jeudi 27 octobre 2011

Sondage : Etes-vous pour ou contre la recréation de l'ESMIA ?

De 1947 à 1961, l’Ecole spéciale militaire interarmes a regroupé les élèves officiers issus à la fois des concours directs et internes. Je suis personnellement favorable à la recréation de cette école par le regroupement de l’Ecole spéciale de Saint-Cyr et de l’Ecole militaire interarmes. Qu’en pensez-vous ? Exprimez-vous par vos commentaires et en répondant à ce sondage.


http://fr.toluna.com/polls/1756911/Etes-vous-favorable-recreation-Ecole-speciale.htm

dimanche 16 octobre 2011

Le point de non retour

Ceci est l’histoire d’une armée construite, entraînée et équipée pour faire face à une menace venue de l’Est et qui, en l’espace de quelques années s’est transformée en force professionnelle à vocation expéditionnaire. Cette armée, l’armée britannique de l’entre deux guerres, a ensuite été obligée de faire le chemin en sens inverse et cela s’est avéré beaucoup plus difficile que prévu.

L’armée britannique de 1918 est une magnifique organisation qui est parvenue dans les cent derniers jours de la guerre à organiser magistralement une succession d’opérations très complexes. Dès 1919 cependant, les Britanniques renouent avec une petite armée d’intervention qui sera équipée selon le principe du « Ten years rule », c’est-à-dire le strict minimum s’il n’y a pas de risque majeur dans les dix ans à venir. Pour autant, de la Russie à l’Afghanistan en passant par l’Irak, les forces britanniques sont engagées partout dans monde et souvent violemment. Toutes ces opérations de « stabilisation » provoquent un surcoût qui entame le faible budget d’entraînement et dès le début des années 1920, les unités de l’Army et de la Royal Air Force (RAF) en métropole ne sont plus que de simples réservoirs de force pour les missions extérieures. L’angélisme et le Ten years rule prennent fin en 1932 avec l’invasion de la Mandchourie par les Japonais et la montée du nazisme mais le chemin du retour à la puissance militaire est difficile.

En 1933, la part du budget de la défense ne représente plus que 10,5 % du budget total du gouvernement contre 30 % en 1913 mais au cours de la même période le service de la dette est passé de 6,1 % à 21,4 %. Dans une économie en plein marasme, et alors que l’Allemagne et les Etats-Unis font le pari inverse, le Trésor freine tout augmentation de crédits pour ne pas déplaire aux marchés financiers. Ce n’est qu’à partir de 1938 que les budgets d’équipement prennent vraiment de l’ampleur mais la faiblesse des commandes a été telle pendant une quinzaine d’années que de nombreux savoir-faire industriels ont disparu. Les quelques industries restantes s’entendent pour imposer des prix élevés. Même l’industrie aéronautique, qui bénéficie pourtant de la priorité des crédits a du mal à « décoller ». Les rares ressources sont concentrées la conception de bombardiers à long rayon d’action, dont les délais de mise au point sont beaucoup plus longs que prévu. En 1931, c’est une riche aristocrate, Lady Houston, qui supplée l’absence de fond public pour financer le prototype de ce qui deviendra le Spitfire. La défense aérienne est malgré tout la seule réussite de la période.

En 1936, on renoue avec les grandes manœuvres pour découvrir que cette armée professionnelle, présente de graves lacunes. Dans les années 1918-1920, le Journal of the Royal Artillery était rempli d’articles techniques et tactiques inspirés de l’expérience récente. Au début des années 1930, il n’y a plus que des articles sur les vertus du polo et de la chasse au renard. Le seul débat existant dans les années 1920 est provoqué par les apôtres des chars qui parviennent à imposer de 1927 à 1931 la création d’une force blindée expérimentale qui ne survit pas à la crise économique. La réflexion doctrinale institutionnelle ne commence véritablement qu’en 1932 avec la commission Kirke qui se propose, enfin, de tirer les enseignements de la Grande Guerre.

