mercredi 13 juin 2012

BH-Le creuset interarmes au niveau de la brigade- Fabien Pezous


Dans le seul but d’alimenter le débat je me permets de vous livrer une vision différente de ces GTIA permanents. La question des couts / gains réalisés nécessitant plus de temps, de calculs et d’expertises, je me bornerai à une approche qualitative, donc subjective, puis j’évoquerai la place des nouvelles fonctions opérationnelles qui, me semble-t-il, n’a pas encore été envisagée.

Le creuset de la brigade

En premier lieu, les RETEX des armes d’appui, ces « pièces rapportées » au régiment socle des GTIA projetés en Afghanistan, soulignent leur bonne intégration et le remarquable travail commun effectué durant la mission.  Comme cela a été souligné, il faut certainement y voir les résultats de préparations communes longues et élaborées (et donc couteuses). Toutefois, il est permis d’y voir un signe encourageant pour l’avenir : les générations des cadres de KAPISA, qui seront les commandeurs de demain auront connu cette intégration interarmes et auront été convaincus de son utilité…gageons donc que l’intégration interarmes a de beaux jours devant elle. Dès lors, pourquoi vouloir modifier un système qui donne plutôt satisfaction…les évolutions proposées généreraient–elles tant de progrès que cela ?

Je n’en suis pas convaincu et je situerai le creuset, gage d’intégration, au niveau de la brigade. L’esprit de corps, « cet attachement à un groupe où les hommes sont liés par des normes de comportement communes », me semble pouvoir exister au niveau d’une brigade et donc d’un GTIA ad hoc.

Pour qu’un chef de corps d’un régiment de mêlée emploie de manière optimale les appuis qu’il reçoit en renfort, il est impératif, indispensable, primordial qu’il leur fasse confiance. Cette confiance s’acquiert par deux choses : la connaissance mutuelle et l’excellence dans les tâches pour lesquelles l’appui est détaché.

. La connaissance mutuelle : les huit brigades interarmes de l'armée de terre ne manquent ni d’identité, ni de caractère.  Le passé récent, les exercices, les entrainements communs, les traditions communes, la proximité géographique (pour la plupart des régiments de ces brigades) sont de nature à faciliter une connaissance mutuelle satisfaisante.

. L’excellence dans son métier : il me semble que les appuis perdraient  de leurs capacités à exceller en étant détachés de manière permanente dans des GTIA. En effet, l’excellence du sapeur, de l’artilleur… ne peut être initiée et cultivée qu’au sein du régiment d’appui. L’unité élémentaire est un niveau trop faible pour pouvoir formuler et mettre en œuvre une directive d’instruction et d’entrainement propre à sa fonction opérationnelle. En outre, l’émulation qui existe entre compagnies d’une même unité suscite cette excellence. Cette émulation existerait bien entendu entre unités d’un GTIA mais elle ne porterait pas sur les savoir-faire propres de chaque composante. Ainsi, la capacité d’innovation des quelques 800 cerveaux de chaque bataillon d’appui ne serait plus toute entière focalisée sur sa fonction opérationnelle originelle mais risquerait de s’éparpiller dans de l’innovation « toutes armes » ou «  inter-armes », il pourrait en ressortir un appauvrissement de chaque arme. (Confier cette mission d’innovation aux divisions études et prospective des Ecoles d’arme serait une gageure).

Au final, et dans le pire des cas, j’entrevois dans ces GTIA permanents une dilution des spécialités où le sapeur ne serait plus tout à fait capable d’être un excellent sapeur, sans jamais parvenir à être un excellent fantassin (ce qui n’est pas ce qu’on lui demande). Il en résulterait une défiance et donc un sous-emploi de la part du chef Interarmes.

Pour se convaincre de cela, une analogie entre le GTIA et l’équipe de Rugby me parait pertinente. La trentaine de joueurs d’une équipe de rugby portent le même maillot, pratiquent le même sport et ont les mêmes objectifs. Pourtant, il ne viendrait pas à l’idée d’un directeur sportif de conserver tous ces joueurs en un seul et même groupe pour les entrainements. Dans les faits, il y a même un entraineur en charge des avants et un responsable des lignes arrières. Ces deux sous-groupes ont leur propre programme, des calendriers et des outils clairement différenciés et ils se retrouvent régulièrement pour se coordonner et préparer dans le détail le match suivant. Dès lors, ils forment une équipe soudée aux ordres d’un seul et même capitaine et ce sont les efforts consentis par groupes qui profitent à toute l’équipe. L’alchimie ne se fait pas en passant ses journées ensemble mais en ayant des valeurs communes, d’une part, et en ayant entière confiance dans l’excellence de l’autre moitié de l’équipe d’autre part.

