dimanche 24 juin 2012

BH-De l’emploi de la réserve opérationnelle (2/2)-Guillaume Lasconjarias


En réalité, comme l’a rappelé un rapport récent du Sénat, on ne sait pas véritablement comment et à quoi employer les réservistes, sans même parler de savoir parfois comment les solder… Cette interrogation sur les deux pivots que sont le « pourquoi ? » et le « avec quoi ? » conditionne les palinodies sur le recrutement, le suivi, l’intérêt pour les réserves, dans une période où la priorité est aux personnels d’active. Que le recentrage des armées sur le cœur de métier soit à prendre en compte, nul ne le conteste. Mais, ainsi que le notent les connaisseurs de la chose militaire, c’est justement dans un contexte de restriction budgétaire et en ressources humaines que les réserves peuvent servir de matelas, d’amortisseur et de variable d’ajustement : à l’instar d’une entreprise qui fait appel à l’interim, les réserves peuvent aider à franchir un cap. Les besoins en spécialistes étant de plus en plus nécessaires, la place de réservistes en situation d’activité justifierait les interrogations et la volonté des deux précédents Livres blancs, et notamment celui de 2008 qui estimait que : « La professionnalisation et les réductions de format des armées rendent plus que jamais nécessaire le franchissement d’un seuil dans la constitution d’une réserve, si nécessaire moins nombreuse, mais plus spécialisée, mieux formée et mieux intégrée dans le dispositif militaire ». Situation paradoxale, alors que la réduction est amorcée dans les effectifs des armées, le frein au recrutement des réservistes a débuté, dans des proportions qui mettent en danger la structure même d’une réserve crédible. À l’instar de ce qui se pratique pour les forces d’active, on aligne la composante réserve de façon homothétique.

Moins d’hommes, certes, mais ne s’agit-il pas aussi de s’interroger pour quoi faire ? L’idée d’intégration, de participation aux mêmes missions que l’active est un idéal à atteindre, sans doute asymptotique. La nature du problème est double : s’appuyer sur les réservistes, population volatile, nécessite aussi de leur donner des missions qu’ils jugeront intéressantes, alors que justement, les personnels d’active cherchent à se libérer de tâches qu’ils jugent au contraire contraignantes. Quelles missions confier aux réservistes qui répondent à ce paradoxe ? J’ai évoqué Vigipirate, on pourrait citer Héphaïstos – lutte contre les feux de forêt – et autres missions intérieures. À ce jour, les réservistes constituent un peu plus de 10% des personnels engagés dans Vigipirate contre 1% des projetés (et souvent, il s’agit de personnels spécialisés, compléments individuels ou renforts d’état-major). La projection en opérations extérieures, tentée depuis maintenant trois ans par le CFT, se heurte à d’immenses difficultés logistiques et administratives. Pourtant, des sections armées et commandées par des réservistes ont participé à des mandats de deux mois au Sénégal, au Kosovo ou en Côte d’Ivoire. Mais ne pourrait-on aller plus loin ? La frilosité quant aux pertes semble écarter d’emblée toute projection d’unités constituées en Afghanistan, ne serait-ce que pour des tâches de garde, dont la lourdeur et la pénibilité se surimposent aux unités de combat. Or, l’efficacité des troupes de réserve dans ce domaine ne serait pas contestable : c’est ce que font les Américains dans l’emploi des gardes nationales par exemple dans les grands camps de la région de Kaboul. Mais il est vrai que la culture militaire américaine s’appuie sur les réservistes et que pendant la guerre d’Irak, 40% des personnels provenaient des gardes nationales ou des réserves. Sans même parler de la « richesse » de cette composante : une amie américaine, pilote commerciale dans le civil, endosse régulièrement l’uniforme pour passer de son Boeing 777 à son C-17…

Pour favoriser une meilleure intégration, un meilleur emploi et une vitrine plus « alléchante » des forces de réserve, il ne suffit pas de maintenir à niveau et de conserver un budget (trop) modeste. Il faut une volonté de la part des pouvoirs publics qui se concentre autour d’une véritable communication. Qui a entendu parler de la « Journée nationale du réserviste », à part les personnels concernés et motivés ? Qui, pour les plus jeunes, sait qu’on peut devenir réserviste dès l’issue de la Journée « Défense et citoyenneté » ? Dans les CIRFA, la priorité est d’ailleurs plus sur le recrutement des EVAT et des sous-officiers que de réservistes… Sans même parler des lourdeurs administratives qui font qu’en-deçà de six mois, il est rare de pouvoir rejoindre une affectation.