Finalement lorsque le Royaume-Uni entre en guerre, il ne dispose pas de l’immense flotte de bombardiers qui lui aurait, paraît-il, permis de mettre à genoux l’Allemagne. Le corps expéditionnaire en Europe, malgré le rétablissement de la conscription quelques mois plus tôt, dépasse à peine en volume celui de 1914. Et s’il se révèle solide au combat, il est aussi particulièrement rigide. Alors que les Britanniques étaient des pionniers en matière de chars, ils ne parviennent à déployer qu’une seule division blindée et ne seront capables de produire un char efficace, le Centurion, qu’en 1945. Alors qu’ils étaient également des pionniers en matière de porte-avions, ceux-ci sont encore équipés de biplans. Pire encore, alors que la première bataille de l’Atlantique en 1917 avait failli être fatale, les Britanniques sont toujours incapables de lutter efficacement contre les U-Boots. Il faut attendre véritablement la fin 1942, et grâce à l’aide américaine, pour voir une armée britannique efficace. Jusque là, elle a surtout accumulé des désastres, dont beaucoup auraient pu être évités avec une politique de Défense d’avant guerre plus clairvoyante.

Résumé d'une fiche au chef d'état-major des armées, 2007.

mardi 11 octobre 2011

La petite muette

Une question me taraude depuis quelques semaines : a-t-on le droit d'exiger d'un officier qu’il demande préalablement une autorisation pour toutes ses interventions dans les médias ou dans des colloques ? N'est-ce pas contraire au nouveau statut général des militaires qui a supprimé toute idée de censure préalable ? 

Bien entendu, il ne s’agit là que d’une hypothèse.

samedi 8 octobre 2011

Réformer une grande organisation : le cas de Big blue

IBM a longtemps été l’entreprise la plus admirée au monde pour la dévotion de son personnel, qui n’avait rien à envier à celle des sociétés japonaises. Mais IBM fonctionnait aussi comme un mastodonte exploitant rationnellement quelques produits phares comme le mythique IBM 360 dans les années 1960 ou le Personal Computer de la fin des années 1970. Les années 1980 ont changé la donne en privilégiant les entreprises plus innovantes comme Microsoft ou Intel. Empêtrée dans sa bureaucratie (au début des années 1990, IBM compte 128 directeurs des technologies de l’information, 266 systèmes de comptabilité et 155 centres de données), ralentie par l’obsession perfectionniste de ses laboratoires qui mettent des années à sortir un nouveau produit, oublieuse de ses clients (qui peuvent attendre deux mois une réponse à un problème technique), IBM perd pied. Le pachyderme n’est plus capable de fabriquer l’intégralité des composants de ses PC et doit passer commande de circuits intégrés et de logiciels à d’autres entreprises. Les bénéfices s’érodent inexorablement jusqu’à disparaître à la fin des années 1980.

Face à cette crise, la direction réagit en tentant une nouvelle organisation et en supprimant  100 000 postes. Ces deux approches sont des échecs. Les nouvelles divisions mises en place, sans simplification des structures de commandement, ne font finalement qu’ajouter à la complexité en créant des « fiefs » locaux. Les protocoles d’accord entre divisions sont si ardus qu’ils nécessitent des stages spécifiques pour les comprendre. De son côté, la réduction du personnel, traumatisante dans une entreprise qui pratiquait l’emploi à vie, s’est effectuée sur la base de l’incitation financière, ce qui a eu tendance à faire partir les meilleurs, et de la sanction, ce qui a eu tendance à tuer toute initiative. La réduction en quelques années d’un quart du personnel ne pouvait pas non plus ne pas augmenter la pression sur ceux qui restaient.

L’IBM de la fin des années 1980 est alors devenue ainsi une organisation de méfiance. Une coupure nette est apparue entre une direction plus zélée à obéir aux intérêts des actionnaires qu’à ceux de ses employés. Tenter quelque chose et échouer ou même simplement soulever un problème, c’est donner un prétexte à un licenciement. De plus, la chasse aux coûts à réduit aussi considérablement les petits surplus (slack) qui permettait à certains d’expérimenter des idées personnelles. La réforme rigidifie IBM alors que le monde et les concurrents ont tendance à évoluer à grande vitesse. Ce décalage rend d’ailleurs l’entreprise moins attrayante pour les jeunes talents et le niveau général du personnel décline, entraînant IBM dans une spirale de médiocrité.