Autre analogie sportive possible : les sélections nationales (celles que l’on « projette » en quelque sorte) ne sont pas des structures permanentes.  Elles sont constituées de manière temporaire, se préparent durant des périodes définies et sont dissoutes à l’issue de la compétition visée. Ce sont principalement les efforts consentis tout au long de la saison, chacun dans son club, qui permettent à l’équipe nationale de briller  (cette analogie pourrait être poussée plus loin en soulignant que l’on sélectionne les meilleurs joueurs du moment alors que l’on ne projette pas, a priori, les « meilleures unités », sujet plus polémique…).

Par ailleurs, aussi longtemps que nos forces terrestres seront composées de brigades, il semble contraire aux principes de concentration des efforts et de liberté d’action de décentraliser de manière permanente la gestion des appuis à un niveau subordonné. Le commandant de brigade y perdrait une bonne capacité d’initiative !

Les nouvelles fonctions opérationnelles et la BIA.

Pour aller plus loin, l’effort d’intégration pourrait porter davantage sur les « nouvelles fonctions opérationnelles ». Les opérations d'influence, la communication opérationnelle, les CIMIC (…) semblent être « orphelines ». Or, ces capacités sont présentées comme décisives dans le cadre de l’approche globale, alors même que leur emploi ne paraît pas optimal (il suffit, pour s'en convaincre, de constater la nombreuse littérature portant sur les façons d’améliorer l'emploi de ces moyens). Il semble donc utile d’explorer toutes les pistes visant à mieux les engager. La société militaire obéit au principe de dynamique sociale dit de « fusion et opposition partielle » du sociologue G. GURVITCH. Elle est  animée de jeux incessants d'exclusion et d'inclusion où celui qui n'appartient pas au groupe (quelle que soit la taille considérée) est au pire rejeté, et, au mieux, juste toléré dans l'unité. A titre d'exemple, l'équipe CIMIC ou l'officier communication n'appartenant pas à la brigade avec laquelle il est projeté ne sera accepté qu’au prix d’efforts et de compétences remarquables… simplement au nom d'une différence d'identité culturelle militaire et quelle que soit sa valeur absolue.

Adosser les acteurs de ces nouvelles fonctions opérationnelles aux états-majors de niveau 3 leur donnerait une assurance, une légitimité, une véritable lisibilité qui serait de nature à garantir leur emploi par les BIA ou leurs régiments. Enfin, à l'heure où les commandants d'unité sont à la tête de « sous groupements interarmées », il ne paraît pas incongru d'attribuer à une brigade des moyens dévolus à une division.

Conclusion/ouverture

D’une manière plus générale que l’on place le « groupe » au niveau de la brigade, du bataillon ou de la compagnie, il convient de se souvenir que, « le groupe devient souvent la vraie patrie au nom de laquelle chacun est prêt à tuer ou à mourir » (Claude BARROIS in Psychanalyse du Guerrier, 1993). Cette affirmation a traversé les générations  puisqu’un  historique des corps de troupes  publié par le Ministère de la Guerre en 1900 soulignait les « prodiges de valeurs [dont] les régiments sont capables pour soutenir l'honneur de leur numéro et pour se montrer digne de leur surnom».

De la même manière, les hoplites constituaient leurs rangs autour de leurs amis, des membres de leurs familles et la cohésion de ces rangs ne reposaient que sur la force de ces liens où l’on était prêt à mourir pour défendre sa terre mais aussi et surtout son camarade de combat (Voir notamment Le modèle occidental de la guerre, Victor Davis Hanson)!

Quel que soit le niveau de cohésion recherché, un des défis à venir de l’armée de Terre sera de faire perdurer cette cohésion en accueillant les générations à venir ! Ce ne sera possible qu’à condition de revendiquer une identité forte, faite de divers métiers, différentes traditions…

PS :

Je suis officier dans l’arme du Génie ; ceci me pousse assurément à être prudent sur ce sujet. Pourtant c’est mon engagement en Afghanistan au sein d’un GTIA INF et le bon emploi de mon unité durant ces six mois qui me permet aujourd‘hui d’avoir confiance en notre système de Brigades interarmes, de le juger suffisant et adapté.