En termes de proposition, on peut sans doute atteindre un effet de seuil à partir duquel les compagnies de réserve seront sinon autonomes, du moins capables d’assurer des missions en répondant rapidement aux sollicitations de l’active. Au sein de chaque régiment ou bataillon, deux compagnies de réserve à effectifs complet permettraient sans doute d’assurer une présence continue sur le quartier et assurer certaines tâches. Pour cela, il faudrait accepter de leur dédier des matériels et des locaux, de leur affecter quasiment en permanence un cadre chargé des affaires administratives, afin de « lisser » les problèmes d’une population aux cas complexes et souvent multiples. Cela nécessite de prendre en compte une politique de recrutement dynamique qui prenne en compte les spécificités des réservistes : d’un côté, les jeunes militaires du rang, sortis de la société civile et sans aucune expérience, souvent étudiant et qui sont actifs pendant leurs études, avant d’entrer dans la vie professionnelle. C’est une population hautement volatile – selon un commandant d’unité actuellement en poste, un militaire du rang reste entre dix-huit et vingt-quatre mois – qu’il faut chercher à fidéliser, soit par l’intérêt des missions déléguées, soit en tirant parti des atouts liés au statut du réserviste (dont la solde n’est qu’une des composantes). Si ces jeunes sont étudiants, pourquoi ne pas tisser, à l’échelon des régiments ou des CIRFA, des partenariats avec les universités pour obtenir que les réservistes disposent de crédits supplémentaires validés dans le cadre de leurs études – ce dernier cas me semble avoir déjà été fait par exemple entre les régiments du Service de santé et des facultés de médecine ? Pourquoi, dans les politiques de service civil, ne pas intégrer une dimension sécuritaire, par exemple avec les unités de sécurité civile ou la BSPP ?

Si l’on souhaite favoriser la résilience de nos sociétés, les réserves ont un rôle à jouer. Mais encore faut-il que ces réservistes voient leur place valorisée, que ce soit au sein de l’institution ou au sein de leur vie professionnelle civile. Et cela passe aussi par un changement dans les mentalités, des réservistes comme des personnels d’active. Les clichés et les préjugés demeurent encore lourds : la reconnaissance du professionnalisme des uns et la bonne volonté des autres permettrait de reconnaître la valeur d’un renfort volontaire qui sert peut-être moins mais pas moins bien.

6 commentaires:

  1. Bonjour Guillaume,

    Merci pour cet article sur les réserves, sujet trop peu souvent abordé, notamment en ces périodes de disette budgétaire qui peut être une chance à saisir pour la réserve.

    Je tiens juste à préciser que la situation peut être assez différente dans les autres armées que celle que tu décris. Ainsi, dans la marine nous sommes encore dans la "préhistoire de la réserve" par rapport à l'armée de terre, notamment en terme de formation continue et d'emploi des réservistes, orienté uniquement vers deux axes : une réserve de rayonnement (la belle affaire...) et une réserve de "spécialistes" pour certaines compétences rares. Voilà qui n'est pas fait pour attirer les jeunes vers la réserve, lesquels suivent une formation pour ensuite ne pas avoir d'ESR ou bien se retrouver avec les mêmes missions dans le cadre de leur activité militaire que de leur profession...

    Peut-être que le nouveau Livre Blanc apportera une évolution sur ces questions !

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  2. Grenadier de la Garde24 juin 2012 à 20:45

    Entièrement d'accord sur l'absolue nécessité de disposer de réservistes en nombre et en qualité. Mais comme on n'attire pas les mouches avec du vinaigre, il va falloir innover. Il me semble que les canadiens ont institué un système dit "90-10 / 10-90"...Peut-être en avez-vous entendu parler ? Je ne sais pas s'il est toujours effectif. Il s'agissait de distraire quelques personnels d'active pour les affecter "à temps plein" dans les unités de réserve. Soit 10 % de personnel d'active pour encadrer 90 % de réservistes. (et donc il reste à caser 10 % de réservistes dans les bataillons d'active, mais on peut discuter du ratio...). Et donc ces personnels d'active (officier-adjoint, ADU, caporaux d'échelon, etc) préparent les matériels et les convocations et bien sûr instruisent et encadrent les réservistes en mission, sur le terrain comme au quartier. On pourrait même créer des détachements de type DIO / OMLT permanents pour encadrer nos unités de réservistes à l'instar de ce que l'on fait avec l'ANA... Ainsi, les personnels progresseraient vite car au contact de leurs camarades d'active totalement impliqués. On éviterait ainsi une autre fracture entre les uns et les autres. Cela permettrait aussi de conserver des unités à moindre frais au lieu de les dissoudre...
    Les britanniques par exemple "récompensent" les commandants de bataillon de réserve (qui peuvent être des officiers d'active) en leur offrant des places (comme Commandant en second par exemple) dans les bataillons projetés au prorata du nombre de réservistes recrutés pour l'OPEX... Bref, si on veut une vraie réserve opérationnelle employable, il faut intégrer les réservistes avec les personnels d'active. Ce serait un investissement rentable...

