrivée au bord de la fameuse « falaise fiscale » : le 31 décembre 2012 doivent prendre fin toute une série de mesures provisoires dont certaines durent depuis plus de dix ans, essentiellement des allègements fiscaux (dont les fameuses réductions d’impôts de Bush), jusqu’ici reconduits : le 1er janvier 2013, en l’absence d’un autre compromis, la séquestration (réduction uniforme de 10%) s’abattra sur l’ensemble des postes budgétaires de l’Etat. Le tout avec un sérieux impact annoncé sur le pouvoir d’achat des Américains, donc l’économie américaine.

La séquestration en bref :

Au départ, la séquestration est un processus inventé pour être tellement terrifiant qu’il devait pousser au compromis les parlementaires membres de la « supercommission » mise en place en août 2011, au moment de la crise de la dette américaine. Son objectif, exigence des républicains Tea Party : trouver 1000 milliards d’économies sur 10 ans. Pourquoi « terrifiant » ? Parce que la séquestration est une coupe indiscriminée, « à la hache », de 10% sur tous les postes budgétaires discrétionnaires : pour la défense, cela représente 50 milliards de coupes supplémentaires, ce chaque année dès 2013.
Or la supercommission parlementaire a quand même échoué (pour les raisons évoquées ci-dessus de visions irréconciliables entre républicains et démocrates). La séquestration est devenue l’épouvantail de cette campagne, avec batailles de chiffres et prévisions apocalyptiques y compris dans la bouche du secrétaire à la Défense Leon Panetta  et de la part des industries de défense et des parlementaires concernés par des pertes d'emplois dans leurs circonscriptions. L’industrie a ainsi parlé de plus d’un million d’emplois menacés, chiffre considéré comme très excessif par de nombreux experts défense américains, dont ceux qui sont contre la séquestration.
Mais quoi qu’il arrive, sur toutes ces questions, seul le Congrès peut défaire ce qu'il a fait (ce qui arrive souvent), et le prochain président n’aura pas d’autre choix que de négocier avec les parlementaires. Toute réforme globale des dépenses publiques et de la fiscalité ne pourra se faire qu’au Congrès et passera forcément par des compromis des deux bords (car même si le Sénat devenait républicain, la pratique parlementaire a instauré la loi dite de la flibuste, grâce à laquelle 40 sénateurs peuvent bloquer un vote : on dit donc que la véritable majorité au Sénat est de 60 sièges – or il est impossible qu’un parti possède réunisse 60 sièges dans le prochain Sénat).

L’enjeu des élections au Congrès

Les élections sont très serrées cette année, pour la présidence comme pour le Congrès, manifestation de la polarisation partisane du pays et surtout de sa division en deux camps de force comparable. A la Chambre, la majorité républicaine de 22 sièges pourrait se réduire mais pas au point de basculer. Le grand enjeu c’est le Sénat, mais le consensus dominant jusqu’ici (changement de majorité en faveur des républicains) n’est plus de mise. La configuration actuelle d’un Congrès divisé avec une majorité démocrate au Sénat et une majorité républicaine à la Chambre pourrait donc être reconduite. Or les Congrès divisés sont les plus inefficaces historiquement. Le dernier ne déroge pas à la règle, sauf si l’ultime session du Congrès sortant, le lame-duck, parvient à des votes (en novembre-décembre 2012, avant l’entrée en fonction des nouveaux élus en janvier 2013).
Aura-t-on un compromis de dernière minute avant la séquestration ? C’est possible (le précédent lame-duck fin 2010 a été très productif), mais pas certain. Tout comme il est possible que, en cas de statu quo complet (mêmes majorités au Congrès, réélection d’Obama), les parlementaires décident de décider plus tard (ce ne serait pas la première fois), reportant les échéances et continuant de prolonger des lois provisoires en remettant à plus tard les choix difficiles.

4 commentaires:

  1. Merci pour cet article plus clair et posé que nombre de ceux que l'on trouve dans les revues politiques ;)

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  2. Pouvez vous précisez la phrase suivante : ''les recettes à 17% du PIB'' alors que ''les prélèvements obligatoires ont atteint un niveau historiquement bas et représentent aujourd’hui 24% PIB''.

    Cela me semble contradictoire.

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    1. La différence s'explique essentiellement par la ponction des Etats.

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    2. En effet, j'ai oublié les ''collectivités locales'' qui ont également une dette souvent assez impressionnante.

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