Le problème des temps de commandement des régiments d’appui ne me parait pas déterminant puisque l’on pourrait effectivement espérer confier le commandement de ces régiments interarmes à tous types d’officiers…De surcroit, les générations de futurs chefs de corps ont appris à vivre dans l’incertitude de la prochaine réforme.  Ceci n’empêche pas d’espérer mais incite tout de même à la prudence (mes anciens rétorqueront qu’ils ont tous vécu des périodes de réforme/dissolution, c’est vrai, mais plus le gabarit est étroit, plus la réduction suivante semble douloureuse…).

6 commentaires:

  1. François Narolles13 juin 2012 à 17:06

    Bonjour,
    Je comprends la logique de l'excellence de spécialité, mais me permets de douter de son intérêt.
    Pour poursuivre le parallèle avec la marine, il se trouve qu'en effet, sur nos petits bâtiments, un électricien sera plus "homme à tout faire et aussi de l'électricité" que le spécialiste qui passerait son temps au "régiment d'électricien de Toulon". Mais et alors ? Il connaitrait les installations, les procédures, les habitudes et les personnes de son unité de déploiement. Peu importe, finalement, qu'il soit "excellent" sur ce qu'il ne manipule pas au quotidien (une bonne formation initiale, et surtout une mobilité régulière entre différentes installations embarquées et à terre assurent une polyvalence minimum).
    Je précise au passage que dans la marine, la capacité de donner le "la" en publiant des normes n'est pas donné aux écoles, aux bateaux, etc, mais à des "ADG", des autorités reconnues choisies pour le domaine précis. Dans un cas, le commandement de la force d'action navale, dans l'autre, le commandement des fusiliers, dans d'autres encore l'armée de terre par exemple. L'idée est de se baser sur l'expertise d'une autorité, sans créer d'autre structure. Ensuite, la responsabilité de l'entrainement et de la certification est donnée à la cellule entrainement de la force (rappel : 4 forces dans la marine : FAN, AVIA, FUSCO, SOUM - donc 4 cellules d'entrainement).
    Si j'étais chef de GTIA, je pense que je n'aurais pas l'approche "j'ai avec moi les meilleurs sapeurs, ceux qui peuvent se comparer aux autres pays, ceux qui sont à la pointe de l'évolution de leurs procédures, etc" mais plutôt "mes sapeurs font partie de mon équipage, savent exactement comment travailler avec les autres spécialités, et connaissent mes habitudes. Ils sauront anticiper mes besoins, et m'alerter, quitte à faire passer leur excellence ou leurs procédures au deuxième plan".
    On évitera alors les réflexions type "ah, c'est ça bosser avec des fantassins ... ils ne savent même pas que la procédure de demande de reconnaissance d'itinéraire a changé dans le cas de ci ... ça ...". Mieux, toute l'année, chacun dans sa spécialité pourra constituer un point d'entrée de sa culture d'arme dans le reste de l'unité, promouvoir ses contraintes, faire valoir les avancées techniques et doctrinales dans son métier. En somme, l’efficacité plutôt que l’excellence.

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  2. C'est tout l’intérêt de co-baser les brigades.
    Si l'on considère qu'une brigade inter-armes deviendrait un groupe de 3 ou 4 groupements, le volume des ex régiments d'armes est supérieur à la somme des détachements au sein des groupements.
    Ces forces supplémentaires peuvent servir de noyau d'excellence des spécialités des groupements, et pourraient être déployés en renfort des groupements en cas de nécessité.
    Par exemple, une batterie complète adjointe à un groupement en cas de bataille urbaine.

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  3. L'exemple de l'équipe de rugby est bien choisi.mais avant de jouer il faut connaître les réglements du jeu qui de plus au rugby évoluent constamment...car c'est une activité intelligente comme la guerre.Or pour apprendre côte à côte les bases il me semble opportun qu'aprés l'initiation les jeunes officiers soient formés dans des écoles d'appli trés proches.Au moins l'ABC et le Génie pourraient rejoindre Artilleurs et Fantassins sur un même lieu d'appli.Le format réduit qui se prépare résoudrait les éventuels embouteillages et tant pis pour les traditions.

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  4. Je pense que l'analogie avec la Marine n'est pas possible avec les dires de l'officier du Génie.