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  3. Mon Colonel,
    L'intérêt dont la solde n'est qu'une des composantes... Oui! Par exemple la Chancellerie: ouvrir des droits à décorations ou récompense aux réservistes sur les mêmes bases que l'active... Celà veut dire que même à 120 jours/ans, un réserviste mettra 3 fois plus de temps à obtenir une récompense... Alors que les contraintes familiales et professionnelles sont plus importantes pour lui. Est-ce bien raisonnable?
    Quant aux Opex... N'en parlons pas. Il y a toujours une bonne raison pour éviter d'envoyer en Opex un "réserviste", s'l ne vient pas de quitter le service actif après 25 ans dans les Armées!
    Bon! Il paraît qu'un nouveau texte est en préparation... Nous verrons bien.

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  4. Il nous reste un bel exemple de volontariat qui fonctionne avec + de 180 000 volontaires actifs, avec des missions identiques aux professionnels hors spécialités (cela va faire des jaloux !) ils sont les descendants de notre Garde Nationale ! Nous en avons gardé le liseré rouge ? Bravo ! Vous avez gagné : Les Sapeurs Pompiers Volontaires. Quand j’ai signé mon engagement, j’aurai sans doute préféré un volontariat militaire mais rien de bien attirant en France, par contre chez nous que de chemin parcouru, en terme de moyen, de formation, d’intégration et d’organisation. Les secours fonctionnent sur l’hexagone grâce au maillage des SPV, et grâce aux 20 000 professionnels dans les secteurs ou l’activité est continue et comme Grenadier de la garde le dit nous avons nos 10% qui participe à l’encadrement de l’ensemble pour la MGO. Je gagne 7 € de l’heure en opérationnel exclusivement, majorés la nuit et week-end, j’ai une semaine de garde nuit plus le week-end obligatoire par mois, rajouté à cela les formations, les manœuvres cela représente pour un SPV qui exerce un métier à plein temps une moyenne de 200 à 240 h par ans d’activités opérationnelles, la polyvalence et les responsabilités sont notre quotidien. Je suis Sergent Chef donc si je suis le premier sur place avec mes 6 sapeurs je suis le COS le commandant des opérations de secours peut importe le chantier. Nous formons des colonnes feux de forêts avec des volontaires pris dans chaque centre, mais formés. Tout cela pour dire : Imaginé une réserve opérationnelle avec un groupement interarmes par Département et un groupement de commandement et de soutien par Région, sur un modèle équivalent + des groupements spécifiques pour les grandes métropoles…. Imaginé une instruction continu, des moyens permanents, l’active rétrocéderait ses équipements de combats avant une usure total, une partie serait « rétrofité » .
    Un coup de bip et dans les 1h00 vous rassemblez un groupement de 600 h avec armes et bagage. (même gratuit hors frais je serai SPV)
    Vive la réserve, citoyen tu tiens ton avenir entre tes mains.

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  5. Pour aller plus loin dans la réflexion une interview du Délégué interarmées aux réserve (EMA) interview qui pose les bonnes questions mais.. sans avoir les réponses !!!

    http://www.entreprisespartenairesdeladefense.fr/images/stories/telechargement/Interview_La_rserve_oprationnelle_de_la_Dfense_revue_UA-IHEDN_janvier-fvrier_2012_Patrice_Lefort-Lavauzelle.pdf

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  6. Que dire dans certains régiments ou les réservistes sont engagés en MISSINT trois a quatre fois par an a hauteur d'une section et ou, en fonction des chefs qui sont mutés tout les deux ans, la mission varie et se transforme en refnort de garde et de service exclusivement... Et ou la lubie des uns fait que l'on ne recrute plus pour une optique opérationnelle mais administrative, les uns créantle site internet du régiment, pour éviter de payer une société, l'autre renforcant le chancelier pour les travaux d'actives (pas de déco pour les réservistes depuis trois ans...), les autres en cours de recrutement officier sur titre pour donner des cours de langues...(femme d'officier sup)...

    On priviligie une vue à court terme et les proches, détournant l'idée même de la reserve OPERATIONNELLE, au détriment d'une réserve vraiment opérationnelle qui existait enfin au bout de plusieurs année de recrutement et d'entrainement, freinant ainsi une fidélisation durement acquise...

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