Dès son arrivée à la tête d’IBM en 1993, Lou Gerstner met en place une nouvelle politique fondée sur les hommes. Un surplus financier est formé en vendant des actifs non essentiels à l’entreprise. Ce surplus est utilisé pour investir dans les nouvelles technologies et surtout dans les hommes. Les rapides et les innovants reçoivent des bonus et tout le monde est associé aux résultats globaux d’IBM. La formation interne est remise en honneur et les bureaux d’étude retrouvent des financements. Un nouveau système d’évaluation (dite à 360°) est mis en place qui privilégie la compétence réelle sur le diplôme. IBM redevient une entreprise qui attire les talents. Gerstner passe la moitié de son temps sur le terrain et martèle qu’il ne veut entendre que la vérité. Lui-même donne l’exemple en refusant la langue de bois et en jouant la transparence totale. Pour améliorer encore la circulation de l’information, les états-majors sont réduits et la structure matricielle est abolie au profit d’une pyramide classique dans laquelle tout le monde se retrouve. La plupart des task forces et autres modules sont également supprimés. Ces hommes et ce système sont mis au service d’un projet bien plus mobilisateur que les simples économies financières : le détachement de la fonction de constructeur d’unités centrales d’ordinateurs pour se réorienter vers les services informatiques (IBM Global Services et e-business). Lorsqu’il quitte IBM en mars 2002, Gerstner laisse derrière lui une entreprise florissante.

Résumé d’une fiche au chef d’état-major des armées, avril 2008.

samedi 1 octobre 2011

Les pertes invisibles

L’esprit humain est ainsi fait qu’il se concentre presque exclusivement sur ce qu’il voit et néglige les phénomènes peu visibles. Tout le monde a en tête les images des attentats du 11 septembre 2001 et ses 3 000 victimes. On néglige en revanche le fait que la peur de prendre l’avion qui en a découlé a engendré un surcroît de trafic routier finalement plus meurtrier que les attentats. De fait, dans la majorité des cas, le conflit en Afghanistan n’apparait sur nos écrans que lorsque nos soldats tombent et selon un processus exponentiel : un seul décès est un « évènement », à partir de trois on parle de « choc » et au-delà de huit on atteint le niveau de « drame national ». La lumière faite sur ces pertes visibles empêche de voir d’autres phénomènes plus discrets.

On pourrait déjà faire remarquer que chaque année la drogue afghane tue trente fois plus de Français que les balles ou les engins explosifs afghans (et accessoirement que ceux que nous soutenons sur place sont parfois impliqués dans ce trafic d’opium). On pourrait aussi constater que la route française est actuellement la zone d’engagement la plus meurtrière pour les forces françaises (environ 30 décès par an dans le cadre du service et 220 hors service), sans que cela suscite la moindre couverture médiatique. Il est vrai aussi que dans ce dernier cas le taux de pertes par accident routier est très inférieur pour les militaires en service à celui de la moyenne de la population. Il n’est donc pas indispensable d’avoir une exposition médiatique suivie de réactions « visibles » (en général, l’annonce d’un surcroît de réglementation et de contrôle) pour adopter des méthodes efficaces de contrôle des risques.

Il existe cependant une différence de nature entre les soldats perdus dans des accidents et ceux qui tombent dans des opérations de guerre. Vouloir réduire à tout prix les pertes par la force protection, qui n’est autre qu’une adaptation de la fonction « sécurité et prévention des accidents », a effectivement des effets visibles. En proportion des risques encourus et des effectifs engagés, les pertes au combat des troupes engagées en Afghanistan sont les plus faibles de notre histoire militaire. La probabilité d’être tué en Afghanistan, même depuis 2008, est par exemple trois à quatre fois inférieure à celle de la guerre d’Algérie.

La question se pose maintenant de savoir quels sont les effets invisibles à long terme de ces mesures visibles immédiates lorsqu’on agit non pas dans le cadre d’un service courant en métropole qu’il s’agit d’optimiser mais dans celui d’un affrontement dialectique armé avec sa logique parfois paradoxale (en combat, le chemin le plus court n’est pas forcément le meilleur car c’est celui où on sera le plus attendu par l’adversaire). A force de prudence et en voulant gagner chaque engagement à « 1-0 plutôt qu’à 3-1 » ne prolonge-t-on pas les opérations en n’obtenant rien de décisif ? Pire encore, en voulant éviter à tout prix les pertes, n’est-on pas tenté de réduire même ces engagements en restant dans les bases ? Tout cela n’engendre-t-il pas une frustration prolongée avec ses conséquences psychologiques ? S’est-on d’ailleurs inquiété des pertes invisibles engendrées par nos manières de procéder (suicides, dépressions, démotivation, non renouvellement de contrat) ? En échangeant de l’argent contre des risques (blindages, appuis, etc.) n’échange-t-on pas aussi une usure physique contre une usure économique ? Beaucoup de questions et pour l’instant peu de réflexions visibles.