    Dans la Marine, comme le dit Midship, il s'agit de rassembler des hommes polyvalents et des spécialistes : chacun connaît son métier, sinon il ne serait pas à bord, et les officiers coordonnent le tout. Chaque fonction du navire est animé par une partie des marins, dont un ou des officiers ont la charge d'assurer l'efficacité opérationnelle.

    Mais dans l'Armée de Terre, ce n'est plus du tout le même registre car l'exigence opérationnelle ne repose pas tant sur l'individu que sur l'unité. En outre, ce que dit l'officier Pezous, c'est qu'il faut une échelle suffisamment grande pour qu'il y ait stimulation entre les unités spécialisées afin qu'elles puissent, par ricochet, s'enrichir de la pratique de leurs armes respectives. Il faut des entraînements entre artilleurs et des échanges entre eux pour que le savoir-faire opérationnelle progresse. Il faut des déploiement à grandes échelles, de grands exercices, pour tirer le meilleur parti de l'arme.

    Je ne crois pas qu'en réunissait tout les services de lutte anti-sous-marine des frégates ASM dans un même exercice on puisse faire progresser la matière. Par contre, on peut faire progresser -à mon très humble avis- la lutte ASM en organisant un exercice regroupant une frégate, un sous-marine nucléaire, un avion de patrouille maritime, des remorqueurs de sonar et des chasseurs de mines.

    L'exemple est le même en matière de lutte aérienne où il faudrait réunir plusieurs bâtiments différents.

    L'unité spécialisée de l'Armée de Terre, c'est le régiment (de Génie, d'Artillerie, etc...). L'unité spécialisée dans la Marine, c'est le bâtiment.

    Dès lors, je ne pense pas que l'analogie soit possible avec l'équipage.

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  5. Frédéric Aubanel14 juin 2012 à 14:28

    Pas mal vu, en effet. Si on prend l'exemple des artilleurs, qui déployent l'équivalent d'une batterie Caesar en Afgha avec 2 sections de tirs provenant de 2 régiments différents, afin de permettre par "influence" au reste de l'unité de s'accoutumer à ce nouveau moyen, le régiment reprend véritablement son rôle de niveau de base de l'AdT.
    Je suis pleinement convaincu que la brigade inter-armes est le pion d'emploi pour la projection d'un élément AdT: il permet de constituer jusqu'à 3 GTIAs avec un flexibilité maximum; même si je pense que qu'il manque la pluspart du temps un régiment d'infanterie: la BIM me parait la structure optimum.
    Pour le reste, je reprends à mon compte l'idée d'un camarade de promo qui est convaincu de la nécessité de constituer des divisions inter-armées. Ce pion de manoeuvre, articuler autour de 3 brigades IA et d'un élément air, pourraity regrouper ce qu'on appelle dans l'OTAN des "enablers", à savoir hélicoptères, artillerie sol-air, CIMIC, les drônes,..... La division aurait ainsi une utilité: capacité e commandement inter-armée et possibilité de renforcer les brigades en fonction des besoins et de l'effort identifié. Cette division me semble être l'ambition pour l'armée française (en dehors de la marine, désolé) en terme de capacité de projection relevable.

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  6. A chaque commentaire sa solution, et ainsi entre les bonnes et celle de l'ecole de guerre c'est encore cette derniere qui sera choisie. L'approche capacitaire a montre ses limites. Les diminutions d'effectifs homotethiques conduisent a l'echantillonnage et a la survie artificielle de competences datees voire intenables. Les composantes de l'approche globale (influence, ACM, PsyOps,...) apportent avec peu de moyens une plus value reelle. Leur ratio est peu eleve en valeur absolue mais important en proportion de leur volime de temps de paix. Appui comme les autres alors mais pour ces specialites comme pour celle des appuis et du soutien, c'est au moment ou elles oberent la marge de manoeuvre/liberte d'action de ceux qui forment le coeur du GTIA ou autre structure ad hoc qu'il faut en limiter le champ d'application. Ainsi tout l'equilibre reside pour le fantassin au coeur de la mission a comprendre qui il est et ou il se trouve. Ne sachant plus s'appuyer, dependant d'experts quant a la resolution des problemes poses par l'environnement il deviendre lui aussi un expert en son domaine (combat debarque et/ou embarque). Plus que jamais, prudence et reflexion, car une force projetee est puissante avant tout par sa capacite a se maintenir mobile et active dans un desequilibre permanent.

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